Poétique grecque - Livre I - Introduction - Partie 1 : Prologue au dialogue sur les choeurs divins

Par Richard Le Menn

Voici la première partie d'un roman de vacances, je crois assez original, que j’ai écrit en m'inspirant pour le volume I d'auteurs antiques greco-romains. Enfin 'écrire' est un grand mot, car il s'agit plus d'un collage de traductions de textes anciens et de parties qui me sont propres. C'était la seule façon pour moi d'être le plus près possible des sources originales. Ceux qui vont le lire devront être indulgents car c'est un brouillon qui n'a pas été relu. Il est sans doute rempli d'erreurs et de fautes d'orthographe.

Le style de ce roman ne suit pas le parcours d’individus comme c'est généralement le cas mais d'idées à travers le temps. Le vrai personnage ici c'est cela. Ce livre est en trois parties, chacune autonome. Je vais présenter la première durant ces trente prochains jours au rythme d'un chapitre tous les trois jours à peu près. Ce sera ma parenthèse de vacances avant de reprendre mes articles. Je vous demande d'être cléments concernant ce texte. Si vous l'appréciez, n'hésitez pas à me le dire. Pour ma part, je me pose beaucoup de questions sur l'opportunité de le montrer ; car le but de sa composition était avant tout de me divertir, de me baigner dans un univers autre que celui dans lequel j'étais à une période et de me permettre de me souvenir de certaines de mes lectures.


LIVRE I :

POETIQUE GRECQUE


LIVRE I - INTRODUCTION


Passage tiré de la pièce de Plaute (254 – 184 av. J.-C.) intitulée : Le Cordage.

TRACHALION. - N’ayez pas peur, vous dis-je. Asseyez-vous là sur l’autel.

AMPELISQUE. - Cet autel peut-il nous protéger mieux que tout au fond de son temple, la statue de Vénus que nous tenions embrassée tout à l’heure, quand nous en avons été arrachées par la force, hélas !

TRACHALION (les conduisant à l’autel). - Restez toujours assise là ; moi, d’ici, de toute façon je vous protégerai. Prenez cet autel pour votre camp ; ici, ce sont les remparts ; d’ici j’assurerai votre défense. Avec le secours de Vénus, je saurai bien contrecarrer les perfides manoeuvres de Iéno.

AMPELISQUE. - Nous t’obéissons ; (se tournant vers l’autel) et toi, bonne Vénus, toutes deux nous te supplions, embrassant ton autel et les yeux pleins de larmes, à genoux devant toi, de bien vouloir nous prendre en ta garde, et nous protéger. Poursuis de ta vengeance les criminels qui n’ont point respecté ton temple ; souffre que nous prenions place sur cet autel, sans t’en offenser. Neptune a pris soin de nous laver toutes deux cette nuit. Ne nous regarde pas d’un mauvais oeil, et ne nous tiens pas rigueur, si notre ajustement te paraît trop peu soigné.

Plaute, Le Cordage, vers 688 à 701.

Si Pythagore, Aristote, Eratosthènes démontrent, plusieurs siècles avant notre ère, que la terre est ronde, cette évidence est souvent mise en cause aux périodes suivantes. Aujourd’hui tout le monde sait que notre planète est sphérique. Cependant, comme le dit Van-Gogh dans une lettre qu’il adresse à son frère Théo :

« Personne ne conteste que la terre soit ronde. Mais, on est encore à croire que la vie est plate et va de la naissance à la mort. Seulement la vie, elle aussi, est probablement ronde, et bien supérieure en étendue et capacités à ce qui nous est à présent connu. » [La citation est approximative car je la cite de mémoire.]

Il y a quelques centaines de siècles, faisant fi de toutes superstitions et religions, des philosophes nous ont montré que la vie elle aussi est ronde. Par leur intermédiaire, c’est dans la direction de l’esprit, de la raison et de la liberté, que je souhaite conduire le lecteur, vers un paysage qui n’est que douceur, restant tout entier à découvrir dans son infinité, et que je ne ferai qu’aborder. Si l’action se situe dans un temps ‘reculé’, cet ouvrage est cependant totalement impliqué dans la modernité. Qu’est-ce que cet écrit a de contemporain ? Je crois sincèrement que seule l’avant-garde le comprendra. Il y est question de beauté, de bonté, de sagesse, d’excellence, de plaisir, d’intelligence, de civilisation, de finesse, d’art... Tous nous connaissons ces notions et leurs donnons nos définitions. Mais n’en existe-t-il pas d’autres ? En avons-nous fait le tour ? Savons-nous vraiment de quoi il s’agit ?

