"William Blake, le Génie visionnaire du romantisme anglais"

Publié le 23 mai 2009 par Jb

Grâce aux efforts conjugués du musée de la Vie Romantique, du Petit Palais, de Michael Phillips (grand spécialiste de Blake et commissaire invité) et d’Yves Bonnefoy, qu’il n’est pas besoin de présenter (ou alors c’est par là), il est encore possible (jusqu’au 28 juin 2009) d’aller admirer au Petit Palais environ 150 dessins, gravures, enluminures, livres et aquarelles de William Blake prêtés par de grandes institutions britanniques.

William Blake (1757-1827) est évidemment beaucoup plus connu dans son pays, l’Angleterre, que dans le nôtre, même s’il est quand même difficile d’ignorer, lorsqu’on s’intéresse un minimum à l’art en général, tout de cet artiste qui fut à la fois poète, peintre et graveur.

Pour ceux qui, en outre, auraient vu l’excellent film Dead Man de Jim Jarmusch, ils se rappelleront sans doute que le héros du film, incarné par Johnny Depp, s’appelle William Blake (même s’il n’est pas le William Blake "historique") et que son acolyte, l’Indien bizarre, cite sans cesse des vers de Blake, croyant qu’il a affaire au poète et peintre anglais !

Bref ce n’est pas tous les quatre matins que les œuvres picturales de William Blake sont exposées dans notre pays : la dernière exposition en date remonte à 1947 (avec le soutien de Gide). La rétrospective qu’abrite aujourd’hui le Petit Palais est donc d’autant plus précieuse et importante.

L’exposition est présentée de façon chronologique, rendant grâce au parcours de Blake, lui qui fut graveur de profession et qui, chemin faisant, peaufina ses techniques jusqu’à les élever au rang d’art majeur. Elle permet d’embrasser toutes les facettes de son talent, de mieux comprendre à la fois ses techniques, ses obsessions thématiques et formelles, sans oublier les circonstances ayant conduit l’artiste à produire ses œuvres.

Ainsi, l’importance du mécénat dans les compositions de Blake est majeure : par exemple William Hayley qui lui commanda une série de 18 portraits de poètes et penseurs majeurs de l’histoire universelle (parmi lesquels, exposés, Dante, Milton ou Voltaire) ; ou bien encore Joseph Thomas d’Epsom, qui entre autres lui confia des illustrations pour le Paradis perdu de Milton ; ou enfin Thomas Butts qui commanda à Blake des suites d’illustrations pour la Bible ou la Divine Comédie de Dante.

Car William Blake ne fut pas reconnu comme un grand artiste de son vivant : il fallut près d’un demi-siècle après sa mort pour que sa patrie le considère avec les honneurs qui lui étaient dus. Sans ces commandes, peut-être le graveur n’aurait-il pu subsister ni livrer ses chefs-d’œuvre.

Ce qui caractérise William Blake dans l’ensemble de ses compositions, c’est une inspiration pour le moins mystique, sans doute parfois hallucinée, qui se nourrit de visions, de prophéties, de grands souffles épiques et religieux, de dialogues également avec son frère mort, Robert. Cette exaltation extrême est comme contrebalancée par la précision du trait, un peu comme si l’art de Blake parvenait à faire la synthèse entre le mouvement néoclassique, les grands artistes de la Renaissance (Raphaël, Michel-Ange, Dürer) et même les enluminures et le gothique médiéval, mais y incorporait le souffle novateur du romantisme en anticipant, par endroits, le surréalisme qui naîtra un siècle plus tard.

Cette inspiration prophétique est également très marquée par un manichéisme fort qui s’exprime dans la représentation du Bien et du Mal, de la tristesse et de la joie, et qui donnent aux compositions de Blake quelque chose de toujours très tendu, très frénétique, parfois proche du délire.

Le manichéisme est d’ailleurs accentué par une sorte de contradiction au sein même des conceptions philosophiques et esthétiques de Blake. Car le poète et peintre est tout à la fois très exalté vis-à-vis des mouvements révolutionnaires qui fleurissent aux Etats-Unis puis en France, lesquels sont quand même largement véhiculés par les idées des philosophes des Lumières, et parallèlement très hostile à la Raison en tant que telle, dès lors qu’elle empêche l’inspiration, l’imagination et la vision de s’exprimer et tend à "désenchanter" le monde.

Blake se créant une sorte de mythologie personnelle, il met ainsi en scène Urizen qui représente la froide raison et ses impasses (comme il l’avait fait avec Newton), en quelque sorte antithèse d’Orc, le libérateur et révolutionnaire affranchi de l’oppression, permettant à la fantaisie de s’exprimer et qui apparaît au centre d’autres de ses œuvres.

Qu’il invente ses propres créations mythologiques ou qu’il reprenne les grands auteurs classiques (Dante, Shakespeare, Milton), William Blake a la même façon de faire coexister une certaine quiétude poétique (voire religieuse) et les images infernales et apocalyptiques, ne cessant jamais de naviguer entre la simplicité et le chaos.

Par la fusion qu'il parvient à imprimer et graver (au sens propre comme au sens figuré) entre le texte et l'image, par l'effort quasi-intenable pour concilier maîtrise technique et souffle de l'inspiration, par la diversité des thèmes embrassés qui reflètent les grandeurs et misères de l'âme humaine, par la reprise de motifs incessamment perfectionnés et transformés sur des années, par la variété des techniques picturales employées, William Blake est une version de cet "artiste total" comme on les fantasme. L'exposition du Petit Palais permet par instants de toucher cette réalité du doigt.

La pitié, William Blake

Newton, William Blake