"La vergüenza" de David Planell

Publié le 09 juillet 2009 par Zench

Pepe et Lucia, un couple trentenaire, aisé et moderne, ont adopté une jeune péruvien de 8 ans, Manu. Mais après les six mois d’enfer qu’ils viennent de subir, ils sont obligés d’avouer à leur assistante sociale qu’ils n’arrivent pas à gérer leur fils adoptif au point que cela met leur couple en péril. La nounou qui s’occupe de l’enfant observe avec prudence l’évolution d’une situation qui ne la laissera pas indifférente. Ce matin-là, Pepe et Lucia ont décidé de rendre l'enfant. Mais une telle décision ne se prend pas sans de graves conséquences…Le questionnement sur la relation de parents-enfants dans le cadre de relation d’adoption, s’inscrit ici dans le lien qui unit l’Espagne avec les pays d’Amérique Latine.
La vergüenza: " L'illusion de nos désirs"
Pepe et Lucia sont la parfaite publicité de la jeune bourgeoise madrilène. Ils sont jeunes, beaux et comble de la modernité suprême ils ont adopté Manu, un enfant péruvien. Mais voilà, on ne s'improvise pas parents par seul désir de conformisme social. Incapables de tisser la moindre relation avec leur fils, ils envisagent de rendre l'enfant à l'assistance.


Le jour de la visite de l'assistance sociale à son domicile, Pepe veut annoncer à celle-ci, sa décision de renoncer à l'adoption de Manu, mais Lucia va subitement violemment s'y opposer. Instinct maternel soudain? Regain d'amour pour l'enfant tant désiré ? Non, c'est le sentiment de honte qui l'étrangle. Le poids du regard de l'autre, le jugement moralisateur de la société la condamnerait sur le champ et elle ne peut s'y résoudre.


Manu, quant à lui, ne parvient à communiquer véritablement qu'avec Rosa, sa nounou, péruvienne comme lui. C'est elle qui l'habille, le nourrit ou encore l'emmène à l'école. C'est surtout la seule qui, contrairement à ses propres parents, ne soit pas terrifié à l'idée de rester seule avec lui.


"La verguenza" est bien évidemment une fable sur l'adoption, le film questionne ce "désir d'enfant" banalisé par la société. Pose la question de l'instinct parental, peut-il exister dans le fond sans la somme de nos égoismes? Il met en lumière la lien difficile entre parent-enfant, souligne également le chemin de croix absurde de l'adoptant. Mais le film est surtout une critique assassine de la bourgeoisie du XXIème avec ces jeunes trentenaires hyperactifs, sacrifiant tout sur l'autel de leur jouissance personnelle. Ces bobo ayant perdu tout sens des priorités.


Il y a une finesse remarquable dans l'écriture de David Planell, un oeil sans concession. La justesse des dialogues y est extraordinaire, malgré la lenteur peut-être de certaines. Le film est clairement maîtrisé, l'impact émotionnel ne cesse de croître tout le long de film avant qu'il vous assomme pour de bon. C'est un film qu'on pourrait qualifier de "moeurs" sans la lourdeur du genre.
Le film a été présenté dans le cadre du Brussels Film Festival et sortira prochainement dans les salles.
Source : Indymedia.

Rire de ce que l’on ne dit pas
Samedi, à Flagey, on pourra découvrir "La vergüenza". Comédie douce-amère sur un sujet douloureux : un couple prêt à rendre l'enfant qu'ils voulaient adopter.
L’adoption a souvent été traitée au cinéma, souvent du point de vue de l’enfant ou des démarches des parents, comme dans "Lola" de Tavernier. Présenté en compétition du Festival du film de Bruxelles ce samedi à 22 h, "La vergüenza" ose une autre approche plus délicate. Ce matin, Pepe et Lucia ont en effet pris une grave décision : à l’assistante sociale qui vient voir si tout se passe bien avec Manu, le petit Péruvien de 8 ans qu’ils souhaitaient adopter, ils vont dire qu’ils n’en peuvent plus, qu’ils veulent abandonner les démarches et rendre l’enfant.


