Home, Yann Arthus Bertrand

Publié le 05 juin 2009 par Chezfab
Le film de Yann Arthus Bertrand (appelez le YAB par tout le monde) a été lancé.

Je suis allé le voir.

Pour bien marquer que ce film est « économiquement responsable », le nom du film était reconstitué par les nombreuses marques (Fnac, etc…) du groupe PPR (Pinaut Printemps Redoute). Ca en dit déjà long…

Commençons par l’image. Magnifique, il est vrai, lissée, posée, pensée, expurgée et finalement la nature se retrouve iconisée (même le pire). Et c’est là le hic. Yann Arthus Bertrand ne nous présente pas la nature mais « l’église nature ». Le sanctuaire, le côté icône d’une vie perdue… Je vais y revenir plus bas.

Le commentaire : c’est pas mal, beaucoup d’informations. Mais surtout pas mal de survol et d’écologie capitaliste. La science nous sauvera tous, priez mes frères ! C’est même parfois affligeant de béatitude sur certains sujets. Pas que je ne sois pas compréhensif, mais plutôt qu’à force de vouloir à tout prix faire dans le positivisme (voir un atavisme inversée), le commentaire tourne plus à la messe pour des fidèles (captivés par l’image iconisée et la musique pas mal mais très "religieuse") qu’autre chose.

Car attention : le film est là pour avertir et pour éveiller les consciences dans la joie et la bonne humeur (j’exagère à peine), et sans choquer le spectateur (et oui, faut que ça entre dans les salles quand même, et les sponsors ne seraient pas contents sinon…).

Car on est là pour vendre des solutions, et si possible des solutions qui soient compatibles avec les grandes industries. Ainsi parle-t-on des déchets mais… en oubliant un peu beaucoup les déchets nucléaires (doit on rappeler ici, comme le réseau « Sortir du nucléaire », l’attachement de Yann Arthus Bertrand à cette technologie ?). Ainsi parle-t-on de réchauffement climatique par la lorgnette du « c’est la faute aux consommateurs et à chacun de nous » sans jamais parler trop fort de normes et de contraintes trop inquiétantes pour les producteurs (fabricants). La taxe, que dis-je, le marché carbone devient le Graal malgré ses nombreuses lacunes déjà démontré.

Et c’est toute l’ambiguïté du propos : le film sert à moindre frais de greenwashing géant pour PPR, mais en plus n’égratigne pas ceux qui financent l’association de Yann Arthus Bertrand. Procédé malsain ? Je le crains. Car en oubliant ces « grands financiers», en se posant en non défenseur de la démocratie (comme tant d’autres) en affirmant qu’il faut dépasser les clivages, en imposant un positivisme presque grotesque tant le sujet est sérieux, le film loupe pour moi son but affiché, mais pas sa cible.

Son but affiché, car il ne réveillera pas les consciences tant il est lisse et assez peu porteur. Par contre il va réveiller la « bien pensance » du « je suis plus écolo que l’autre parce que moi je ferme mon robinet ». En gros, au lieu de réveiller les consciences et donc de rendre le combat politique, au sens noble du terme, le film en fait un combat de « petite portée » et quasiment religieux. Cela n’a rien d’étonnant vu que le réalisateur a réinventé le système des indulgences (polluez ici, payez votre droit et lavez vos pêchés grâce à mon association « Good Planet » qui compensera carbone tout ce que vous ferez… Ce qui est faux et ridicule d’un point de vue scientifique minimal).

En prime, les révélations du « Canard Enchainé » de cette semaine prouve une chose qui est plus que dérangeante : Yann Arthus Bertrand a créé « GOODPLANET » (ONG) qui se fixe pour objectifs la protection de l’environnement et l’écologie. Pourquoi pas, mais allons un peu plus loin.

A but non lucratif, il est malgré tout permis à l’association de collecter dons et legs de toutes provenances. AIR France, BNP Paribas, PPR, etc… Donc de gros producteurs de CO2 qui se voient « blanchis » par les dons fait (publiquement). Mais cela va plus loin : Michèle Alliot Marie envisage de passer l’association au statut « d’utilité publique » ! Là c’est le pompon et la consécration pour Yann Arthus Bertrand et pour le greenwashing géant. Plus fort que Hulot et sa « Fondation ».

Mais surtout, le merchandising autour de « Home » ne sera pas gratuit. A lui le retour sur investissement et surtout les bénéfices. Il y a donc deux visages assez peu compatibles : celui du Yann Arthus Bertrand écologistes professoral (et prêtre en son église) et celui de Yann Arthus Bertrand homme d’affaire baroudeur ayant toujours su jouer avec les envies du « bon peuple » (il suivait le Paris Dakar quand cela plaisait par exemple), peu scrupuleux pour faire du fric. Un ami des Pinaut et autres, tous prêts à vendre leur mère pour donner une image positive de leurs saintes activités polluantes. Un peu comme Al Gore qui prend aujourd'hui 100 000 € par conférence...

Alors je sais, certains diront que « c’est toujours ça de pris », que « le film touche quand même du monde ». Oui, comme les religions sont pour certains un moyen d’émanciper l’homme.

Mais pour moi ce film est à la prise de conscience (qui entraîne le politique) ce que l’équité est à la solidarité, ce que la communauté est à la fraternité, ce que Bernard Henri Lévy est à la philosophie : un truc assez proche mais pas vraiment ça quoi.

En créant une sorte de religion écologique sous-jacente qui accompagne magnifiquement le green business d’un groupe comme PPR, « Home » participe de ce qui relève d’un contrôle des masses pour éviter l’incontournable et indispensable révolution des esprits (et révolution tout court d’ailleurs). Celle qui fera prendre conscience de l’absurdité de nos modes de vies, du fait qu’il vaut mieux vivre que gagner toujours plus, etc…

Et au fait, pensez vous vraiment qu'un film capable de faire se lever les foules contre le système en place, capitaliste, productiviste et consumériste aurait une telle couverture ?

Un film finalement assez ambitieux visuellement et dans les moyens de diffusion, mais, au fond, bien discutable… Préférez lui "Nous resterons sur Terre".


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A notrer : ce point de vue de Iegor Gran publié sur Libération.fr