Biennale de Venise : encore quelques émerveillements

Publié le 17 juin 2009 par Marc Lenot

Encore cinq pavillons nationaux dans ma liste des incontournables de la Biennale de Venise (jusqu’au 22 novembre). D’abord, difficile à trouver dans un palazzo décrépit, le Mexique présente What else could we talk about ? de Teresa Margolles. Vous y verrez peu de choses, des draps et des rideaux rougis, des seaux avec serpillère dans chaque pièce, comme s’il n’y avait rien, au milieu de ce palais en demi-ruine. Mais ce rien est la mort, celle des 5000 personnes tuées de mort violente au Mexique l’an dernier. C’est leur sang qui est ici, qui tache les tissus exposés ici et là, qui teinte l’eau avec laquelle on lave les parquets chaque jour. C’est le fantôme de leur présence qui hante ces lieux. Il n’y a presque rien à voir et c’est un des spectacles les plus forts de la Biennale. Plutôt qu’une vue du Palazzio Rota vide, voici une photographie de l’installation clandestine au pavillon des États-Unis en avril dernier, où Teresa Margolles suspendit ces suaires tachés de sang pour occulter portes et fenêtre du pavillon. Les néons moralisateurs de Bruce Nauman, installés par la suite au même endroit, en prennent une dimension expiatoire.

 

Dans l’Arsenal, une des installations les plus spectaculaires est celle du pavillon chilien, qui tranche sur la fadeur des autres Latino-Américains. Iván Navarro, avec Threshold, présente un couloir de la mort (ci-dessus), juxtaposant treize portes d’aluminium magiquement habitées par un néon, qui créent une illusion saisissante, comme un arc-en-ciel vers l’abyme, cependant qu’à côté, un puits reflète le mot BED à l’infini : nous sommes en effet sur le seuil, prêts à basculer dans l’irréel, l’illusoire. C’est très simple et très beau (sa troisième pièce, une sculpture cum video, est trop littérale pour avoir la même force).

Alors que tant d’états présentent leur pire art officiel (j’ai cité l’Iran avant-hier, mais c’est tout aussi vrai de l’Arménie, d’Israël ou du Maroc), on ne s’attend guère à être étonné par le pavillon non-officiel de l’Arabie Saoudite au Palazzo Contarini (jusqu’au 2 août seulement). C’est donc une agréable surprise d’y retrouver les photos voilées et tourbillonnantes de Faisal Samra, les figures féminines volontaires de Manal al Dowayan et les compositions en boîtes de Kleenex de Ayman Yossri Daydban. Mais encore mieux, j’y ai découvert Ahmed Mater Aseeri et son Magnétisme, jeu d’attraction et de répulsion, organisation du monde par des voies impénétrables, que j’ai lu comme une réflexion sur la religion (d’ailleurs, ne serait-ce pas une pierre noire ?). Les deux soeurs Shadia & Raja Alem créent des installations intimes et mystérieuses, l’une combinant l’érotisme de la chevelure et la froideur utilitaire de l’ordinateur, l’autre dissimulant derrière un rideau de films négatifs un corps féminin drapé de noir baigné dans une lumière chaude et sensuelle (Negative no more) : une réflexion sur la féminité qui va bien au delà des stéréotypes. Bien mieux que ce que j’attendais là.

De retour aux Giardini, il faut voir deux autres pavillons, et d’abord celui de la Pologne, tout en longueur : Krzysztof Wodiczko y a installé des écrans sur trois murs et au plafond. Des êtres à peine visibles, des quasi fantômes y apparaissent comme derrière du verre dépoli, dans une brume épaisse et y accomplissent des gestes quotidiens, lavant méthodiquement les vitres. Parfois, il pleut. Ce sont des invités, Guests, comme on dénomme les immigrés en Allemagne Gastarbeiter, travailleur invité, des hommes et des femmes à côté de qui nous passons tous les jours, mais qui sont invisibles à nos yeux, fondus dans le paysage urbain, simples mécaniques de notre moteur économique à qui nous avons dénié toute existence réelle. C’est un spectacle dont on ne peut se détacher.

Et puis Fiona Tan, hollandaise d’honneur, dont, à côté des deux grandes installations vidéo (’Disorient’ sur Marco Polo et ‘Rise and fall’ sur les âges de la vie d’une femme), j’ai beaucoup aimé Provenance, une série de petits portraits vidéo, scènes de la vie quotidienne. Elle se rattache fort bien à l’art classique du portrait, inspirée par les portraits hollandais du siècle d’or. Pour une migrante comme elle, que peut bien être la provenance ?

Photos 3, 4, 5 & 7 de l’auteur; photos 2 et 6 courtoisie du service de presse de la Biennale; photos 1 et 8 provenant de catalogues.