Psychodrame au Brico Dr(e)am

Publié le 12 juillet 2009 par Boustoune


Dans Versailles rive gauche, le moyen-métrage qui l’a révélé en 1992, Bruno Podalydès mettait en scène son frère Denis dans le rôle d’un type ordinaire qui, suite à une série de petits pépins et de mauvais choix, voyait son appartement soudain envahi par toute une troupe d’indésirables, l’empêchant ainsi de pouvoir séduire la femme qu’il avait invitée pour un dîner romantique…
Dans Dieu seul me voit (Versailles-Chantiers), sorti en 1998, le même genre de personnage, toujours joué par le frère du réalisateur, avait apparemment un peu plus de succès en amour puisque pas moins de trois femmes tombaient sous son charme à peu près au même moment. Un peu trop pour ce grand dadais, éternel indécis, qui s’avérait incapable de faire un choix et de s’engager, et les laissait filer toutes les trois…
Plus de dix ans après, le cinéaste boucle sa trilogie versaillaise avec Bancs publics (Versailles rive droite) et lui donne une ultime chance de rencontrer le grand amour. Et si cette fois, c’était la bonne ?
 
Au passage, il élargit un peu son champ de vision, puisqu’on est passé d’un minuscule studio et d’une douzaine de personnages à un film se déroulant dans plusieurs lieux publics (transports en commun, bureaux, square, grand magasin) et comportant plus de quatre-vingt rôles. Ces derniers sont interprétés pour la plupart par des acteurs fidèles du cinéaste (l’«inoxydable » frérot Denis Podalydès, Isabelle Candelier, Guillaine Londez, Jean-Noël Brouté, Michel Vuillermoz, Mathieu Amalric, Philippe Uchan…) ou des acteurs connus, venus d’autres « familles » de cinéma (Josiane Balasko, Thierry Lhermitte, Catherine Deneuve, Chiara Mastroianni, Emmanuelle Devos, Pierre Arditi, Claude Rich, Michel Aumont, les trois « inconnus » Bourdon, Campan et Légitimus, Olivier Gourmet, Benoît Poelvoorde et bien d’autres…).
Evidemment, en seulement deux petites heures de film, ces personnages ne font que se croiser le temps de séquences très brèves. A vrai dire, il n’y a pas vraiment d’«histoire » ou de narration conventionnelle dans ce film. Juste un point de départ intriguant : des employées de bureau qui s’inquiètent de découvrir, à la fenêtre de l’immeuble d’en face, une banderole noire sinistre sur laquelle a été écrit en lettres blanches « homme seul ». Coup de pub ? Canular ? Ou appel au secours ? On ne le saura qu’à la toute fin du film, et c’est l’un des seuls piliers dramatiques du film qui aura les faveurs d’un dénouement.
 
Le reste est un ensemble de petites saynètes disparates, de durée très variable, et regroupées en trois parties distinctes.
Tout le premier acte se joue entre l’immeuble de bureaux et les habitations d’en face, montrant des employés stressés par des patrons obsédés par la rentabilité et les « objectifs », voire obsédés sexuels, à l’image du big boss joué par un Pierre Arditi (qui en fait des tonnes comme dans Je vais te manquer, mais en nettement plus drôle…). Le troisième acte se situe aussi dans un environnement professionnel. « Brico dream », rebaptisé « Brico dram » par une enseigne lumineuse défectueuse, est un magasin de bricolage essayant de résister à la crise en bidouillant les prix, entre soldes factices et prix démesurés, et en essayant d’offrir aux clients tout un savoir-faire et une oreille attentive. Là aussi, tout repose sur le stress – ou l’absence de stress – des employés face à des clients plus experts qu’eux, ainsi que sur les petits tracas quotidiens de tous les visiteurs, venant chacun avec leurs propres soucis, leurs propres projets…
 
