Elle était la fine fleur des pays barbares, née de naissance illustre. D'une mère fée limpide du grand Golfe et d'un père Monarque de Blanc-Sablon, une jeune fille blanche avait vu le jour sur les plages glacées de l'île d'Anticôtes, au milieu d'une colonie de morses rampants et de fous volants. Les fées d'écumes aimaient mettre bas en bonne compagnie.
Elle vint à la vie comme la douce fortune descendait sur les sociétés druidiques. C'était la perle de l'Océan, la muse des terres perdues de l'Est. Elle amenait avec elle l'apaisement des sphères magiques qui trouvaient enfin un accord parfait entre le monde féérique des grands bassins tourmentés et la sécheresse des landes sauvages.
Le Monarque de Blanc-Sablon entendit l'appel des esprits lorsqu'il vit pour la première fois sa fille crayeuse et irradiante. Une ère nouvelle s'entamait en ce jour de grande Lune. Le Royaume de Blanc-Sablon, bastion éculé des druides terreux tombait en désuétude. Cette naissance fortunée commandait un nouveau départ. La société des druides montèrent donc à bord de leurs nombreuses barques et laissèrent la cité de Blanc-Sablon se délaver lentement par les bouillons.
La mer se fit douce et accueillante pour eux. Elle les poussa des ses longs bras poissonneux vers une côte nouvelle et inexplorée. Le premier pacte naturel était scellé: celui de la mer. Elle ne s'opposerait plus désormais à l'atteinte de l'harmonie naturelle.
Les druides investirent les forêts du Sud et y installèrent des Royaumes tissés entre les arbres et sous la terre. Ils trouvèrent en ce nouveau pays de la nourriture en abondance et une puissance magique étonnante.
À mesure que la petite grandissait, sa beauté se révélait. Son intelligence était grande et elle maniait des arts secrets dont même ses parents ignoraient la nature. Elle demeurait secrète, mais toujours bonne, un sourire discret prêt à se révéler à tous moments.
Deux sceaux magiques avaient étaient fermés par le Monarque Diurne de Blanc-Sablon: celui de la terre et celui de la mer. Pour les peuples druidiques, malgré les réjouissances de la terre nouvelle, des rutilants palais feuillus, une peur s'insinuait lentement dans les coeurs. Les druides, habilités à la magie naturelle, ignoraient la composition des rituels qu'expérimentait leur Monarque. Un bruit courait cependant dans le pays: "le troisième sceau serait le sceau démoniaque, celui de l'enfer et de la mort".
D'étranges lueurs jaillissaient parfois la nuit du grand palais et tous craignaient les apparitions, les fantômes et les revenants. On craignait surtout pour la vie du grand Diurne.
Le Monarque se faisait de plus en plus vieux et ses nombreuses expérimentations lugubres l'avaient épuisé. Marion, qui possédait des dons magiques étranges, assistait parfois aux rituels que menait son père sur des corps d'animaux morts. Souvent, un rictus retenu apparaissait sur son visage blanc. On n'eut pu dire si c'était une marque de souffrance ou de rire contenu.
Vingt années s'étaient écoulées depuis la naissance de Marion, la blanche. Elle était désormais d'une beauté stellaire. Tous s'écartaient sur son passage. Elle s'était investie d'une grande autorité qu'elle n'exerçait cependant que par le regard. Elle avait beaucoup délaissé les autres druides et passait plus que tous les autres ces entières journées dans les bois noirs.
Un jour, on s'inquiéta de l'absence de la belle qui depuis plus d'un mois avait quitté le Palais d'écorce. On lança le peuple au travers des bois les plus reculés de la lande pour retrouver la nymphe Marion. Tous revinrent bredouille la nuit tombée. Le Monarque désespérait de ne jamais revoir sa fille, lorsqu'elle revint un matin, étrange, comme changée. Marion la blanche avait le ventre ballonné des femmes qui vont mettre bas sous peu.
Le Monarque vint dans une colère terrible, persuadé que sa fille avait été attaquée par une jeune druide. Il convoqua tous les hommes à la cour et les fit passer un par un devant les yeux de sa fille, afin de faire exécuter le voyou. La belle ne cilla pas et ne voulut rien dire. Elle ne sembla pas hargneuse, ni blessée. Elle caressait son ventre comme un trésor précieux ce qui rendait fou son père qui perdait les sens.
On offrit à la belle tous les soins magiques qu'elle refusa. Le soir fatidique, elle quitta sa chambre et s'enfonça dans la forêt la plus noire.
Le Roi de Longueuil aimait aller chasser les bêtes sauvages dans les terres de l'Est. Ces forêts mystérieuses lui donnaient toujours des sueurs froides, mais regorgeaient de bêtes énormes qu'il adorait percer d'une lance. Il s'agissait de sa mise en ordre de la Barbarie naturelle.
C'était dans une de ces chasses que le Roi de l'Oeil Long tomba sur une jeune fille blanche, de la plus stupéfiante beauté. Endormie sur des branches de sapins avec un étrange petit loup, elle avait les airs d'une déesse d'un temps oublié. Sous le choc, le Roi et sa troupe restèrent sans voix.
Décidé à en faire sa femme, le Roi amoureux fou, commanda à ses hommes de l'enlever et de la ramener au Palais. En s'éveillant, la belle tenta ses ensorcellements sur les chevaliers, mais ces hommes brutaux qui ignoraient tout de la magie, demeurèrent insensibles à ses charmes.
La belle ne se débattit pas, mais accepta sa fatalité avec un rictus incertain, à la fois douloureux et victorieux.