Alain Badiou “L’Hypothèse communiste”

Publié le 25 mai 2009 par Colbox


Le capitalisme boit la tasse, Marx surnage
Par ERIC AESCHIMANN
Libé, 23/05/09

A la mi-mars, à l’ université Birkbeck, à Londres,s’est tenu un colloque intitulé «L’idée du communisme». Les orateurs se voyaient soumis à une condition que le philosophe Alain Badiou, l’un des organisateurs, décrit ainsi dans son dernier livre, L’Hypothèse communiste (1) : «Quelle que soit leur approche,ils avaient à soutenir que le mot “communisme” peut et doit retrouver aujourd’hui une valeur positive.» De grands noms de la philosophie contemporaine avaient répondu à l’appel : le français Jacques Rancière, l’italien Toni Negri, l’américain Michaël Hardt, le slovène Slavoj Zizek. Même le Financial Times a éprouvé le besoin d’annoncer la rencontre, non sans cacher sa désapprobation. D’ailleurs, quelques semaines plus tard, le quotidien de la City publiait une analyse du prix Nobel de l’économie Amartya Sen commençant par une citation… de Lénine !

Discrédité par l’expérience soviétique et ses suites chinoise, albanaise ou coréenne, le communisme est de retour. On pourrait l’appeler Marx 2.0. Ou encore : Communistes, saison 2. Le scénario reste à écrire, mais certaines scènes sont déjà en cours de tournage. Toutes, du reste, ne sont pas convaincantes. Les ventes du Capital progressent, mais les niveaux restent raisonnables : 6 000 exemplaires en un an pour l’édition Folio.

Internet. L’autocollant «Rêve générale», qui a fait un tabac lors des dernières manifestations contre la crise ou le culte persistant de Che Guevara (posters) apparaissent d’abord comme une façon de jouer avec la mythologie révolutionnaire. Plus significatifs sont la multiplication des discussions sur Internet. Y compris là où on ne les attendrait pas, comme ces 175 contributions au débat «Retour du communisme» lancé par le site developpez.com, qui se veut «club des professionnels de l’informatique». De même, inconnus du grand public il y a dix ans, des philosophes comme Jacques Rancière, Toni Négri ou Alain Badiou, tous nourris de marxisme, sont désormais sollicités régulièrement par les médias.

En fait, c’est la réalité économique elle-même qui change et semble se charger d’apporter une confirmation posthume aux postulats communistes. La nationalisation massive du secteur bancaire aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les aides au secteur automobile des deux côtés de l’Atlantique ou encore la timide amorce d’encadrement des revenus des grands patrons sont venus invalider le credo reagano-thatchérien selon lequel «l’Etat n’est pas la solution, c’est le problème». Symétriquement, jadis vénéré, le marché apparaît désormais comme une source de dérèglements. «Les privatisations tous azimuts, celles du vivant, du savoir, poussent les gens vers le communisme. Il y a une perte brutale de légitimité du mythe libéral», se réjouit Daniel Bensaïd, philosophe, militant du NPA et auteur d’un Marx illustré par Charb (La Découverte).

Paradoxalement, certains experts de la finance ont également replongé dans les œuvres pour mieux comprendre comment le capitalisme avait pu à ce point se fourvoyer. Dès 2002, The Economist publiait un dossier sur l’auteur du Capital. Jacques Attali, ancien sherpa de François Mitterrand, lui a consacré en 2005 une biographie détaillée. «Marx a vu venir la mondialisation, souligne-t-il aujourd’hui. Il fut le théoricien du capitalisme, non du socialisme.» Même Alain Minc, conseiller de plusieurs PDG français, aime citer Marx et, en octobre dernier, s’exclamait, sur RTL : «Je suis le dernier marxiste français, à certains égards !»

«Biens communs». Relire Marx pour analyser le capitalisme ou pour l’abattre ? Pour comprendre le monde ou le transformer ? Aussi vieille que le communisme, l’ambiguïté ressurgit, intacte et inévitable. Mais, que l’objectif soit militant ou purement intellectuel, le retour de l’idée communiste a pour immense vertu de réintroduire dans le débat politique l’idée que tout n’est pas privatisable, qu’il existe des «biens communs». Dans le monde anglo-saxon, commons est devenu un terme usuel pour désigner les biens et services qui devraient être accessibles à tous : médicaments, logiciels, musique, savoir universitaire, mais aussi eau, santé, éducation. Accessible, donc, d’une façon ou d’une autre, gratuit : «L’avenir du mot communisme, pour moi, c’est la gratuité», résume Jacques Attali. D’ores et déjà, des sociologues ont forgé l’expression de «communisme cognitif» à propos du partage des savoirs sur Internet.

Un feu de paille ? Animateur de l’émission Ce soir ou jamais, sur France 3, Frédéric Taddéï a organisé plusieurs débats autour de la critique du capitalisme. «On assiste à la montée en puissance des antilibéraux et des marxistes. J’ai été journaliste à Actuel et, de Jean-François Bizot, j’ai appris qu’il faut surveiller les contestataires, de quelque bord qu’ils soient. Car c’est d’eux que viennent les idées de demain.»

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