Au petit théâtre des cruautés (5): Avoir le dernier mot

Par Deathpoe

"Tu voudrais pas plutôt te taire et venir me sucer?
-Oh pas ce soir, je ne suis pas d'humeur.
-Question d'habitude.
-Qu'est-ce que ça veut dire?
-Rien. Tais-toi maintenant."

Il sort de la pièce, passe dans la salle-de-bain et se dirige vers la cuisine. On n'entend aucun pas, aucune porte qui s'ouvre. Il revient dans la pièce principale, semble chercher quelque chose des yeux, s'assoit finalement.
"Encore un verre, c'est le combientième ce coup-ci?
-J'en sais rien, sixième peut-être. T'as pas un boulier pour que je les compte?
-C'est ça. tu crois que j'ai envie de traîner un alcoolique?
-Tu peux toujours parler, je ne pense pas encore être un poids pour toi. Et comme tu n'es d'humeur pour rien, je m'en jette un autre, par pure distraction.
-Boire seul, tu parles d'un amusement.
-Ca n'en reste pas moins "boire". Si tu préfère, je te laisse une seconde chance.
-Comment ça?
-Et bien viens, à genoux, et je t'appuierai sur la tête, d'avant en arrière, je suis sûr que ça t'excitera.
-Non merci, on me l'a déjà fait, ça ne me plaît pas du tout. Tu vois, c'est bon, tu comprends?
-Ouais ça ira.
-Tu comprends donc?
-Ah tu prends ton pied là, à me foutre encore une fois dans la gueule tes belles expériences de jeunesse.
-tu n'avais qu'à en profiter tant que tu en avais l'occasion. Mais bon, quand on voit tes exs.
-Ouais je sais, moches et connes. Je l'ai déjà assez entendu."

Il se relève, tâte ses poches à la recherche de son briquet et empoigne la bouteille, boit au goulot et se sert un autre verre.
"Tu ne dis plus rien. Je t'ai vexé peut-être?
-Va chier.
-Oh, tu t'en ressers un? C'est que je t'ai vexé.
-...
-Tu ne veux pas aller au bar du coin de la rue? Je crois que les poivrots t'ont réservé une place.
-Et toi, tu voudrais pas inviter tous les mecs avec qui tu as couché, ou que tu as juste sucés, et on fera un barbecue comme ça.
-T'aurais aucune invitation à envoyer, je voudrai pas te faire ça.
-Allez, promis, j'essaierai de ne pas être le premier à rouler sous la table. On papotera un peu, chacun se racontera ses petites expériences, je leur dirai quels veinards c'étaient, et à quel point j'en ai à souper de tes problèmes. Si tu veux, je vous regarderai même vous amuser tous ensemble.
-Tu n'es qu'un ivrogne doublé d'une méchanceté vraiment dégueulasse.
-Content de l'apprendre. Dans ce cas, tu n'auras qu'à en parler à l'un de tes exs, ou un autre mec avec qui tu aurais eu l'immense joie de sortir, ou un de ceux qui t'a payé le restaurant dans l'espoir de te baiser.
-Oui, exactement.
-Et lorsque l'un ou l'autre te parlera de ses problèmes de couple, tu pourras évoquer le tien, à savoir quel alcoolique sans ambition je fais.
-Bonne idée.
-Et tu ne parleras certainement pas de ce que j'ai à subir grâce à toi, jusqu'au moment où l'un ou l'autre se rappellera au bon souvenir d'une fantastique relation.
-Si c'était à refaire, je n'hésiterai pas.
-Tu m'étonnes, c'est ce qu'il y a de bien avec les lycéennes et les jeunes étudiantes: elles sont prêtes à brader chaque partie de leur corps, leurs cuisses sont fermes et elles ne se laissent pas envahir par les problèmes des brillants et responsables adultes en devenir que nous sommes. Vraiment un bon plan, la lycéenne en chaleur.
-Genre, tu en sais quelque chose.
-Tu marques un point.
-Et fin de la discussion."

A nouveau il change de place, et glisse en quelques pas près de la fenêtre ouverte en battant.
"Fais-donc la vaisselle, ça me distraira un peu."
Un partout.
(L'intrigue entière constitue le contexte parfait d'un dialogue. Dans un cadre bien défini, ce dialogue totalement fictif serait en quelque sorte un point de non-retour narratif. Il s'agit de se placer dans un système où les rapports de force sont, quoiqu'il advienne, les plus équitables possibles. Les mots doivent se suffire à eux-mêmes, à la fois pour le réalisme et l'aspect direct qu'offre le dialogue.)