Pour le coup, voilà bien un sujet inédit, que l’Espagnol David Planell traite avec tact dans son premier long métrage. Il y a quelques semaines, le réalisateur et ses deux comédiens Natalia Mateo et Alberto San Juan faisaient escale au Madrid de Cine, rendez-vous du cinéma espagnol avec la presse et les acheteurs internationaux. "Ce qui m’a intéressé dans le processus d’adoption, c’est d’abord le fait que quelqu’un d’autre vienne examiner la capacité de quelqu’un à être parent. Mais il était moins intéressant de parler de parents qui veulent un enfant que de parents qui souhaitent le rendre. Cette deuxième option me donnait plus de possibilités pour développer une histoire", déclare le réalisateur espagnol.


La possibilité de se séparer d’un enfant existe d’ailleurs, même après que l’enfant a été légalement adopté "En réalité, même ton enfant biologique, tu peux l’emmener à la police en déclarant que tu ne peux pas faire face. C’est un phénomène moderne. Ce n’est heureusement pas fréquent mais cela peut arriver. Avec un enfant adopté, c’est donc possible aussi ".


Si le sujet est très sérieux, le ton adopté dans "La vergüenza" est très espagnol, tirant souvent vers la comédie, ce qui risque de rendre peut-être difficile une éventuelle sortie en Belgique. "Le ton est réaliste, corrige l’acteur Alberto San Juan. L’homme ne perd pas son sens de l’humour, même dans les situations dramatiques. Il trouve toujours le côté amusant, pour lutter contre le désespoir." "L’humour permet au drame de se développer, complète David Planell. C’est plus facile de retourner au drame en passant par l’humour, parce que l’on se sent soulagé. Et puis, la vie n’est ni blanche ni noire ".


A ce titre, les scènes avec l’assistante sociale sont franchement réussies, l’humour de situation fonctionnant à plein, tout en maintenant un équilibre avec le côté douloureux de la thématique. "Ces scènes sont l’embryon du film. Le film part de cette situation, que l’on peut voir du côté du drame, mais aussi de la comédie. Car quand quelqu’un vient te juger, tu te construis une façade; c’est un instrument classique de la comédie. Tu dois montrer que tu es un parent capable. Tous les parents adoptifs ont ressenti cette pression face à cette situation. Même si cela reste évidemment très important que l’on vienne juger la capacité de quelqu’un d’adopter." Et pourtant, il ne faut pas de diplôme pour être parents naturels "Une mère biologique est enceinte pendant 9 mois. La procédure d’adoption est un peu la période de gestation pour les parents adoptifs. Ce temps est nécessaire et très important ".


En filigrane, "La vergüenza" aborde également un autre thème, l’immigration venue d’Amérique latine, dont la réalité se fait sentir dans beaucoup de films espagnols ces derniers temps. Ce père et cette mère de la bonne société espagnole, plutôt bobos, souhaiteraient être parfaits. Pourtant, face à leurs difficultés, et contre leur gré, ils développent un racisme larvé contre les Péruviens, notamment envers leur femme de ménage "Bien sûr il y a du racisme, explique David Planell. Ce n’est peut-être pas une violence explicite, elle est plus discrète. Ce qui m’intéressait, c’était le racisme venant de gens qui s’identifient à la gauche, qui se veulent progressistes. Je suis sensible aux causes sociales et je peux voir les conséquences de l’immigration dans la société espagnole. L’immigration massive est neuve, depuis une quinzaine d’années seulement. Heureusement, il n’y a pas trop de violence, même s’il y a eu quelques faits divers horribles. On remarque le manque de tradition multiculturelle en Espagne, contrairement à Londres ou Paris Même si le racisme est toujours réactualisé face à l’arrivée de communautés différentes. Tout le monde peut devenir raciste, face à la peur ".


Malgré quelques invraisemblances - l’arrivée notamment de la mère biologique, qui donne vraiment l’impression que le film se devait d’aborder le sujet de l’adoption de tous les points de vue -, "La vergüenza" séduit par l’originalité de son propos et par sa légèreté. Remportera-t-il un prix au Festival de Bruxelles, qui se clôt ce week-end ? Réponse dimanche, lors de la remise des prix à Flagey


Source : La Libre Belgique. Hubert Heyrendt.