Jean-Claude Blahat « Le Fidèle Absolu » chante Georges Brassens

Publié le 24 juin 2009 par Stephanesagas

En m'asseyant tranquillement et sans pipe, (un vieux souvenir...ouf !), j'ai médité sur la relation entre Jean-Claude Blahat et Brassens; ainsi que l'admiration que le 1er porte au second.

Ces deux amis s'estimaient et partageaient à l'occasion le pain de l'amitié, le verre de l'apéro et les pâtes de Lino Ventura.

L’estime que porte Jean-Claude Blahat envers notre ‘vieux chêne’ est enthousiaste, intelligente et féconde. Notre ami a attendu 18 années entre la mort de Georges Brassens et le moment où il a décidé de l'interpréter; c'est à dire de le vivre de l'intérieur pour nous le transmettre. Que ses doigts donc désormais s’appliquent sur le manche à nous glisser des Do ou Ré… 18ans…c’est un choix Majeur !

C'est beau et force le respect !

Jean-Claude Blahat a donc laissé le temps agir en lui pour faire mûrir son amitié sincère en une belle œuvre chantante.

Amies lectrices et amis lecteurs, 'Le Fidèle Absolu' est un chef d'oeuvre. Des 12 chansons de Georges Brassens qu'interprète Jean-Claude Blahat, il a eu la gentillesse et l'habileté de nous composer les musiques de 4 textes inédits. On s’oublie en les écoutant à se dire que la musique est de Jean-Claude, tant les notes s’unissent intimement aux mots du regretté poète.

Montaigne refusait de justifier son amitié avec La Boétie en disant tout simplement 'parce que c'était lui et parce que c'était moi’.

On pourrait dire que l’écoute de ces 4 chansons du 'Fidèle Absolu', engendre cette même conviction. Artistiquement on ne peut plus imaginer les paroles de Brassens sans les musiques de Blahat !

Ces chansons sont œuvres de perfection.

Quelques titres de l’album : « Le Fidèle Absolu ».

Brassens se définissait comme une sorte de troubadours inspiré par la poésie du Moyen-âge et de la Renaissance. La chanson elle-même, qui a donné son nom à l'album : 'Le Fidèle Absolu' semblerait presque sortir d’un registre de cette époque. Il est décliné la leçon de sagesse que tire un homme à prendre le bonheur qui est à sa portée :

« Je n’ai vu qu’un amour, un seul, mais je l’ai vu,

Et ce grain de beauté a su combler ma vue,

Et ce tout petit bout de Vénus me suffit :

Pour connaître une femme, il faut toute une vie »

« La visite » est une fine réflexion sur l’amitié désirée d'aimables visiteurs étrangers, malheureusement mal accueillis...C'est universel...

« Dans l’espérance d’être admis

Et naturalisés amis,

On venait en visite »…

J'ai une affection particulière pour « L'inestimable sceau », l'un des tubes de cet album. Le texte est plaisamment coquin et la musique si joliment guillerette dans un mariage polisson, comme le vent soulevant les robes printanières...

« ses aimables rondeurs avaient fait à la fin

Un joli petit trou parmi le sable fin,

Une niche idéale »

Bravo Jean-Claude Blahat de continuer de nous transmettre Georges Brassens, avec votre cœur et tout votre 'Art'.


Dès que l’on s’assoit côte à côte avec Jean-Claude, l’homme de passion s’exprime tout de go, avant même que je ne lui pose une première question…il transpire de Brassens…

C’est quand même assez extraordinaire, car Brassens quand il écrivait ses musiques, les démarrait sur le clavier d'un vieil orgue. Quand la chanson était aboutie il se mettait à la guitare et retranscrivait les harmonies qu'il venait de composer au clavier. C’est pour ça que ses musiques sont si élaborées.

Ca, c’est un secret, dévoilé ?

Un secret, je ne sais pas, mais c’est une méthode de fabrication comme une autre.

Sa méthode à lui était de retranscrire sur le manche d’une guitare, physiquement, l’accord du clavier. Ses harmonies étaient faites à partir d’un clavier.

C’est là où résidait l’originalité de ses chansons. C’est pourquoi, lorsque j’entends dire que Brassens est musicalement élémentaire, cela me fait rire doucement.

