Coup d’État et coup d’État : Niger, Honduras, et le concept de Constitution

Publié le 30 juin 2009 par Unmondelibre

Emmanuel Martin – Le 30 juin 2009. Faut-il s’offusquer de ce « nouveau genre » de coup d’État qui a eu lieu au Honduras ? Il se trouve qu'un autre coup d'État fait les gros titres : celui du Président Tandja au Niger. Sans doute faut-il se tourner vers le Niger pour mieux saisir la situation au Honduras et porter un jugement. Deux coups d’État, deux visions de ce qu’est la Constitution.

Au Niger le Président Mamadou Tandja est au pouvoir depuis 1999 après deux mandats. La Constitution l’empêche de se représenter aux prochaines élections. Cet homme de 71 ans a visiblement pris goût au pouvoir puisque qu’il a décidé de braver la Constitution en imposant un référendum sur la possibilité de briguer un troisième mandat. Devant le refus de la Cour constitutionnelle, il s’est arrogé les « pouvoirs exceptionnels » vendredi 26 juin. Lundi 29 juin, il a limogé lundi sept juges de la cour Constitutionnelle. Ils étaient opposés au projet de référendum constitutionnel du Président. D’ailleurs ce dernier a aussi suspendu temporairement les compétences de la Cour Constitutionnelle en matière constitutionnelle (!) mais aussi électorale, l’empêchant ainsi de contrôler la régularité des scrutins électoraux et référendaires. Par ailleurs, les huit ministres démissionnaires de la semaine dernière, qui refusaient le projet de referendum ont été remplacés par des supporteurs de ce dernier. Voilà donc qui devrait simplifier les choses pour le Président Tandja.

Comme en Afrique, en Amérique latine les coups d’État ont été monnaie courante pendant des décennies. On se méfie d’eux : les militaires arguent de la nécessité de stabiliser la situation, de résoudre une crise, mais pour mieux opprimer par la suite.
Au Honduras, dimanche 28 juin, le président Manuel Zelaya a été arrêté et expulsé au Costa Rica par des militaires, et les médias latino-américains, comme une large partie de la communauté internationale (USA, UE compris), ont été prompts à condamner ce qu’ils voient comme un coup d’État. Pourtant, le Président, de plus en plus proche de la révolution bolivarienne de Chavez, entendait tenir un référendum sur la possibilité pour lui de se représenter, puisque la Constitution ne le lui permettait pas. La Cour Suprême du Honduras avait rejeté comme illégitime ce référendum et le Congrès soutenait la Cour Suprême. Bien sûr la méthode pour remettre le Président dans le droit chemin est quelque peu « musclée », mais peut-on pour autant parler de coup d’État ?

Pour le politologue américain Tom Palmer : « Imaginez que George Bush, Barack Obama, Bill Clinton, ou Ronald Reagan ou tout autre Président américain a décidé de contourner la Constitution pour rester au pouvoir au-delà de la limite constitutionnelle. Pour ce faire il ordonne un référendum national qui n’est pas autorisé par la Constitution et donc illégitime. La Commission électorale fédérale le rejette comme illégal. La Cour Suprême le rejette comme illégal. Le Congrès démet le Président de ses pouvoirs et, comme les membres du Congrès ne sont pas capables de contrôler les hommes de main personnels et loyaux du Président, ils envoient la police et les militaires pour arrêter le Président. Quelle partie est coupable d’un coup ? ».

En effet, à y regarder de plus près, et notamment avec l’exemple nigérien en tête, lorsqu’un Président cherche à obtenir des pouvoirs dictatoriaux (et M. Zelaya prend pour nouveau modèle M. Chavez..) il n’est peut-être pas illégitime que la Cour Suprême et le Congrès le démettent de ses fonctions. Du point de vue de la séparation des pouvoirs, c’est même ce qu’on attend d’eux. Bien sûr se pose le problème que le mandat de M. Zelaya n’est pas terminé. Cependant, à bien des égards, le « coup » du Honduras ne serait-il pas un signe de démocratie, la Constitution étant placée au-dessus du pouvoir personnel ? Loin d’être un catalogue de dispositions « à la Giscard », la Constitution a comme fonction première de protéger l’individu contre l’arbitraire du pouvoir. La séparation des pouvoirs permet justement de faire fonctionner les mécanismes qui peuvent assurer cette fonction première.

A la lumière de ce fait, le « coup » au Honduras peut être évalué différemment que ne le fait la « communauté internationale », et notamment les démocraties occidentales. Sans doute ces dernières ont-elles oublié la fonction première de la Constitution. Cette dernière sert justement à éviter ce qui se passe au Niger actuellement. Si des militaires envoyés par le Parlement et la Cour Constitutionnelle du Niger s’étaient occupés du Président Tandja pour protéger la démocratie contre le pouvoir arbitraire, comme on l’a fait au Honduras pour le Président Zelaya, parlerait-on de coup d’État ? Le peuple du Honduras n’est-il pas plus chanceux que celui du Niger ?

Emmanuel Martin est analyste sur UnMondeLibre.org.