J’ai choisi de vous porter dans la Grèce antique, dans une Athènes entre sources authentiques traduites et imagination, à la manière de ces peintres sur porcelaines du dix-huitième siècle qui peignent avec délicatesse une nature chimérique, aux espèces inconnues, que nous connaissons cependant car faisant partie de notre imaginaire et parce que la grammaire utilisée nous est familière car étant celle de la véritable nature : tiges, pétales, couleurs .... Ce voyage dans la fantaisie et le passé est balisé de textes, d’œuvres d’art, de fonds archéologiques d’époque, de copies, d'interprétations et d’éléments qui ont peu changés depuis : comme la terre de la Grande Grèce ; comme le soleil, le vent, la pluie, et en partie les hommes qui se sont pourtant beaucoup modifiés, du moins dans les valeurs idéologiques majoritaires qui ont fondé cette société, et qui imprègnent chaque moment de nos vies en des termes n’ayant souvent plus rien à voir avec leur signification antique tels ceux de ‘démocratie’ ou de ‘musique’. Ces mots sont pourtant utilisés dans de très nombreuses langues. La majorité des personnes vivant sur ce globe connaissent leur définition moderne. C’est le cas pour celui de ‘poétique’ (‘poésie’ vient du grec ποιεῖν, poieĩn) qui est réemployé dans de multiples idiomes : en Allemand, Anglais, Français, Espagnol, Italien, Portugais… et qui est le sujet du dialogue que je propose ici dans cette première partie d'une trilogie.

De quoi s’agit-il ? De l’étude du Rythme. La théorie vient d’une constatation simple : Le mouvement est inhérent à la vie. Le but est de gérer ce besoin ou cette nécessité d’action des êtres humains de la meilleure façon possible dans un projet commun. On distingue deux sortes de rythmes principaux. L’un est ‘anarchique’, ‘bestial’ ; l’autre est réglé, établi selon des archétypes divins. Dans Les Lois, Platon distingue trois modèles correspondant aux trois âges de la vie : le chœur des Muses pour les enfants, celui d’Apollon pour les adolescents et celui dirigé par Dionysos pour les adultes. Dans La République et le Timée il établit un quatrième modèle : le chœur des sphères, c'est-à-dire le rythme des planètes dans leurs révolutions.

Plus qu’une théorie, il s’agit d’une science. Si la poésie, les chœurs, la musique, créés par les poètes sont le fruit d’une inspiration divine ; le modèle de rythme, peut-être le plus abouti et dont les dieux ne sont que le relais, est abordable d’une façon scientifique, notamment par le nombre : les Mathématiques. Les Pythagoriciens sont connus pour avoir étudié ces rythmes, notamment à travers la Musique. Ils ne sont pas les seuls. Je crois qu’il n’existe aucune religion qui n’accorde pas une place importante à l’astrologie. Il ne s’agit pas ici d’astrologie divinatoire, mais d’une science ayant pour but d’aborder le caractère divin de chacun d’entre nous et de tous ensemble.

L’action de ce dialogue se passe il y a quatre siècles avant J.-C. dans la campagne athénienne. Les propos tenus pourraient être bien antérieurs à cette période. Clinias et Phèdre se rendent à un banquet organisé par Bathyclès pour fêter sa victoire à une compétition telle qu’il pouvait y en avoir à l’époque comme les concours de théâtre, de courses de chevaux ou autres. En chemin, ils rencontrent Protarque. Bathyclès accueille les trois hommes et leur présente un étranger : un Perse versé dans l’astrologie. Puis Calias arrive. La conversation qui a commencé sur les Muses en chemin, continue pendant le banquet et se poursuit sur Apollon Musagète (Apollon et les Muses) et le thiase (cortège) dionysiaque. Finalement sur le retour, Clinias aborde le chœur des sphères, avant que chacun rentre chez soi.

Ce premier essai est constitué pour les trois quarts de bouts de textes empruntés aux auteurs anciens, en particulier : Poétique d’Aristote ; Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres de Diogène Laërce ; Les CatastérismesArt Poétique d’Horace ; Commentaire du songe de Scipion et Les Saturnales de Macrobe. La plus grande partie est puisée dans Platon : Banquet, Lois, République et Timée. A cela s’ajoutent : Propos de table de Plutarque, Banquet de Xénophon, des Hymnes orphiques et d’autres textes glanés de-ci et de-là. Ne lisant ni le grec ancien, ni le latin, j’ai essayé de rester fidèle aux traductions des écrits d’origine, afin d’éviter le plus possible les incohérences.

