Journalistes de tous les médias, unissez vous !

Publié le 26 mai 2009 par Anthony Hamelle

Depuis hier, la twitto-sphère est en émoi suite à la publication d’un article de Xavier Ternisien dans le Monde intitulé « Les forçats de l'info ».
L’angle de l’article ? L’émergence d’une nouvelle espèce de journalistes sur-exploités, en charge d’alimenter le Canon à dépêches des médias en ligne.
Un extrait, parmi d’autres, devenu déjà célèbre : « Les OS de l’info.”C’est Bernard Poulet qui a lancé la formule dans son livre choc paru en janvier, Les journaux et l’avenir de l’information (Gallimard). On dit aussi “les journalistes “low cost”“, ou encore “les Pakistanais du Web”. “Ils sont alignés devant leurs écrans comme des poulets en batterie”, constate, effaré, un journaliste de L’Express, en évoquant ses confrères du site Web Lexpress.fr. ».

De plus, l’article dénonce une sur-précarisation de ces « nouveaux acteurs », en comparaison notamment des journalistes classiques de la presse papier. Une situation qui n’est pas sans rappeler le mouvement des stagiaires et qui avait été mise en avant par Bakchich.

L’article se conclut bizarrement sur une mystérieuse « conscience de classe » de ces « intello précaires ». Et d’ajouter : « Des esclaves, les OS du Web ? Sans doute, mais consentants pour la plupart. Et s'ils sentent peser dans leur dos les regards méprisants ou apitoyés de leurs confrères du papier, ils se consolent en se disant que l'avenir leur appartient. ».
Depuis hier donc, les réactions s’enchainent (normal, les concernés passent leur temps devant des écrans, c’est même à cela qu’on les reconnait) aussi rapidement que des jouets dans une usine pakistanaise.
Globalement, les commentaires ne sont pas tendres avec notre ami Ternisien. La métaphore des ouvriers de l’information, victimes consentantes d’un système qu’elles essaient de faire évoluer passe très moyennement. On les comprend.
Voir notamment ici, là ou encore .
De son côté, Mélissa Bounoua, qui admet se reconnaitre (un peu) dans le portait esquissé soulève un point que n’aborde pas (volontairement ?) l’article : celui du modèle économique des sites de médias.
Une fois que l’on a dit cela, admettons que l’article soulève un point intéressant : cette précarisation des acteurs de l’information sur Internet n’est elle pas finalement le reflet malheureux du déni de la presse française face au Web ?
Derrière cette situation (qui doit correspondre à quelque chose, comme le laisse penser les différents témoignages), on peut se demander si ce n’est pas finalement la précarisation globale du métier de journaliste qui est en question ?
Dans sa thèse professionnelle intitulée La presse sur Internet peut-elle être rentable ?, publiée en décembre dernier, Mathieu de Vivie évoquait déjà cette situation des journalistes du web : « Ceux-ci sont souvent sous-payés, travaillent à un rythme infernal et sont souvent méprisés par leurs collègues de l'édition papier. Ils accomplissent majoritairement du travail de « Desk » (ils ne vont pas sur le terrain) en reprenant et réécrivant les dépêches d'agence, sans investigation poussée : le but n'étant pas d'obtenir de la qualité mais de la quantité et de l'information "brute"5. ».

Intéressant également, il rappelle dans son mémoire le communiqué commun publié par des associations de journalistes lors des Etats Généraux de la presse écrite : « Nous affirmons que la qualité de l’information proposée aux citoyens diminue avec la précarisation de nos métiers : peu de volonté pour mener des enquêtes dignes de ce nom ; peu de moyens pour produire une information originale ; peu de temps pour contrôler les sources. Nos droits sont constamment remis en cause et la précarité s’aggrave dans nos rangs. ».
Bref, la situation n’est ni nouvelle ni uniquement liée à une catégorie. Mais elle existe, au moins en partie.
L’article et les réactions épidermique qui l’accompagnent révèlent surtout, en creux, un réel décalage entre 2 mondes, le papier et le numérique, qui ont encore bien du mal à se parler et se comprendre (voir notamment ici). C’est pourtant grâce l’addition de l’expérience des uns et du talent des autres que la presse française assurera son salut.
Alors au lieu de vous engueuler, unissez-vous !
Et parlez vous, car apparemment, ce n'est pas forcément le cas :-(.
Un dernier mot, à propos du premier justement : forçats. Il dérange certains. Pour moi, le mot revêt une certaine noblesse. On parlait des forçats de la route à propos des cyclistes Bartalli, Gimondi et autres Merckx que l’on admirait en noir et blanc sur les pentes des cols du Tour de France. A quand un groupe Facebook des forçats de l'info ?