Oh oui, montre moi ta grande méritocratie!!

Publié le 28 septembre 2007 par Frednetick

C’est un terme qui revient régulièrement dans le discours de ceux qui veulent promouvoir une société plus juste, du moins plus équitable. Equitable un mot dont l’on se gargarise aussi beaucoup ces derniers temps, ce qui ne manque pas de me rappeller l’année passée à Sc-Po Bordeaux (en 95, viré ensuite) où il ornait toutes les unes de journaux. L’équité c’est à chacun selon ses besoins et chacun selon ses mérites.

La notion même de mérite est dans l’imaginaire commun éminemment positive. Elle renvoit assez instinctivement à l’aboutissement d’efforts pour atteindre un but, la poursuite décidée et volontaire de sa légende personnelle. Le mérite c’est tout faire pour atteindre un résultat et avoir la conscience du travail accompli. Une personne méritante sera toujours mieux considérée qu’un parvenu, c’est cousu du fil blanc de l’évidence.

Et pourtant.

Flashback de quelques années, en fac de droit. J’avais un pote, Charles-henri, beau gosse bourgeois qui affichait ce look savamment négligé des fils de bonnes familles bordelaise se donnant des airs de rebelle.
Selon lui, il était normal que les patrons (au sens générique du terme, le pauvre avait quelques soucis à sortir de la généralité) gagnent beaucoup car ils le méritent en raison des risques qu’ils prennent et des longues études qu’ils ont faites.

Ce à quoi je ne pouvais manquer de rétorquer que l’on ne choisit pas forcément les études que l’on mène. Qui plus est, même si le choix en est relativement libre, il est bien souvent conditionné par les capacités des parents à assumer financièrement et intellectuellement les désirs de leurs enfants.

Autrement dit, la reproduction sociale chère à Bourdieu, biaise fortement l’accès aux diplômes, c’est un fait qui ressort des nombreuses études menées sur le sujet. Un fils de cadre a 8% de chance de sortir du système sans diplôme quand cette probabilité est de presque 30% chez un enfant d’ouvrier. Pas la peine d’avoir fait polyclinique pour comprendre que le milieu social conditionne très tôt le futur professionnel.

La méritocratie dont on nous rabat les oreilles est donc initialement viciée dans la mesure où elle s’appuie sur un système scolaire qui reproduit ou à minima peine à neutraliser des inégalités de capital social. Promouvoir la méritocratie est une ambition louable, dans la mesure ou justement elle tente de surpasser les cadres sociaux pour ne prendre en compte que les qualités personnelles intrinsèques.

Or vous l’avez compris, les inégalités d’éducation hors scolaire se fixent notamment dans le “core being” des élèves. Promouvoir la méritocratie c’est dire à chacun qu’il se battra sur le même ring avec ses armes propores, et qu’il sera jugé sur ces seuls critères. L’on s’engage à ne pas tenir compte de la maman en manteau de fourrure sur le bord du ring (c’est mal la fourrure, vive les femmes nues de Peta).

Par contre on oublie bien souvent de dire que chacun est libre d’apporter ses propres armes, acquises hors ring.

Faut-il pour autant refuser toute méritocratie? Tel n’est pas le propos. Car à cette alternative, nous pouvons y substituer une autre, celle qui voudrait se donner les moyens de donner à chacun les mêmes armes hors du ring.

Pour cela il faudrait faire plusieurs petites choses. On peut citer pêle mêle:

1) Faire respecter la loi SRU sur les 20% de logements sociaux et de coupler cette obligation avec un découpage en camembert de la carte scolaire. Non seulement les villes devraient avoir 20% de LS mais en avoir 20% dans chaque tranche. C’est à cette condition seulement que la véritable mixité sociale qui tire vers le haut les plus faibles aura une réelle consistance.
2) Rétablir l’impôt sur les successions qui sont les principales facteurs d’accumultaion des inégalités
3) Modifier notre vue scolaire qui distingue, note et oriente, pour promouvoir une réelle volonté de donner à tous une formation “capitalisante”.
4) Ouvrir les numerus clausus des grandes écoles et de certaines études type médecine

etc…

La méritocratie n’a de sens que si elle se fonde sur une égalité de départ réelle. Promouvoir le mérite dans une société qui fait tout pour figer et reproduire les inégalités c’est se foutre ouvertement de la gueule du monde.

Et on ne peut pas dire que la politique actuelle fasse tout pour rompre cette logique. C’est bien dommage.