Si on analyse musicalement toutes ses chansons, même celle du départ comme ‘Le Gorille’ où il n’y a que deux accords ‘La 7ème’ et ‘Ré majeur’…c’est extraordinaire. Au moment où l’harmonie s’adapte un peu moins, la mélodie relève. C’est ça qui est extraordinaire chez lui. Il n’y a pas d’à peu près chez Brassens. C’est de l’abouti et du peaufiné tout de suite, et ça c’est formidable.

C’est pour ça qu’il hésitait vraiment beaucoup à mettre à chaque fois une nouvelle chanson dans son tour de chants, parce qu’il voulait que ce soit totalement accompli. Et de même, « La supplique pour être enterré sur la plage de Sète » est restée dans ses tiroirs pendant 6 ou 7 ans, je crois, parce qu’il y a un mot qui l’embêtait : ’le pédalo’….’qui fait du pédalo sur la vague en rêvant’. C’était un instrument trop moderne pour lui. Il voulait trouver quelque chose d’analogue mais plus classique. Et en désespoir de cause il a quand même enregistré la chanson avec le mot pédalo, n’ayant pas trouvé autre chose.

Ses chansons et paroles inédites, étaient la teneur de sa nouvelle tournée de 1981 ou 82, qu’il pensait faire. Malheureusement il n’a pas pu. Il avait même projeté de faire un nouveau Bobino car il pensait à une rémission de sa maladie, ce qui n’a malheureusement pas été le cas.

S’il avait seulement vécu 10 ans de plus…qu’est-ce qu’on aurait gagné !

Depuis sa disparition, on a perdu des choses extraordinaires qu’il aurait pu enfanter. C’est ça qui m’afflige.

Moi qui suis pianiste de base. Tout naturellement quand j’ai voulu commencé à écrire quelques musiques sur des textes de Brassens, je me suis mis au clavier. Je me sentais beaucoup plus à l’aise. Après, quand il a fallu que je les retranscrive à la guitare, je me suis rendu compte comment il faisait. C’est impressionnant car l’on a un rendu supérieur.

Par exemple, quand on a dans l’oreille un accord de diminué ou un accord de 7ème sur le piano, et qu’on le retranscrit sur la guitare, ça n’a pas le même impact. C’est pour ça que c’était aussi riche.

Sur les paroles de Brassens de ‘Le Cauchemar’, vous avez écrit une musique avec beaucoup de facilité.

Oui, pour ces paroles, j’ai écrit la musique spontanément. A mon grand étonnement d’ailleurs. En revanche, au préalable, j’avais écrit quatre musiques pour les textes de Brassens et j’ai rencontré plus ou moins de bonheur ou de difficulté, mais j’ai mis un certain temps à les réussir. Enfin, à mon sens. J’ai mis du temps à annoncer au public quand je les chantais, que la musique était de moi. Je ne voulais pas qu’il parte avec un préjugé, sans les avoir entendu. Car si l’on dit : « J’ai écrit une musique sur un texte de Brassens », certains diront : « Ah ! Mais ça n’est pas du Brassens ! ». Alors je les laissais bien s’accoutumer à la musique et à la chanson, et lorsqu’ils j’ai eu mes premiers compliments, je me suis dis : « Là, je vais pouvoir commencer à l’annoncer ».

Je ne pense pas avoir fait de mauvaises musiques sur les textes de Brassens, car j’ai beaucoup hésité à composer avant de m’y résoudre. Non pas que je ne m’en sente pas capable, mais je ne voulais pas du tout trahir son style. Et je pense y être parvenu.

J’ai écrit la musique de « Le cauchemar » curieusement d’une seule traite. Car je l’ai senti d’un seul coup. J’ai mis 2 ou 3 jours, alors que les autres, je les laissais, j’y revenais, je mûrissais.

Là, il n’y a rien à changer à mon sens. Alors, on verra quand je la livrerais au public, car elle n’a pas encore été chantée en public, ni enregistrée.

Et l’inestimable sceau…

Je pense que ces paroles sont dues à son immense faculté d’observateur pour tout ce qui l’entourait. Cela m'étonne toujours. Dans toutes ses chansons, il y a toutes les tranches de vie. Des gens disent que Brassens, c’est de l’onirisme et du fantasme.

