En cacher une autre

Publié le 27 mai 2009 par Menear
Le week-end dernier, H. et moi nous sommes rendus au Grand Palais pour l'exposition Une image peut en cacher une autre (dans la rue adjacente, quelques dizaines de mètres plus haut, l'entrée d'une exposition Andy Warhol que nous aurions pu visiter mais qui ne s'est pas imposée à nous). Nous avons attendu une heure plein soleil que le flux de visiteurs devant nous se désengorge, ensuite nous sommes entrés. Il commençait déjà à faire chaud, mais rien en comparaison des lourdeurs polluées de ce lundi.

Je ne sais pas exactement combien de temps nous sommes restés à l'intérieur. Les distorsions spatiales, temporelles, projetées parallèles sur tous les murs du musée nous ont conduit dans un sas hors temps, ailleurs. Chacun des tableaux présentés dans cette exposition avait pour point commun de présenter des images tronquées, des double-sens de lecture, des dissonances amenant à, projetant vers, des images cachées en creux d'autres images, comme le résume si bien l'intitulé. La surface des murs, des toiles, n'était plus vraiment plate. Nous avons descendu des escaliers d'Escher qui ne descendaient pas, nous avons emprunté des couloirs qui ne menaient nulle part. Le labyrinthe s'est ensuite resserré, les œuvres étaient parfois tatouées directement au plafond, d'autres bougeaient sur écran LCD, des miroirs déformaient la réalité puis la régurgitaient ensuite dans son ordre-origine. Les formes, visages et choses que nous avons vus n'étaient pas réellement ce qu'elles étaient ou ce qu'elles pouvaient être. L'art est un jeu, l'art est manipulation (dans l'ordre d'importance qu'on voudra, sur fond musical perdu de Debussy).
Nous avons traversé cette exposition, peut-être ne nous est-il pas resté grand chose. Mes souvenirs, très probablement, n'en conserveront qu'un : ce tableau dont je n'ai relevé ni le titre, ni le peintre (il était sur la droite). Après recherches intensives sur Google Images et autre, je ne suis pas parvenu à le retrouver. Il ne me reste qu'une image inexacte (voilà mon souvenir en question) qui ne pourra jamais être complétée.
Le tableau présente le baptême du Christ. Il n'est pas très grand, format rectangulaire aligné vertical. La ligne de fuite de la toile est un fleuve qui s'enfonce au fond du panorama. Il est le garant de l'équilibre et de la symétrie. Au premier plan un Christ adolescent, nu, côtes saillantes, une main cache-sexe, l'autre en l'air. A côté de lui Saint Jean Baptiste, évidemment. L'eau doit couler ou s'apprête à ou vient juste de. Dans le fond du ciel, Dieu en médaillon observe la scène. Central, il tient l'équilibre là où le fleuve ne peut plus suivre. Je ne sais plus très bien ce qu'il y a sur les berges, au bord de l'eau. Rien peut-être. Sur le côté gauche, surplombant la scène, deux silhouettes, elles m'ont paru banales aux premiers regard. C'est H. qui m'explique que l'incongruité de la scène provient moins de la présence du diable sur cette colline gauche que d'un deuxième Christ à ses côtés.
C'est le principal reproche que l'on pourrait faire à cette exposition : s'agissant d'une présentation ludique, le spectateur est placé devant le dilemme du tableau. Chaque œuvre est une énigme à résoudre. Un point particulier est mis en valeur : celui qui permet de basculer d'un sens de lecture vers un autre. Il y a parfois des solutions cachées (retourner le paquet de céréales pour connaître la réponse à la question), décalées tu tableau. Principal reproche : de cette manière, le tableau en est réduit à un Où est Charlie ? généralisé. Chaque œuvre est une énigme à résoudre. Une fois résolue, passons à la suivante. H. et moi n'avons pas résolu grand chose. Nous avons essayé (essayé) de faire abstraction de ces histoires.
Ensemble ils observent la scène dans une boucle temporelle paradoxale. Ils ne se disent rien. Ils ont la main tendue (laquelle ?), je crois. Ils sont presque main dans la main et dans son médaillon, en l'air, Dieu ne les voit pas. Sans eux l'équilibre du tableau serait parfait, sobre. Leurs deux corps déposés à gauche cassent la symétrie de la scène. Le baptême perd son sens fondateur, il devient prétexte à la manipulation temporelle. Le diable voit ce premier Christ baptisé et dit à l'autre : voilà l'acte premier qui t'a conduit vers moi. Autour, l'eau est calme et les pelouses bien vertes. Sans ce Christ à gauche auquel je veux bien croire (I want to believe), ce cliché déteindrait, sans raison d'être et sans passion.
Nous sommes ressortis, il pleuvait déjà et la chaleur tombait. Plus tard, le long des Champs Elysées, nous avons déjeuner dans un restaurant qui n'existait pas.