De cette manière, je traite de théories orphiques, pythagoriciennes et platoniciennes particulières, dans un manifeste tout à la fois poétique, politique, scientifique, philosophique et j’espère quelque peu onirique et esthétique. Ce genre d’enseignement devait être avant tout oral, car on ne trouve aucun texte qui en parle très clairement et uniquement, du moins aucun écrit connu par moi à ce jour. Mais chaque journée a son lot de découvertes, que ce soit en archéologie, dans quelques recoins de bibliothèques ou mémoires des hommes.

LIVRE I – PARTIE 1 : PROLOGUE AU DIALOGUE SUR LES CHOEURS DIVINS

Phèdre est dans sa bibliothèque, assis dans la pénombre, entouré de rouleaux de papyrus, éclairé par une lampe à huile en forme de masque d’acteur de Comédie. On annonce Sostrate qui entre.

SOSTRATE. – Je te salue Phèdre !

PHEDRE. – Tu es le bienvenu Sostrate !

SOSTRATE. – Que fais-tu ainsi assis, affalé sur cet ouvrage ?

PHEDRE. – J’écris.

SOSTRATE. – Je comprends bien. Mais pourquoi ne dictes-tu pas le texte ? Ainsi penché sur ce papyrus tu ressembles à un sophiste.

PHEDRE en riant. – Mais peut-être en suis-je un !

SOSTRATE. – Je n’espère pas de ceux que critique Socrate.

PHEDRE toujours amusé. – Qui donnerait de l’argent pour recevoir mes enseignements ?... On m'a dit que tu étais dans notre cité pour quelques temps. Je dois me rendre à un banquet avec Clinias et il faut maintenant que j’aille le rejoindre chez lui. Veux-tu m’accompagner ?

SOSTRATE. – Oui avec grand plaisir. J’ai beaucoup entendu parler de lui.

PHEDRE. – C’est un ami d’enfance. Nos affaires nous ont éloignés l'un de l'autre et cela fait longtemps que nous ne nous sommes côtoyés.

SOSTRATE. – Phèdre, puis-je te demander une chose ?

PHEDRE. – Oui, Sostrate.

SOSTRATE. – Qu’étais-tu en train d’écrire quand je suis arrivé.

PHEDRE. – Une pièce de théâtre.

SOSTRATE. – Il faudra que tu me la lises !

PHEDRE. – J’en ferai lecture dans quelques jours. Mais pour le moment, allons chez Clinias.

Phèdre et Sostrate continuent à échanger sur le chemin alors qu'ils approchent de la demeure de Clinias.

PHEDRE. – Je t’assure Sostrate, c’est ainsi que serait née la peinture.

SOSTRATE. – Tout le monde connaît l’histoire de cet individu qui afin de garder le souvenir de la personne qui s’en allait marqua le contour de son ombre. Mais moi je ne crois pas qu’il faille voir en cela l’origine du dessin. Certains datent ce moment, ce qui me semble impossible ! Si l’on sait qu’Untel l’a fait à telle époque, qu’est-ce qui nous prouve qu’un autre n’a pas accompli la même chose avant lui ? Ce que cela démontre peut-être, c’est que cet art naît avec le désir d’imitation et de conservation qui s’accentue aujourd’hui. Nos lointains ancêtres cherchaient moins à rendre la réalité tangible que nous le faisons. Tu ne peux que constater que l’histoire de la peinture se caractérise par une recherche de plus en plus marquée d’approcher le modèle représenté, avec Cimon1, puis Polygnote de Thasos2, et bien sûr Zeuxis d’Héraclée qui peignait les raisins avec tellement de justesse que les oiseaux venaient les picorer.

PHEDRE. – Pour moi, si les oiseaux picoraient les raisins qu’il avait peints c’est à cause de l’utilisation pour faire la couleur de matières dont ceux-ci raffolent. S’il est vrai que j’aime la peinture et ses grands maîtres, j’apprécie encore plus ceux qui ont marqué l’histoire de la sculpture. Phidias3 par exemple et Polyclète4 avec son Diadumène5 et son Doryphore6 dont les artistes étudient la forme comme une sorte de loi. Il a fait l’art même dans une œuvre d’art.

SOSTRATE. – Oui, j’ai lu son Canon, le traité qu’il a écrit et qui expose les règles qui régissent selon lui l'harmonie des proportions idéales du corps humain.

PHEDRE. - Plus qu’imiter, l’art devient avec ces maîtres une véritable création, une perfection.

SOSTRATE. – Peut-on parler de parfaites imitations, transcendant le modèle pour en être encore plus vrai ?