C’est faux ! Tout ce que Brassens a écrit est lié à son vécu. C’est quasiment autobiographique, par les observations qu’il a pu faire des autres. A part quelques chansons comme ‘Le Fantôme’ qui est un pur produit de son imaginaire. J'ai eu l'occasion d'en parler d'ailleurs sur le forum de Serge Lama, où la responsable de ce forum, m'avait demandé d'ouvrir un sujet "Georges Brassens".

‘Les amoureux des bancs publics’: c’est prodigieux. On ne peut écrire une chanson comme celle là, si on n’a pas observé pendant des heures des jeunes en train de s’embrasser, de se dire des mots tendres et de se caresser sur un banc. ‘La mauvaise herbe’, où il a été très critiqué, est celle ayant trait à la guerre 14/18. Il s’est documenté sur les différentes guerres qui ont eu lieu. Et il a décidé que cette guerre correspondait le mieux à son nom de guerre.

Il y a peu d’auteurs qui ont écrit des chansons sur des thèmes aussi variés, aussi précis et avec autant de bonheur.

En un mot c’est du génie. C’est pour ça qu’on en reparlera pendant des années et des années. Brassens à l’identique des poètes ne mourra pas. Heureusement d’ailleurs.

Est-ce que l’on redécouvre des choses en l’interprétant, des surprises qui apparaissent ?

Indéniablement, et pourtant j’écoute Brassens depuis l’âge de 10 ans  ! Je me suis rendu compte qu'avec le recul, il y a des sens cachés qui se révèlent. D’un seul coup ça vient, on ne sait pas pourquoi, et je me dis : « Bon sang, il voulait dire ça, c’est vrai ! ». Ce qui était prodigieux chez lui, c’est qu’il avait une façon d’écrire pour un thème qui donne lieu à plusieurs sens possible. C’est comme chez Baudelaire : « La nature est un temple de vivants piliers ». Il a voulu décrire un tas de choses par ces simples mots. Les vivants piliers ce sont les hommes en quelque sorte, mais c'est sujet à d'autres interpétrations possibles.

J’ai trouvé ça émouvant chez Brassens car par delà la mort, il t’envoie des messages encore…des années après, quand même. Et c’est vrai !

Cette force poétique que d'offrir plusieurs interprétations possibles dans ses chansons, n'est-ce pas une forme d'anour envers les gens ?

Ah oui, c’est un amour des gens ! Brassens se défendait d’être un ours, même si des gens le disaient. Ça n’était pas un ours du tout. C’était un type qui était un peu sauvage, c’est vrai, mais il était surtout très timide. Il se sentait mal à l’aise quand il était en public. C’était un type charmant. Quand il connaissait les gens il était d’une ouverture extraordinaire. Il a laissé un testament d’une grande richesse avec ses chansons, car il aimait profondément l’homme. Et il aimait tellement l’homme qu’il avait dit qu’il n’avait pas voulu se reproduire, car il sentait que tout se dégradait dans la vie. Et il ne voulait pas laisser ça à ses enfants. Il le disait souvent.

Je crois qu’une journaliste un jour a insisté lourdement en lui disant : « Mais pourquoi vous n’avez pas eu d’enfants ? ». Et il a répondu : « Arrêtez d’encenser les enfants. Les enfants sont adorables, mais imaginez aussi qu’Hitler, un jour a été un enfant et qu’il sautait sur les genoux de ses parents ».

…rires…

La fille, je crois qu’elle a eu un masque…Elle avait trop insisté et il lui avait balancé ça et ça a clôt le sujet tout de suite.

Pour revenir à votre enfance, justement, votre premier instrument, a été le piano.

Oui, j’ai fais des études de piano et après je suis rentré comme pianiste au ‘Théâtre Pacra’ issu du vieux ‘Concert Pacra’ et qui est devenu après le ‘Théâtre du Marais’. C’est à coté de la Place de la Bastille, boulevard Beaumarchais, en face de chez Paul Beuscher. Maintenant, c’est un cinéma….c’est dommage…

Et donc j’ai été musicien de Music-hall, dans les opérettes de Roger Nicolas. Puis je suis resté au théâtre et j’ai accompagné divers artistes qui se produisaient. C’est comme ça que j’ai rencontré Boby Lapointe…et que j’ai eu le bonheur de l’accompagner. C’était en intérimaire car je n’étais pas son pianiste, qui était Roland Godard. J’ai eu beaucoup de chance, car Boby Lapointe était un type enrichissant au possible. Il avait une maîtrise du mot et du verbe qui le rendait digne d’être un compagnon et un admirateur de Brassens. Brassens l’aimait et l’admirait beaucoup également. Il le prenait assez souvent au Music- Hall dans ses premières parties, comme à Bobino.

