Entretien avec Sébastien Doubinsky, créateur du Zaporogue

Publié le 24 juin 2009 par Mgallot

Sébastien Doubinsky est écrivain et enseignant à l’université d’Aarhus, au Danemark. Français de naissance, il a passé une partie de son enfance aux Etats-Unis, et écrit aussi bien en français qu’en anglais.

Son nouveau bébé littéraire : la revue Le Zaporogue, dont le numéro 6 vient de sortir.

Qu’est-ce que le Zaporogue en quelques mots ?

C’est la prolongation naturelle, après 15 d’éclipse (!) d’un fanzine littéraire gratuit que j’avais créé à Tours au début des années 90. J’avais sorti quatre numéros à l’époque – donc la revue sous sa nouvelle forme a débuté l’hiver dernier avec le numéro cinq.

Pourquoi avoir créé cette revue ?

J’avais envie de créer un espace libre, où les écrivains, poètes, artistes et autres fainéants aient tout l’espace nécessaire pour leurs créations. Un magazine sans thèmes particuliers, sans bla-bla intellectuel ou snobinard – mais où entreraient en collision une variété de styles, de voix, de langues, pour montrer que la culture est une mosaïque, qui s’enrichit de toutes ses sources.

Je voulais aussi absolument qu’elle fût gratuite, pour montrer que la culture n’était pas une valeur marchande. À l’époque des « hits », « best-sellers » et autres arnaques, il me semblait essentiel de créer un pacte de respect fondamental avec les écrivains et les artistes – et ce pacte ne pouvait, bien entendu, fonctionner que sans argent. Comme je le dis dans la présentation de la revue et de la maison d’édition du même nom sur sa page d’accueil Myspace (www.myspace.com/zaporogue) : « Avec moi, vous ne deviendrez pas riches, mais vous deviendrez peut-être célèbres »

Quand je vois ce qui est arrivé à mes auteurs Jerry Wilson et D. James Eldon, aujourd’hui publiés par les toutes nouvelles éditions Zanzibar, je me dis que ce n’était peut-être pas tout à fait faux…

D’où vient ce nom  « Zaporogue » ?

D’Apollinaire, tout d’abord – à cause de La Chanson du Mal-Aimé, dans laquelle se trouve reproduite la fameuse lettre où ils envoient paître le sultan de Constantinople.

Des cosaques Zaporogues eux-mêmes, pour plusieurs raisons : la lettre d’insulte au Sultan, qui symbolise pour moi la liberté et l’humour, deux valeurs absolument essentielles à mes yeux. Ensuite, parce qu’un détachement des Zaporogues a rejoint les troupes anarchistes de Makhno pendant la guerre civile russe – et que mon grand-père était anarchiste et le meilleur ami de Voline, le lieutenant de Makhno.

Tu l’animes seul ?

Comme un grand.

Tu as choisi un mode de diffusion assez original, en téléchargement gratuit ou en version imprimée payante : pourquoi ?

Parce que je pense que si on veut gagner cette guerre culturelle dans laquelle nous nageons en ce moment, il faut se servir des outils que le système capitaliste nous donne pour s’en servir contre lui. C’est ce qui s’est passé avec Myspace, c’est ce qui est en train de se passer avec Facebook - sans parler de la crétinerie criminelle d’Hadopi. Le téléchargement gratuit est, comme je l’ai expliqué plus haut, le moyen le plus adéquat de faire connaître des inconnus. Qui va payer, ne serait-ce qu’un euro, pour quelqu’un dont il n’a jamais entendu parler ? Vous, peut-être. Moi, peut-être – mais pas beaucoup. Au moment où j’écris ces lignes, la revue a déjà été téléchargée 121 fois…

Quant à la possibilité papier, c’est un plus – pour ceux qui, comme moi, adorent les « vrais » livres.

C’est une revue internationale, écrite en plusieurs langues, à l’image de ton propre parcours entre la France, les Etats-Unis et le Danemark ?

Oui, je suis un cosmopolite pur et je le revendique. Je crois aux mélanges étonnants, aux diasporas fertiles et aux chocs étincelants des cultures.

Quels sont tes critères pour retenir un texte ou une image ? Suis-tu une ligne éditoriale ou te fies-tu à ta subjectivité ?

Subjectivité totale. Ce qui m’attire, dans un texte ou une image, c’est soit la reconnaissable proximité avec d’autres œuvres qui me sont familières, soit la surprise totale. J’aime autant être bousculé que rassuré. Par contre, il est vrai que je veux tout de même donner une certaine image du Zaporogue, qui est celle de la qualité ou du potentiel. Je veux faire découvrir.

Sais-tu qui sont les lecteurs du Zaporogue ?

Oui et non. Je connais mes ami(e)s et les ami(e)s de mes ami(e)s, mais je ne connais pas tous les lecteurs. Mais je crois que ce sont des gens curieux, qui ont envie de découvrir autre chose, de soutenir un projet un peu fou, mais sincère. Je suis très touché par le soutien de nombreux libraires, même si quelques uns me reprochent mon choix de diffusion – ce que je comprends très bien.

Des souhaits ou des projets pour les futurs numéros du Zaporogue ?

Oui, j’ai surtout un regret : que le Zaporogue soit si blanc. Certes, il est d’un beau blanc, plein de talent, mais j’aimerais vraiment qu’il se bariole et que des écrivains ou des artistes d’autres origines que le Grand Occident me rejoignent. Dans le dernier numéro, j’ai deux écrivains du continent Indien. C’est un début, mais vraiment un tout petit début. Le Zaporogue est un métèque, ne l’oublions pas. Il aime, par conséquent, la métèquerie culturelle.

Site du Zaporogue: http://lezaporogue.hautetfort.com/