PHEDRE. – Peut-être Sostrate. Regarde le théâtre qui inspire aussi bien nos maîtres d’école que nos plus virulents libertins. N’est-il pas plus agréable dans ses manières que la vie ? On y parle en vers, y chante des airs nouveaux, au milieu de richesses et d’un foisonnement de nouveautés. Si bien que bien qu’étant une imitation il devient lui-même imité… Mais nous voilà arrivé chez notre ami. Le soleil ne se lèvera pas avant quelques heures, pourtant la demeure de Phèdre ressemble déjà à une ruche d’abeilles frémissantes d’affairements. On sent la myrrhe, la cannelle et l’encens qui confondent leurs parfums. Les dévotions aux dieux se font tôt le matin dans cette maisonnée !

SOSTRATE. – Mais voilà celle pour qui sans doute ces offrandes ont été répandues. Celle qu’a choisie Pâris7 !

PHEDRE. - Que vois-je ? N’est-ce pas Siméké qui sort de ses appartements ?

SOSTRATE. – Non c’est Aphrodite en personne ! Chacune des vierges de la cour qui l’accompagne est plus belle que dix princesses de sang.

PHEDRE. - Siméké est la prêtresse de l’amour !

SOSTRATE. – Ne dit pas cela Phèdre ! Elle sert Aphrodite avec dévotion et grande humilité. On dit que son pouvoir est plus grand que la mer qui a vu naître la déesse8.

PHEDRE. – Siméké !

SIMEKE. – Prends ma main mon ami.

PHEDRE. – Quand m’inviteras-tu à tes mystères ?

SIMEKE. – Quand la déesse le décidera. Seul l’Amour est mon amant !

PHEDRE. – Quel est le chemin qui mène à lui ?

SIMEKE. – Celui de ton cœur et de la philosophie. Clinias m’a dit de vous demander de patienter quelques minutes. Une de mes amies va vous conduire à mes appartements où il vous rejoindra. Elle est de Corinthe et partage tout avec moi. Je vous verrai donc une autre fois.

PHEDRE. – Alors à bientôt Aphrodite.

« Sur ton char attelé : de beaux oiseaux t’entraînent9,

des passereaux rapides, au-dessus de la terre bleue et noire,

du battement pressé de leurs ailes, depuis l’espace ouranien, au

travers de l’éther… »

SIMEKE. – Que la torche d’Amour éclaire ton chemin Phèdre !

SOSTRATE. – Chère Corinthienne, nous devons donc vous suivre.

LA CORINTHIENNE. – Il me semble en effet.

PHEDRE. –

« …après le soleil

couché, la lune aux doigts de rose

éclipsant tous les astres. Sa lumière se verse

sur la mer salée

et sur les prés aux maintes fleurs.

La rosée alors en gouttes de beauté est éparse,

moment où s’épanouissent les roses, le délicat cerfeuil

et le mélilot parfumé. »10

LA CORINTHIENNE. – Veuillez m’accompagner mes compagnons. Il n’y a ici aucun écueil, aucune Circé, et personne ne vous changera en pourceaux11.

SOSTRATE. – Se laisser subjuguer par le désir sans en recevoir aucun préjudice ?

LA CORINTHIENNE. – On ne trouve avec moi que le bonheur que l’on sait partager, non pas le désir mais le plaisir. Le plaisir ne peut faire que le bien.

SOSTRATE. – Quelle est donc cette salle toute de rouge vêtue ?

LA CORINTHIENNE. – Elle est dédiée à la nymphe de cette fontaine. Vous y voyez représentés ses amours avec le premier occupant de cette maison. Mais savez-vous que dans le jardin qui la prolonge on y cultive des plantes médicinales depuis trois cents ans ? Chacune d’entre elles est venue pousser spontanément et guérissent les maux de ceux qui habitent ici. Aucun étranger ne peut fouler cette terre sacrée. Pas même Siméké. Mais si vous le souhaitez, si vous avez besoin de notre aide un jour, je peux demander au prêtre d’aller vous en chercher.

SOSTRATE. – Et là ?

LA CORINTHIENNE. – C’est la bibliothèque. Des philosophes sont peints sur les murs. Quelques-uns sont inconnus du vulgaire. Il y a des textes que l’on ne peut consulter qu’à cet endroit. Certains sont rédigés dans des écritures oubliées.

PHEDRE. – Je le sais. J’y viens parfois !

SOSTRATE. – Mais moi pas. C’est la première fois que je visite ton ami Clinias. Je n’ai pas la chance d’être un citoyen athénien ; et chaque fois que je me rends dans votre cité c’est pour y loger chez toi Phèdre. Je compte bien visiter cet endroit qui me semble en tous points merveilleux.