J’ai rencontré Brassens en 1967, dans un Musicorama (Voir en fin d’article) à l’Olympia. C’est Boby qui m’a amené dans sa loge. C’était impressionant, car j’avais 23 ans. Ça faisait des années que j’admirais Brassens et il ne s’était jamais trouvé que je sois en sa présence. A l'époque, il était très peu médiatisé et faisait des télés avec parcimonie. Des récitals tous les 2 ou 3 ans et après on ne le voyait plus.

Comment s’est passé cette rencontre ?

Très bien, j’étais assez ému. D’abord, je ne m’y attendais pas. Avec Boby, on c’était donné rendez-vous au Bar Romain, juste à coté de l’entrée des artistes de l’Olympia. Il arrive en boitillant, à cause d’accidents de voiture et me dit avec son accent particulier : « Je vais faire un Musicorama à l’Olympia et s’est transmis en direct sur Europe 1. Viens ! ».

Je le suis donc dans les coulisses et l’on arrive devant la porte d’une loge. Il me pousse dedans et je me trouve devant Brassens qui était en train de mettre sa cravate.

…rires…

J’étais complètement époustouflé, je ne m’y attendais pas du tout. Boby a dit à Brassens :

« Je te présente le pianiste qui m’accompagne quelques fois au théâtre, et il rêvait de te rencontrer alors, je lui ai fait la surprise de te l’ammener. »

Qu’est-ce qu’il a dit Georges Brassens ?

Au théâtre Pacra, j’avais toujours une guitare dans ma loge et pendant les poses et les entractes, je prenais la guitare et je chantais pour moi et pour les copains. Et je chantais du Brassens.

Comme Boby le savait, il a dit à Brassens : « Tiens, tu vois, il chante Brassens aussi ». Brassens s’est tourné avec sa pipe à la bouche, il a prit sa guitare et m’a dit : « Vas-y chantes-moi Brassens ! »

…rires…

Alors j’ai réfléchi à une vitesse grand ‘V’. Je me suis dit : « Qu’est-ce que je fais ? ». Si je chante Brassens devant Brassens, je vais avoir l’air d’un con. Et si je refuse je vais passer pour un con. J’ai préféré avoir l’air d’un con. J’ai pris la guitare et je lui ai chanté ‘Le parapluie’, je me rappelle. A la fin du 1er couplet, je me suis arrêté. Et Brassens enleva sa pipe et me dit : « Non ! Tu vas boire la coupe jusqu’à la lie, tu vas la finir »

…rires…

Et j’ai donc fini ‘Le parapluie’.

Après, cela a été le silence total, du moins en ce qui me concernait entre Brassens et moi.

Et je me suis dit : « Ca y es, j’ai dû lui déplaire quelque part ».

Il s’est tourné vers Boby Lapointe et lui a dit : « Ce p’ti con, faudra que tu me l’amènes à la maison ! ».

C’est vrai que j’étais un petit con. Quand on voit la photo sur mon disque…qui était à peu près à la même époque. C’est comme ça que j’ai eu le bonheur, la grand joie et la chance d’aller chez Brassens plusieurs fois. Quelques fois impasse Florimont et puis après au 42 rue Santos Dumont …où il a fini sa vie.

Quels étaient vos rapports ?

On ne se voyait pas très souvent car je travaillais beaucoup. Dans l’opérette, à une certaine époque ça tournait pas mal. On partait en province avec des camions et des décors. On travaillait beaucoup…ce qui n’est pas le cas maintenant pour la plupart des gens du spectacle.

Boby Lapointe est mort en 1972. Ayant eu la chance d’avoir un numéro de téléphone où je pouvais joindre Brassens, chaque fois que je revenais de tournée et que j’en avais l’occasion, je me permettais de lui téléphoner. C’est Sophie Dujardin sa gouvernante qui filtrait les appels. Je savais les heures à peu près où je pouvais y aller, parce que généralement on n’y allait jamais le matin.

