Monsieur le Vent

Par Mafalda

Dès qu'il voit poindre aux branches les premiers bourgeons, et qu'apparaissent les premières fleurs blanches et roses des pommiers et des pêchers, M. le Vent se frotte les mains et prépare en cachette ses giboulées. Mars arrive, les giboulées sont prêtes... M. le Vent va s'amuser.
Il vient d'abord en sourdine étudier le terrain. A pas menus, il trottine par les carrefours et les ruelles. Les bonnes gens qui se sentent frôlés murmurent : "Il fait frisquet ce matin !" Les nez rougissent, les petites mains se fourrent dans les manchons, et M. le Vent sourit dans sa barbe et s'amuse à produire de petits tourbillons qui courent, alertes, sur le trottoir.
Mais soudain, vlin ! vlan ! les volets claquent contre les murs. Un gros monsieur s'affermit sur ses jambes et dit : "Bon ! voilà l'ouragan !" Et toutes les mains se cramponnent à tous les chapeaux.
Près d'un passant maigre, sur lequel glisse l'air, en sifflant, une dame énorme attaquée de tous les côtés voudrait bien retenir sa capote qui flotte, son boa qui s'envole, sa levrette que la tempête balance au bout d'une corde ! - Vlin ! vlan ! vlin !
Et M. Bob qui a justement choisi ce beau temps pour faire une promenade sur le boulevard avec son précepteur !
"C'est ça qui est une riche idée, n'est-ce pas, Monsieur ? Vous allez sûrement en profiter pour m'expliquer la fable du Chêne et du Roseau... Oh ! là là ! mon chapeau ! Monsieur ! Monsieur ! mon chapeau !... Le voilà dans l'égout !"
Vlan ! vlin ! Vlan ! Aux étalages c'est un cliquetis de vitres brisées.
"Mauvais temps pour monter la garde !" dit un fantassin qui rentre au quartier.
Le père Guépin, commis d'assurance, qui a promis d'aller dîner ce soir avec sa fille chez une vieille tant de Montrouge, s'est mis en route.
Ils se sont revêtus, lui de sa redingote neuve, elle de sa plus belle robe.
"Oh ! Papa, pourvu qu'il ne pleuve pas ! dit Mademoiselle.
- Je crois que j'ai bien fait tout de même, répond le père Guépin, de ne pas mettre mon chapeau haut de forme !
- Prends toujours ce "tuyau de poêle, en attendant !" gronde en passant M. le Vent qui lui fait descendre une cheminée sur la tête...
Vlan ! vlin ! vlan !
Un pot de fleurs dégringole du cinquième étage d'une maison.
Seul M. Loustic éprouve du plaisir à ces mésaventures. Il a enfoncé son chapeau jusqu'aux oreilles, boutonné son pardessus, relevé son col ; les mains dans ses poches, la canne au port d'armes, il se promène et rit en faisant des "mots".
La corbeille d'un patronnet bascule, son contenu tombe à terre, et le gamin crie à tous les échos :
"Mon gâteau ! mon gâteau qui est perdu !
- Aussi, remarque M. Loustic, quelle idée de sortir par ce temps-là avec un... vol-au-vent !"
Vlin ! vlan ! vlin !
Encore un couvre-chef qui s'enfuit !
"Cours donc après !" murmure M. le Vent, en envoyant le bonhomme décoiffé rouler dans le ruisseau.
Et tout cela se rencontre, se heurte, s'entrechoque, le passant maigre et la grosse dame, la levrette et le bouledogue, le fantassin, la famille Guépin, M. Loustic et le vol-au-vent, pendant que dans les serrures on entend comme un rire aigu et railleur !
M. le Vent s'amuse.

J. JACQUIN