La rupture à tout prix ?

Publié le 25 septembre 2007 par Marianne Dekeyser @IDKIPARL
Le journal Bangkok Post rapportait récemment les résultats d'une étude sur l'innovation menée par AT Kearney auprès de 200 entreprises aux Etats-Unis et en Europe. En synthèse, la société de conseil présente quatre conclusions essentielles :

Si lancer des innovations de rupture est une vraie priorité pour les entreprises, à l'arrivée, l'innovation se traduit plutôt par des améliorations produits ou services (innovation incrémentale) : deux tiers des répondants estiment que leur priorité d'innovation concerne des innovations de rupture alors que seuls 25% de leurs efforts sont concentrés sur le développement de nouveaux marchés, nouvelles offres.

La connaissance du consommateur n'est pas le sésame pour innover : si les entreprises interrogées se donnent les moyens pour mieux connaître leurs consommateurs, plus de la moitié des produits lancés restent "réactifs" au marché (ils répondent uniquement aux besoins latents et ne créent pas de nouveaux besoins).

Les investissements sont "en phase" avec la volonté d'innover, mais pas les ressources. Alors que les dirigeants expliquent dépenser un montant adéquat pour financer les projets d'innovation et respecter les délais nécessaires de déploiement, ils admettent ne pas savoir à qui confier les projets transversaux d'innovation.

Néanmoins, la majorité des entreprises estiment être meilleures que leurs concurrents en matière d'innovation (90% des répondants).

Ce que l'on peut en retenir comme conclusion générale :

  • L'adage qui dit "vouloir c'est pouvoir", ne se vérifie pas toujours et surtout en matière d'innovation...de rupture. De l'idée à la réalité, il y a un pas souvent très difficile à franchir psychologiquement. En effet, mon expérience en innovation m'a montré que dans le cas d'entreprises habituées à innover incrémentalement, quand l'innovation de rupture "apparaît", elle est souvent rejetée. Pourquoi ? Parce que cette innovation remet complètement en question l'offre de l'entreprise, son positionnement etc... L'innovation de rupture vient souvent de nouveaux entrants sur un marché. Un exemple ?
    Pour avoir travaillé dans l'innovation du petit électro-beauté, les pistes de recherche m'ont conduite à un produit complètement en rupture avec le marché : l'épilateur définitif par électrolyse. Le produit, a priori, génial pour les femmes (en bref, au bout de 6 mois d'utilisation de ce produit, elles n'ont plus besoin de s'épiler).
    Le problème, c'est que ce qui vous fait vivre votre entreprise, ce sont les épilateurs électriques. L'idée va donc tuer votre marché ou votre poule aux oeufs d'or...elle est mise au placard.
  • Cette étude révèle bien les fantasmes liés à l'innovation aujourd'hui : innover, c'est forcément être dans la rupture. Se positionner sur la rupture si l'entreprise n'est pas forte sur son coeur de business, c'est un voeu voué à l'échec. Néanmoins, tout bon portefeuille d'innovation comprend l'amélioration de l'existant et des projets plus ambitieux...faut-il dès l'origine les appeler "projets de rupture" ?
    Je ne crois pas qu'il y ait un lien de cause à effet : mon expérience m'a souvent montré que la rupture venait parfois de réflexions sur des projets d'innovation incrémentale et que la volonté de rupture clairement affichée conduisait à des "flops" retentissant.
  • Avant de se positionner sur la rupture, la vraie question préalable consiste à se demander "quelle est ma vision de l'innovation et comment se décline-t-elle en objectifs (voir la note ici) ? Ensuite, et l'enquête d'AT Kearney souligne très bien le manque de cohérence globale, se posent les problèmes de stratégie d'innovation et d'application opérationnelle : comment je génère de nouvelles idées (créativité) et comment je favorise l'innovation (moyens, hommes, culture, process, accompagnement).