Charlie Hebdo: A mourir de rire

Publié le 04 juin 2009 par Careagit

Qu'elle est belle, cette Une du Charlie Hebdo. Un habile coup de crayon, un peu de rouge et deux phrases chocs qui lient les deux principaux événements d'actualités de la semaine, les élections européennes et le crash de l'avion Air France entre le Brésil et la France. Sur Twitter, nous en avons débattu avec Jacques Rosselin, le taulier du canard Vendredi.
Jacques trouve cette Une "pas drôle", simplement pas drôle. Je la trouve scandaleuse.
A vrai dire, ce n'est pas le message qui me scandalise, c'est d'abord le timing de la vanne. Certes les élections européennes se déroulent cette semaine. Peut être fallait-il alors, trouver une autre idée... Peut-on rire de tout ? Le débat va, une nouvelle fois refaire surface... A ce titre, il est fort intéressant de réécouter la chronique matinale du flingueur numéro 1: Guillon. Ce dernier parle bien du crash. Comme il le dit, il en est presque obligé. Il évite pourtant soigneusement de verser dans l'humour trash. Humour dans lequel n'a pourtant pas hésité a se vautrer Charlie Hebdo. Le trash fait vendre, au moins autant que la polémique. Alors allons-y !
Outre donc cet humour plus que douteux, le plus croustillant reste en fait, le billet publié ce jour sur le site de l'hebdomadaire. J'ai sélectionné quelques passages.
Apprenez à lire un dessin, analphabètes crétins! Comme s’il était question de se foutre de la gueule des victimes! Il s’agit de se foutre de la gueule de la mort! Il s’agit de tourner en dérision la manière dont nos confrères se repaissent du malheur des victimes d’un fait divers géant. Et rien que ça: un fait divers [...] Et quels sont les voyeuristes qui traquent chez les familles de victimes la moindre trace de larme, le moindre hoquet de désespoir pour l’étaler en quadrichromie? Les dessinateurs de Charlie? Les charognards ne veulent pas qu’on rie des victimes qu’ils dépècent… Mais ce ne sont pas des victimes qu’on rit, ce sont des charognards !
Croustillant n'est-ce pas ?Charlie s'érige donc en grand penseur de la presse française. En fait, Charlie a plutôt raison de railler les confrères. Charlie a raison de parler de ces charognards qui se font un malin plaisir à publier, et en masse s'il vous plait, les photos des familles forcément abattues. J'avais d'ailleurs publié une note il y a quelques jours pour exprimer mon malaise à ce sujet. Ce crash a ceci de si particulier qu'il n'est, effectivemment, qu'un fait divers, de grande ampleur certes, mais un fait divers, véritable cash machine pour la presse et sujet passionnant pour les journalistes. Mais ce crash c'est aussi et surtout un point d'interrogation majestueux. Pas de traces, pas d'indices, plus de vies, plus rien. Rien. Pourtant, il faut en parler. Alors parlons du Rien.
L'événement a eu lieu Lundi, depuis ce temps, le téléspectateur/auditeur/lecteur a pu se confronter à peu près toutes les thèses existantes sur les orages tropicaux, les spécificités techniques de l'Airbus A330, l'historique des crashs de la flotte de l'avionneur européen. Nous sommes 4 (3 pour les habitués qui se sont précipités sur ce billet) jours plus tard, le silence n'est que plus assourdissant et la pitoyable attitude des charognards demeure.
En se fendant d'une telle argumentation, Charlie ne se trompe pas. Sa Une, en revanche, ne s'en trouve pas plus justifiée. Au contraire. A mon sens, c'est un clair manque de respect vis-à-vis des familles de victimes qui ne connaissent rien des événements, et ne savent même pas si elles pourront, un jour, remettre "la main" sur les dépouilles des membres de leurs familles... Pour cela, elles méritent bien la paix. Charlie le dit dans son argumentation mais entre dans la danse médiatique en publiant cette Une. Où est donc la différence entre eux et les charognards ? Chacun combat avec ses armes... La presse traditionnelle fait de l'émotion et la presse plus "acide" fait de la polémique.
Il ne faut pas trop en vouloir à l'hebdomadaire. Après tout, lui aussi doit vivre.
Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse.