Vera

Par Anne Onyme

Elizabeth von Arnim
Salvy
287 pages

Résumé:

Quelques mois après la mort mystérieuse de Vera, Everard Wemys se remarie avec Lucy, de vingt ans sa cadette. Mais le souvenir omniprésent de Vera, les doutes relatifs à sa mort font planer sur le couple, qui s'est installé à la campagne, dans la grande maison où eut lieu le drame, une ombre noire que ni l'un ni l'autre ne parviendront à chasser.

Mon commentaire:

Après avoir lu Vera, le beau-frère d'Elizabeth von Arnim a dit: " J'ai donné à mes enfants un conseil de prudence : n'épousez jamais une romancière ". Et après l'avoir lu à mon tour, je lui donne un peu raison! Quel roman! Vera est époustoufflant de maîtrise! Elizabeth von Arnim me fascine au fur et à mesure que je découvre ses oeuvres. Elle maîtrise à la perfection la psychologie de ses personnages pour nous offrir avec Vera, un roman qui donne le frisson. Une courte phrase résume à merveille l'esprit du livre. Nébuleuse pour qui n'a pas lu le roman, elle prend tout son sens quand on en connaît la trame:

"Que d'obstacles avons-nous rencontrés,
Avant d'être assis pour prendre notre thé."
p.210

Je trouve très difficile de parler de Vera sans en dévoiler l'intrigue. Si vous avez l'intention de le lire et que ce n'est pas déjà fait, ne lisez pas plus loin vous risquez d'être passablement déçus. Je crois que Vera tient beaucoup à la surprise que l'on éprouve au fil de la lecture.

Même si elles ne sont pas clairement définies (on le sent à la lecture), le roman est construit en deux parties. La première parle du temps avant le mariage. Elle peut sembler un peu longuette, cependant, elle met en place le décor et les personnages pour la suite. Lucy et Everard se rencontrent alors que les deux sont endeuillés. Everard a perdu sa femme dont la mort est nébuleuse et tous les journaux sont sur son cas. Lucy vient de perdre le seul homme de sa vie, son ami, son complice: son cher papa. Lucy est dans la toute jeune vingtaine et a l'air d'une enfant. Elle s'attache à Everard, un homme dans la quarantaine, comme elle le ferait avec un père remplaçant. Horrifiée quand il l'embrasse pour la première fois, elle croit avoir par la suite des sentiments pour lui et décide de l'épouser. C'est alors qu'Everard montre sa vraie nature... et que débute la seconde partie du livre.

Ce roman, dès qu'on le commence, fait beaucoup penser à la Rebecca de Daphné Du Maurier. Les deux livres ont des points communs, même s'ils s'avèrent totalement différents. Le titre, déjà, qui fait référence dans les deux cas à la première épouse décédée. Mais alors que dans le roman de Du Maurier la seconde épouse commence à détester la place que prend l'ombre et le fantôme de Rebecca, dans Vera, Lucy se fait en quelque sorte une alliée du souvenir de cette femme qui hante encore la maison, contre Everard qui s'avère être une vraie brute. Pas une simple brute. Everard est bien pire... C'est un homme à cheval sur des principes boiteux, très désireux que sa maison soit tenue en ordre et selon ses goûts. Il parle à sa femme comme à une enfant trop gâtée qu'on trouve exaspérante, exige de ses domestiques des choses absolument épouvantables, et donne des ordres qui sont souvent un non-sens. Sa façon d'être donne le frisson, car on a l'impression de voir en lui une bombe à retardement. Il n'y a qu'à penser à la fixation qu'il fait des dates, des heures, de son anniversaire... Tout doit être calculé et planifié à la seconde près. Il minute le temps que prennent ses employés à répondre lorsqu'il sonne. Il a préalablement fait le trajet lui-même pour s'assurer du temps requis... Auprès d'Everard le quotidien prend l'ampleur d'un parcours du combattant. Seulement, Lucy ne le sait pas encore tout à fait...

Je me suis glissée dans ce roman jusqu'à prendre la place de Lucy. Plusieurs fois pendant ma lecture j'ai écarquillé les yeux d'étonnement. Je me suis surprise à appréhender anxieusement tous les mouvements que pourrait faire Everard, toutes les situations où il pourrait réagir, intervenir. Everard est un personnage profondément détestable, alors qu'on ne peut que se prendre d'affection pour Lucy, même si elle est parfois si naïve, si enfantine. Et l'estomac noué, on se questionne. Car à partir de la seconde moitié du roman, c'est un vrai suspense. En découvrant la folie d'Everard, on se demande comment l'auteur terminera ce livre... La fin, abrupte, est glaçante... si on se plaît à imaginer la suite. C'est ce que j'aime chez von Arnim, ses fins sont achevées, mais sans l'être trop, et laissent place à une certaine imagination. On aime ou non. Moi, je suis conquise.

Vera est un vrai petit bijou de cruauté. Un roman que j'ai adoré, qui génère énormément d'émotions. Même s'il s'agit d'une histoire très sombre, c'est à lire, assurément!

Quelques extraits:

"Après tout, pensa-t-elle en contemplant le reflet des flammes sur le parquet bien ciré, seuls les gens qui ont du tempérament peuvent épouser ceux qui en ont. Ils se comprennent, se disent les même choses, se les renvoient comme des fusées de feu d'artifice, savent exactement combien de temps cela durera, et la violence de leurs émotions leur évite de connaître la mortelle solitude où se trouvent ceux qui ne savent pas s'emporter.
La solitude.
Elle leva la tête et, du regard, parcourut la pièce. Non, elle n'était pas seule. Il y avait toujours...
Brusquement, elle se dirigea vers la petite bibliothèque de Vera, et prit les livres, un à un, vite, voracement, lisant les titres, tournant les pages avec une sorte de frénésie, afin de savoir, afin de comprendre, Vera..."
p.180

"Le livre, tombé des mains de Lucy, était encore ouvert, à ses pieds. Si c'est là le soin qu'elle prend des livres, il ferait bien de réfléchir avant de lui confier la clef de la bibliothèque vitrée, pensa-t-il. C'était un livre de Vera. Vera, de toute façon, ne prenait aucun soin de ses livres; elle ne cessait de les relire. Il se pencha, afin d'en voir le titre, voir ce à quoi Lucy avait pu attacher plus de prix qu'à sa conduite envers son mari, durant cette journée. Les hauts de Hurlevent. Il ne l'avait jamais lu, mais il se souvint d'avoir entendu dire que c'était une histoire morbide. Elle aurait pu trouver mieux à faire pour meubler cette première journée dans sa nouvelle demeure que de le laisser seul pour lire un roman morbide!" p.190

"Au petit déjeuner, il annonça à Twite, qui sursautait chaque fois qu'on lui adressait la parole: "Mrs Wemyss arrive aujourd'hui."
Le cerveau de Twite fonctionnait très lentement, ce qui était dû au fait qu'il passait le plus clair de son temps à sommeiller dans son sous-sol. Pendant quelques minutes - il en tressaillit - , il pensa que Monsieur avait oublié que Madame était morte. Devait-il le lui rappeler? Cruel dilemme... Heureusement, il se souvint à temps de l'existence de la nouvelle Mrs Wemyss, et put encore dire: "
Bien, Monsieur", sans trop hésiter." p.245