Georges Brassens travaillait à l’écriture de 5h du matin à peu près jusqu’à l’heure de l’apéritif. Et après on allait chez Walczak (restaurant à coté de chez Georges Brassens). C’était en quelque sorte sa 'cantine'. Il y mangeait et buvait aussi quelques pots.

J’ai eu aussi le bonheur de le voir dans les coulisses à Bobino, quand il passait. C’était intéressant de le voir de là. On avait une vue différente. C’est pas du tout pareil que lorsque l’on se trouve dans la salle, parmi le public.

Pierre Nicolas son contrebassiste a écrit un bouquin où il en parle : « Brassens vu de dos ». C’est vrai que part sa position de contrebassiste il ne voyait Brassens que de dos.

Alors, qu’est-ce qui apparaît ?

J’ai vu sa façon de travailler et ses peurs aussi. On le sentait, c’était palpable. Il avait toujours très peur. Mais ça durait le temps des deux ou trois premières chansons et après ça allait. Quand il voyait l’accueil du public, qui était toujours très délirant et très fourni en applaudissement, il savait que ça marchait. Mais il avait toujours beaucoup d’appréhension avant, un trac fou. Sur scène c’était un personnage. Il tenait toute la scène, le bonhomme. Quand on voyait son pied posé sur la chaise, c’était impressionnant. En plus c’était une masse…un colosse…un balèze. Il était étonnant et m’a toujours ébloui. J’ai toujours aimé Brassens, mais c’était pas une idôlatrie de fan, comme certains ou certaines qui s’arrachent les cheveux et qui hurlent en voyant leur star.

Tout ça c’était beaucoup plus réfléchi. C’était une analyse du bonhomme, une analyse du personnage qui était quand même un peu plus sensé que les trucs évaporés.

D’ailleurs je n’aurais jamais demandé une dédicace à Brassens sur un disque alors que j’aurais pu le faire au moins une quarantaine de fois.

C’était pas ça qui comptait, mais ce qu’il y avait dans le palpitant et dans la tête du bonhomme. Ça c’est important !

Quel sens de l’amitié avait Brassens ?

Son amitié était à plusieurs degrés. Je sais qu’il avait les amis de la première heure, c’est à dire les sètois. Pour eux, c’était une amitié débordante. Après, il y a ceux qu’il a connu par la suite comme René FalletPierre Onténiente dit Gibraltar qui avait été avec lui en Allemagne (Service Travail Obligatoire en 1933).

Et après, il y a eu des amis qui sont venus par la suite. Mais il n’en n’avait pas des masses. Raymond Devos et Lino Ventura, oui, c’était quelque chose.

Une fois, j’ai dégusté les pâtes de Lino Ventura. Lorsqu’il venait chez Brassens, il faisait les pâtes. Il venait quand même assez souvent. Une fois, je me trouvais là pour l’apéritif : le pastis traditionnel. Alors que j’allais partir, on m’a demandé de rester et je ne me suis pas fait prier. Ce qu’il y a d’extraordinaire c’est que Brassens était d’une grande simplicité et d'une convivialité avec les gens qui étaient chez lui. Par définition c’était des gens triés sur le volet, et donc il se sentait à l’aise. Il était bien avec eux.

Combien Georges Brassens a-t-il laissé de textes inédits ?

Brassens a écrit 187 chansons et il reste 27 chansons inédites.

Combien en avez-vous choisi ?

Dix-sept. Cinq sont complètements abouties et deux sont en chantier. Je saute d’une chanson à l’autre. A chaque fois j’ajoute quelques notes, parce que ça ne vient pas toujours aussi facilement que pour la chanson ‘Le cauchemar’. Et puis, il y en a encore quelques autres. Je verrais par la suite. Si j’ai le bonheur de faire un autre album, je pourrais les inclure.

Pour l’instant, il me faut d’abord bien chanter mon album ‘Le fidèle absolu’ dans différents salles, pour le faire connaître et le vendre. Ce qui nous fait défaut c’est une maison de disques. Et c’est de plus en plus difficile à trouver.

Comment s’est passé votre rencontre avec Vincent Réveillon ?

Je fréquente depuis des années le restaurant de Walzcak, la ‘cantine’ de Brassens, et qui est un restaurant fermé normalement au public. Il faut être connu pour y accéder. On frappe à la porte, car il n’y a pas de poignée. A l’intérieur, on regarde et ouvre si l’on est connu par quelqu’un. Du fait qu’il y a de plus en plus de monde qui y va, j’y vais moins. La foule, c’est un peu oppressant.

A l’époque, j’y allais tous les vendredis midi. Vincent était aussi client. C’est comme ça qu’on s’est rencontré. Et en principe, le vendredi après le repas, comme il y a toujours une guitare qui trainait, je chantais quelques chansons avant de partir. Et ça lui a plu. Une fois par mois, je faisais un récital le vendredi soir. On réunissait des clients parmi les aficionados de Brassens pour remplir le lieu. Ma contrebassiste m’accompagnait. Un jour, Vincent m’a entendu et m’a demandé si j’avais fait un disque. Je lui ai dit que non. « Et bien, si tu veux, je te le produis », m’a-t-il répondu.

On a travaillé ensemble à l’élaboration de ce CD, qui je pense est abouti. La technique est bonne et il a l’air de plaire puisqu’il se vend bien. Si l’on avait eu une maison de disque avec une publicité pour le disque, je pense que l’on aurait pu faire quelque chose d’important. Faut pas désespérer…on va trouver !

Le mixage a été fait par une grande pointure du métier.

Oui. L’enregistrement a été fait dans le studio de Franck Authié et le mixage a été fait effectivement par Steve Forward. C’est quelqu’un ! Des stars américaines, pour mixer leur disque, le font venir aux USA avec leur jet privé. Je n’aurais jamais espéré un tel technicien pour le mixage de mon album. Il s’est proposé d’emblée car c’est un ami de Franck Authié, d’une part. Et d’autre part, ça lui a plu. Avec son accent anglais, il m’a dit : « Brassens j’aime beaucoup !». Il a vraiment fait un travail remarquable. Ce disque a tous les ingrédients pour être bien reçu. Il a besoin de pub, car il y a beaucoup de gens qui ne savent pas que ce disque existe. S’il avait une ventilation plus vaste pour cet album, je pense qu’il se vendrait très bien. J'en tiens pour preuve, les retombées du public qui venait m’entendre et également un article élogieux dans la revue ‘Platine’.

Frédéric Zeitoun est venu chanter un soir au Studio Raspail…ça lui a beaucoup plu. C’est avant tout un amoureux du Rock’n Roll et des sixties. Pour qu’il aime mon interprétation de Brassens, je trouve que c’est quand même sympa de sa part.

Alors…qui est votre contrebassiste ?

Alix Merckx est une excellente musicienne, qui est lauréate du conservatoire. Elle a fait beaucoup de classique et un peu de musiques de variétés. On s’est rencontré grâce à un ami, qui est contrebassiste et qui m’accompagnait. Il s’appelle Frédéric Westrich et ai l’ancien bassiste de Renaud. Maintenant, il est avec Annie Cordy, et est très pris. Comme il ne pouvait plus m’accompagner, il m’a présenté Alix, qui était la compagne d’un de ses amis musiciens aussi. Alix est très jeune. Elle a trente trois ans, je crois.

J’ai accueilli la proposition avec beaucoup de prudence parce que je me suis dit : « Quand même, une femme qui accompagne Brassens à la contrebasse, ça peut-être surprenant ». Et bien contrairement à mes craintes, ça a été très bien perçu et très bien accueilli par le public.

Elle joue remarquablement. Elle a pigé complètement Brassens. Je lui ai écrit toutes mes partitions de basses de façon qu’elle se structure sur le style de basse que je souhaitais. Elle s’y est mise très bien et elle est avec moi depuis maintenant sept ans. Et ça fait quatre ans, que je travaille avec Vincent.

Alix, je lui avais offert l’intégrale de Brassens, pour qu’elle écoute et s’imprègne de la basse. Elle l’a très bien écouté. Avec l’ajout des partitions de basses que je lui ai écrite, elle s’est très bien débrouillée et puis elle aime Brassens…Ah oui ! C’est surtout ça ! Car on ne peut pas jouer Brassens, si on aime pas.

Qu’est-ce que le ‘62’ ?