Seule bouffée d’oxygène, la partie centrale, qui se déroule dans un petit square, à l’heure de la pause. Et encore… Car cet espace de détente est aussi un lieu public où chacun se trimballe ses propres problèmes. Les personnes âgées jouent au backgammon pour tromper leur solitude et tenter de se rassurer mutuellement sur leurs problèmes de santé et l’angoisse liée à leur mort, qui approche à grands pas. De l’autre côté, des jeunes parents se montrent surprotecteurs à l’égard de leur nourrisson, stressant à l’idée de ne pas être à la hauteur de leur tâche. D’autres se préoccupent de l’éducation de leurs enfants, qui, de leur côté, s’ingénient à dire les mots les plus orduriers… Il y a des amours naissants, engagement vers l’inconnu, et des ruptures déchirantes, qui laissent un vide béant…
Et, à côté de cela, des gens plus démunis, comme ces chanteurs du métro interprétant la chanson de Brassens donnant son titre au film, ou ce pauvre hère qui, probablement largué par sa compagne, a fini SDF et alcoolique, squattant le petit square…
Bien que présentant un rythme enlevé et un ton plutôt comique, Bancs Publics (Versailles rive droite) dresse le portrait bien plus grave de la société française actuelle à travers ces petits instantanés, ces micro-tranches de vie. Un univers assez anxiogène où planent les ombres de la crise économique, des conflits sur la planète, de l’individualisme forcené et de l’indifférence. Et où règne cette paradoxale « solitude urbaine »… Chacun doit lutter pour y trouver sa place, professionnellement ou personnellement, récoltant au passage quelques drames et quelques petits bonheurs.
Alors optimiste ou pessimiste, le film de Bruno Podalydès ? Eh bien, un peu des deux, comme dans la vraie vie. Après, chaque spectateur l’appréhendera de façon différente, en fonction de ses expériences personnelles, de son propre parcours, de sa philosophie de vie, ou tout simplement de son humeur du jour.
Mais pour vraiment apprécier ce film foisonnant, il faut en comprendre l’aspect ludique. Le cinéaste a éclaté ses thématiques un peu partout, au gré des séquences, tels les articles dans les rayons du magasin de bricolage, et il s’amuse à jouer sur les associations d’idées et les contrastes. A chaque spectateur de faire l’effort de reconstituer le puzzle en piochant les pièces ça et là, dans les différentes saynètes. (Rassurez-vous, cela ne demande pas des efforts inconsidérés, on est chez Podalydès, pas chez Lynch ou Greenaway…).
 
Il est en tout cas indéniable que le tout vaut bien plus que la somme des parties. Car prises isolément, les petites tranches de vie ne sont pas toutes très intéressantes. Du coup, le film n’est pas exempt de certaines longueurs et redites et souffre de quelques baisses de rythme qui l’empêchent d’atteindre le niveau d’excellence auquel il prétend.
La partie centrale dans le square est sans doute la plus faible. Certaines séquences n’ont qu’un intérêt très relatif et le jeu de certains acteurs sonne étrangement faux (Isabelle Candelier ou Eric Elmosnino, plutôt bons d’habitude, sont ici particulièrement agaçants…).
Pourtant, c’est dans ce cœur du film que l’on trouve la séquence qui illustre le mieux son propos, et son ton constamment sur le fil, entre comédie et drame, jouant sur l’opposition des caractères. Un grand ahuri (Vincent Elbaz) rencontre par hasard son ancienne prof d’anglais (Nicole Garcia).. Il était cancre, il n’a hérité que d’un boulot minable dans une fête foraine. Pas franchement une situation stable et enviable. De fantôme dans un train du même nom à fantôme pour la société, il n’y a qu’un pas… Et pourtant, de façon assez étonnante, il semble bien plus optimiste, bien plus « vivant » qu’elle, isolée sur son banc à écouter une déprimante émission de radio. La différence entre les deux ? Elle tient dans une vieille chanson de Donovan. Lui a toujours cru que l’une des lignes du texte était « Californie, my friend » alors que les paroles exactes étaient « Kill you for me my friend ». Une singulière nuance, qui montre qu’elle est lucide sur la situation du monde et un peu blasée, alors que lui a encore des rêves plein la tête, d’un ailleurs forcément plus beau…
 
Il est dommage que toutes les séquences du film de Bruno Podalydès ne bénéficient pas de la même finesse de traitement. Heureusement le niveau global est quand même bon, et la dernière partie, plus orientée vers la fantaisie façon Jacques Tati est source de nombreux gags visuels et de numéros d’acteurs savoureux – Olivier Gourmet, hilarant en expert quincailler – qui valent à eux seuls le déplacement.
Loin du film choral lourdingue et prétentieux qu’il aurait pu devenir, Bancs publics (Versailles rive droite) ne manque donc pas d’atouts pour séduire les spectateurs, du moins ceux qui accepteront son concept ludique.
Il confirme en tout cas tout le talent de Bruno Podalydès pour caricaturer ses concitoyens, et boucle en beauté une trilogie atypique sur la vie et les aléas de l’amour…
Note :