Léonora Miano : "Soulfood équatoriale"

Par Schlabaya
Quatrième de couverture : "La soul food est la nourriture de l'âme des Afro-Américains. Soulfood, nom d'une gargote qui fut l'âme de Douala, donne son titre à cet "Exquis" d'une grande densité, où Léonora Miano se livre à une réjouissante chasse aux trésors du langage gourmand sur les rivages du Cameroun : le jazz, sauce tomate glissée dans les sandwiches saxophones, le solo, plat de morue présidant à un destin amoureux... Entre légendes intemporelles et saynètes prises sur le vif, entre secrets culinaires et conseils pleins d'humour pour détourner les traditions, nous sommes ici conviés à un envoûtant voyage en Afrique équatoriale."
La collection "Exquis d'écrivains", chez "Nil Éditions", "invite les écrivains à dévoiler, autour d'un jeu de mots clés, les secrets de leurs plaisirs gourmands." Dans ce recueil composé de treize courts récits de factures diverses, Léonora Miano, Camerounaise exilée à Paris, évoque avec une gourmandise empreinte de nostalgie la gastronomie métissée de son pays natal. L'influence de la culture afro-américaine est très prégnante : ainsi, les "sandwiches saxophones", très prisés, sont-ils fourrés d'une sauce appelée "jazz". "Chaque marchande a sa recette mais, de loin, on peut savoir que l'ail est un élément essentiel de la préparation. Le jazz, c'est ça : des haricots rouges en sauce. Avec ou sans viande." Les recettes les plus élaborées comprennent des "crevettes séchées secrètement ajoutées à la préparation de base ou à un savant mélange d'ai, d'oignon et de gingembre". L'acte même de manger un tel sandwich relève du grand art : "Arriver au bout d'un saxophone, sans en perdre une miette et sans que les haricots filent vers le sol, requiert une maîtrise accessible aux seuls pratiquants assidus."
Au fil des récits, l'auteur détaille alternativement les plaisirs et les affres liés à la nourriture, dans un pays ravagé par la famine, en proie à la criminalité, à la vénalité et au repli sur soi. L'un d'entre eux met en scène un garçon tenaillé par la faim et contraint à s'adonner au vol. "Les temps étaient durs pour les enfants des rues. La hausse du prix des matières premières avait asséché le coeur des femmes qui vendaient de la nourriture sur les trottoirs. Elles n'avaient plus un grain de riz à offrir en fin de journée. Même contre services, elles ne vous tendaient plus un vilain morceau de caramel aux arachides grillées." Un petit avocat trop mûr, parce qu'il est l'objet de sa convoitise, devient l'enjeu d'une course-poursuite acharnée, lorsque l'enfant décide de le voler, malgré le redoutable châtiment qu'il encourt. "Il était presque certain de courir assez vite pour ne pas se faire prendre. La peur du châtiment infligé aux voleurs lui donnerait des ailes. Il n'avait aucune envie de finir pendu à un poteau électrique, ni que la foule lui enfonce du piment dans les yeux après l'avoir roué de coups."
A travers ces différents récits, Léonora Miano ne brosse pas une peinture idyllique de son pays. "Le Cameroun n'est pas une destination touristique. Pas un pays carte postale. Pas l'image de l'Afrique qui fait rêver ceux qui rêvent encore d'Afrique. Ceux qui connaissent ce pays y vont pour les affaires. Des activités allant de l'exploitation des bois précieux au tourisme sexuel. À caractère pédophile. Je parle du tourisme sexuel." La capitale, Douala, est dépeinte comme "une métropole canaille. Ceux qui viennent faire des affaires au Cameroun savent que Douala les propose toutes. Les tabous ne sont pas sa tasse de thé. La pudeur, pas son fort."
Cependant, l'attachement de l'auteur à sa terre ne fait aucun doute. On le voit à l'oeuvre dans la description du Soulfood, gargote secrète où se côtoient riches et pauvres. "C'était un temple, parce qu'une fois le chemin trouvé, il était ouvert à tous. Personne ne regardait son prochain de travers. Il y avait des nantis, faisant là une halte quotidienne, avant d'aller dîner en famille. Il y avait des miséreux, dont ce repas serait le seul de la journée. Tous étaient assis au même endroit, mangeant avec leurs doigts. Le même plat pour tous."
Un recueil savoureux, mais pousse-au-crime : je ne suis pas sûre de pouvoir le recommander aux gourmands qui, comme moi, ont des kilos à perdre...

Merci à Babélio pour cet envoi !



Autres avis : Cathulu, PagesàPages, Chiffonnette, Bookomaton

Vous pouvez aussi visiter le site de Léonora Miano.