C’est un petit théâtre d’essai que l’on a trouvé, rue Saint Honoré à coté de la rue de Rivoli. Il y a une très belle scène qui contient au maximum soixante personnes. C’est très intime. C’est à la limite du café théâtre et du cabaret. Je suis passé au ‘62’ plusieurs fois. Et à chaque fois c’était bien. C’était toujours avec autant de bonheur. Et les gens qui venaient avisaient d’autres personnes qui venaient la fois suivante. Ça a bien marché le 62 !

Maintenant on cherche des salles ayant une capacité de 80 à 100 personnes. Je ne vise pas des grandes salles. D’abord, il faut les remplir, ce qui dépend de la capacité d’affichage. Je pense que Brassens doit se restituer assez intimement, dans des salles. Pas au-delà de 200 personnes. Au delà, je ne crois pas que c’est mieux écouté, du moins pour des interprètes tel que moi.

On a fait des expériences au Studio Raspail, qui comptait pratiquement 200 personnes.

Quelle est l’histoire de la photo de couverture de l’album ‘Le fidèle absolu’ ?

Sur les conseils de Steve Forward, Vincent et moi, sommes allés à un endroit que Brassens affectionnait particulièrement à Sète qui s’appelle ‘La pointe courte’. On y trouve des cabanes de pêcheurs, dont une que Brassens avait acheté : ‘La cabane aux chats’. C’est une structure d’accueil où il y a des trous de la grosseur d’un chat. Brassens a laissé de l’argent sur un compte, géré par des amis. Charge à eux de nourrir les chats, régler le vétérinaire pour les stériliser et les soigner. Ils ont tenus paroles jusqu’à maintenant comme nous avons pu le constater. A partir de 16h30/17h, on voit tous les chats qui arrivent pour bouffer.

La photo de l’album a été faite sur la cabane des chats. Une plaque figure en haut de la façade. On y voit en ombre chinoise, Brassens de profil avec sa pipe, en face d’un chat. On a fait ces photos là-bas pour composer le livret de l’album. Un photographe nous a accompagné pendant trois jours, à une période intéressante où il y avait un beau soleil.

A Sète, avez-vous rencontré des amis de Brassens ?

Oui. Des pêcheurs…et un ostréiculteur, qui était là et qui est un ami de Brassens. On a fait des photos avec eux d’ailleurs. Et ce sont eux qui ont a charge de s’occuper des chats. C’était un moment exceptionnel que j’ai passé là-bas.

Etes-vous en contact avec des associations d’amis de Brassens ?

Oui. Je suis bien accueilli, d'ailleurs. Pierre Schuler est le gestionnaire et président de l’association : « Auprès de son arbre », et me fait de la pub parfois. Lors des concerts, on le lui dit et il le ventile au sein de son association.

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Vincent Réveillon : Le cd a été très bien perçu par les inconditionnels. Dans les petits magazines spécialisés sur Brassens, il y a toujours eu un bon accueil et de bons papiers sur l’album ‘Le fidèle absolu’ et ça c’est très important.

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"Le fidèle absolu" est à la fois le titre de l'album et celui d'une des chansons inédites de Brassens. N’est-ce pas un peu vous ?

Ce serait présomptueux de le dire, mais en tout cas, je suis un grand fidèle à Brassens. Et donc cette chanson me va bien. Je l’apprécie beaucoup. J’ai composé la musique bien-sûr…C’est vrai que cela rentre dans ma façon de me comporter vis à vis de lui et de sa mémoire. Le texte est très beau. Quand on écrit une musique sur de tels textes, on n’a pas tellement le droit de se tromper. J’avais décidé en accord avec Vincent de donner le titre à l’album. ‘Le fidèle absolu’ cela cadrait bien avec mon parcours et l’esprit que j’ai vis à vis de Brassens.

Brassens vous a-t-il inviter à interpréter son répertoire ?

Non, il ne l’a pas fait formellement, il n’était pas comme ça. Par contre, il m’a dit une fois : « Tiens, il serait amusant de s’essayer à faire des musiques la dessus » (ses textes).

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Vincent Réveillon : C’était probablement une manière élégante de lui donner son consentement, ça c’est tout Brassens.

