« Conflit kurde : Le brasier oublié du Moyen-Orient » d'Hamit Bozarslan

Par Anom Yme
« Conflit kurde : Le brasier oublié du Moyen-Orient » d'Hamit Bozarslan Autrement / 175 p.

Kurdes de tous les pays...

Certains conflits sont médiatiques et d'autres non. Pour paraphraser Noam Chomsky, on peut dire qu'il y a d'un côté les victimes dignes d'intérêt et de l'autre les indignes [1]. Et pour le coup, les Kurdes sont probablement les plus indignes de toutes tant on en sait peu sur leurs combats et leurs revendications. Rapide résumé géopolitique pour la sortie d'un ouvrage-clé sur le sujet.

Niché sur plusieurs pays, le Kurdistan [2] dérange. A cheval entre l'Iran, l'Irak, la Turquie et une partie de la Syrie, les frontières cohabitent avec les diverses revendications, loin d'être identiques d'un pays à l'autre. Cette particularité rend le conflit local, régional, national mais aussi international, ce qui lui donne un aspect particulier, quoi qu'assez proche du cas israélo-palestinien.

Autre problème à la résolution de ce véritable casse-tête, autant pour les Kurdes que pour les gouvernements, c'est que les minorités kurdes sont acceptés différemment selon le pays hôte. Les chamboulements culturels, politiques, économiques et stratégiques propres à chacun changent la donne à chaque kilomètre et à chaque instant, ce qui nous offre des revendications en mobilité perpétuelle. Et pour ajouter encore à la complexité, il faut aussi prendre en compte ces changements au niveau du choix des moyens d'actions pour les dissidents, voire des moyens de contre-actions pour les gouvernements.

Si en Turquie le PKK est assez remuant, n'hésitant pas à rentrer en lutte armée contre l'État, le Kurdistan irakien dispose de ses propres forces armées légères : les peshmerga. De même, si le Kurdistan irakien dispose d'une certaine autonomie et d'une reconnaissance internationale, le Kurdistan turc n'est quant à lui jamais nommé, ce qui en dit long sur une éventuelle reconnaissance...

Comprendre les enjeux de ce brasier oublié

Mais ce brasier oublié ne tombe pas pour autant dans le mutisme. Les derniers accrochages du PKK avec l'armée turque il y a quelques mois en sont bien la preuve, de même que la tenue de débats régulièrement houleux sur la question de la répartition des revenus pétroliers à la minorité en Irak. Pourtant, pour se tenir informé et comprendre cette actualité géopolitique, encore faut-il avoir quelques « bases » sur le sujet, souvent mises de côtés par les médias pour cause de couverture intensive de l'actualité « chaude ».

Pour palier à ce « manque », le dernier ouvrage d'Hamit Bozarslan fait office de remède radical. Renouant avec son sujet de prédilection [3] après un remarquable dernier ouvrage [4], Hamit Bozarslan retrace l'histoire d'un peuple et d'un conflit, de ses origines à nos jours. Loin d'écrire « à la page », ce directeur d'études à l'EHESS synthétise autant que possible, pour nous livrer un ouvrage-clé sur la problématique kurde. Si cet essai est par moments exigeant (longueurs universitaires obligent), il permet de cerner ce conflit de sa base et de voir bon nombre de ses évolutions. Mais si mieux comprendre c'est aussi mieux prévoir la suite des évènements, qui peut aujourd'hui dire ce qu'il adviendra de cette lutte ? « Apaisement régional » prolongé depuis la présence US en Irak ? Retour des actes meurtriers et des combats sanglants en Turquie ? Une question plus importante encore demeure : comment l'Iran va t-il jouer son rôle de superpuissance régionale dans la question kurde et quel poids aura t-il dans les « négociations » ?

Un ouvrage clair, concis et bien mené qui nous plonge allègrement entre culture, géopolitique et Histoire. Une référence signée d'un chercheur dont la réputation n'est plus à faire et qui mérite sa place dans n'importe quelle bibliothèque. Un ouvrage à ne pas louper pour mieux cerner les méandres et les facettes de ce conflit oublié, mais qui reste pourtant un véritable brasier capable de s'enflammer à chaque instant.

Th. C.

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Notes :

[1] : Noam Chomsky et Edward Herman, «
La Fabrication du consentement : De la propagande médiatique en démocratie » (Agone), 2008
[2] : Officiellement, seules deux régions portent le nom de Kurdistan et sont reconnues comme telles : en Irak (Başûrî Kurdistan) et en Iran (Parêzgey Kurdistan). Dans ce texte, le mot Kurdistan se réfère aux 505 000 km² de terres vues par les Kurdes comme représentant leur pays « unifié », qui leur revient de droit.
[3] : Voir du même auteur «
La Question kurde » (Presses de Sciences-Po), 1997
[4] : «
Une histoire de la violence au Moyen-Orient : De la fin de l'Empire ottoman à Al-Qaida » (La Découverte), 2008