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Moi, j’ai attendu quand même, mais d'autres en revanche, non. Moi, je ne pouvais pas l'interpréter tout de suite après sa mort. J’ai continué d’enseigner le piano dans l'école de musique d’un comité d’entreprise, et j’ai pris ma retraite en 1999. Le temps a passé car Brassens était mort en 1981. En 1999, je me suis fait faire une guitare chez le premier luthier de Brassens, à Mirecourt dans les Vosges, par les frères Gérôme. Le label a été repris par un des élèves : Philippe Moneret.

Il m’a fait une guitare à l’identique, car je voulais avoir le son de la guitare Brassens. C'est un son un peu manouche, très particulier, car ce sont des cordes métalliques. Je suis heureux de m'être fait faire cette guitare. J’en avais d’autres à la maison, pourtant, mais elles ne me convenaient pas. Et puis j’ai décidé sur le conseil de plusieurs amis de me produire en public…de faire des tentatives. Et quand j’ai vu que c’était bien accueilli et bien perçu…je me suis dit : « Pourquoi pas ? ». C’est là où j’ai commencé à vouloir poser des musiques sur ses textes inédits que j'avais mûrement réfléchis depuis des années. Cela a démarré comme ça. Puis il y a eu l’album…

BONUS…

Avez-vous une méthode particulière de travail ?

Afin d’assimiler la plupart des textes de Brassens, il m’est arrivé de réécrire les textes avec les mêmes mots mais dans un ordre un peu différent. Je voulais extraire un sens caché possible, et il m’est arrivé d'en trouver. Sans pour ça transformer la chanson. Et après j'ai tout rétablis dans l’ordre. C’est une expérience intérressante à faire.

Il y a une belle histoire d’une rencontre entre Brassens et un homme qui sortait de prison.

C’était dans les années 57/58, à l’époque où Brassens chantait aux « Trois Baudets ». Il commençait à avoir une bonne notoriété et surtout un poids dans la chanson. A la sortie de ce théâtre, un type est venu le voir et lui a dit : « Voilà Monsieur Brassens, je suis interdit de séjour à Paris. Je sors de prison et j’ai pris le risque de venir vous voir, parce que je voudrais redémarrer honnêtement dans la vie. J’aurais besoin pour ça d’avoir un peu d’argent.

Brassens est allé à la caisse du théâtre et a demandé l’administrateur : Jacques Canetti, qui est devenu ensuite son imprésario. Il lui a demandé deux mois de salaire que ce dernier lui a donné, en liquide, dans une enveloppe.

Brassens a pris cet argent, l’a donné au type et lui a dit : « Tenez, si vous pouvez redémarrer honnêtement avec ça, ce sera bien », et l’autre lui a répondu : « Je reviendrais vous rendre l’argent, je vous le promet ».

Brassens qui ne comptait plus du tout là-dessus, 2 ou 3 ans plus tard, a eu la surprise de voir le type arriver à la sortie des artistes de l’Olympia. Il lui a dit : « Vous vous rappelez de moi ? Je vous ai emprunté de l’argent et je viens vous le rendre. J’ai redémarrer et j’ai remonté une affaire. Je me suis marié et je viens vous présenter mon épouse ». Brassens qui avait l’enveloppe dans la main, lui a dit : « Ce sera mon cadeau de mariage ». C’est une belle histoire, car c’était un bonhomme d’une générosité extraordinaire. Il avait un rapport tout à fait détaché avec l’argent. Il ne savait pas ce qu’il avait et il vivait de façon très modeste. Même quand il a eu beaucoup d’argent.

Site de Jean-Claude Blahat :

http://www.myspace.com/jeanclaudeblahat

Album photos par Jean Rauzier :

http://www.rauzier.com/artistes/blahat/blahat.htm

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Musicorama était le nom d'un spectacle musical présenté le plus souvent à l'Olympia à Paris, qui avait la particularité d'être diffusé sur Europe 1. Il a accueilli les plus grands noms de la chanson française et les meilleurs représentants des variétés internationales.

Le spectacle était diffusé en partie sur Europe 1, soit en direct, soit en différé.

La programmation musicale a été d'abord assurée par Bruno Coquatrix et Lucien Morisse, puis par Jean-Michel Boris.



Crédits Photos : la plupart des photos non répertoriées sont de Jean Rauzier. Merci à Laurent Prouteau, Isabelle Crochard, Jean Foucher, Stéphane Sagas, Vincent Réveillon & Greg Soussan