Conduits par la Corinthienne, les deux amis passent d’une pièce à l’autre, longeant des murs peints de scènes multiples, d’apparitions, et de décors en trompe l’œil de palais, donnant tout à la fois à l’endroit de la solennité et de la magie. Là un dieu, là une vraie personne, celui-ci est peint, celui-là sculpté, et celle-ci de chair et d’os. Tous expriment de la majesté, une beauté précieuse et charmante. Là c’est un jardin où courent du pampre et des rosiers sur des treillis, où des fontaines, avec des formes de coquillages, de créatures marines et mythiques, font jaillir en de multiples endroits de l’eau rafraîchissante. A la dérobée d’une porte ils se retrouvent sur une terrasse où se donne en spectacle la lune qui éclaire l’endroit d’une lumière irréelle dans laquelle les spectateurs sont baignés. A chaque pas de nouvelles découvertes pour Sostrate, de nouvelles salles. L’une d’entre elles est une pièce impressionnante par son gigantisme. Des colonnes s’élancent à une hauteur vertigineuse pour soutenir un plafond en voûte rempli de niches dans lesquelles sont sculptées des rosaces. Les invités croisent une maisonnée nombreuse qui se distingue par la beauté de chacun des individus qui la composent. Puis finalement, leur périple s’arrête aux appartements de Siméké, où la Corinthienne les a emmenés. Ils s’y assoient en attendant Clinias au milieu de l’encens brûlant d’un trépied ravivé par la Corinthienne. Dans la pénombre des lampes à huiles, ils observent l’endroit. De fines tentures caressent les murs roses-violets où sont peints des royaumes inconnus et des amours divins au milieu de frises de feuillages et de fleurs. Des instruments de musique sont accrochés de-ci, de-là, de même que des symboles de l’amour, des couronnes de fleurs et des objets en métaux précieux tel un immense plat sur lequel est sculpté une scène divine. Un siège trône au milieu de la pièce. Il semble fait pour rendre des oracles. Des griffons12 y sont sculptés ainsi que des rosaces et des palmettes. Exceptés les lits, d’autres meubles agrémentent le lieu. Sur un sont posées des céramiques dont certaines anciennes. Une table en bois précieux en porte d’autres. Il s’agit d’objets de toilette : des aryballes13, des alabastres14, un lécythe15 et un miroir. Un pyxis16 ouvert fait apparaître des camées… Devant, une chaise est recouverte d’un tissu rare. Une ouverture de l’un des murs donne sur un jardin. L’or et le pourpre étincellent sous les flammes nocturnes et les marbres et les joyaux scintillent pendant que les statuettes vacillent dans une danse merveilleuse. Des déesses et des dieux aux airs tendres et sensuels sont partout représentés. Des pastorales et des architectures de palais féeriques en trompe l’œil voisinent avec des marbres de différentes variétés. Ainsi la salle paraît-elle s’étendre à l’infini et le regard porté jusqu’à l’horizon par des effets de colonnades et perspectives. Au plafond sont peintes des rosaces multicolores, des étoiles et des êtres fabuleux. Phèdre contemple une longue fresque peinte sur l’un des murs. Dans des rectangles sont reproduites des scènes commençant à la création du monde puis relatant les événements marquant de la mythologie. Dans l’un on y distingue Orphée charmant les animaux, plus loin Apollon au milieu des Muses, tout cela brossé dans un style nouveau. Un grand panneau s’y différencie. On y a dessiné de grands cercles aux couleurs particulièrement harmonieuses et inspirantes dans leur agencement. Un autel est placé devant, sur lequel sont gravés des ustensiles d’architecture tenus par de jeunes gens ailés. Phèdre remarque que les personnages ailés sont récurrents. Un se distingue parmi eux, plus beau et plus grand que tous les autres, non pas dévêtu mais affublé d’une fine tunique. Il s’agit d’une femme aux traits dessinés avec tellement de justesse qu’elle paraît vraie. On la dirait étrangère… Puis c’est la représentation d’une cité tout en or qui attire le regard de l’ami de Clinias. Sostrate quant à lui est absorbé par la vénusté de leur guide sur le visage de laquelle se réfléchit la lumière de la lampe à huile qu’elle tient. Des astres dorés semblent se refléter et chavirer en flots sur le bord de ses yeux. Son regard s’illumine et scintille au dessus de la flamme. Son sourire envahit la pièce de son chant, chevauchant les vents de l’amour jusqu’aux plus petits recoins de l’esprit de son admirateur. Des demoiselles aux robes parfumées et aux reflets changeant, apparaissant par une porte et disparaissant par une autre, leur servent à boire dans des coupes d’argent et d'or.

CLINIAS. – Phèdre mon ami !

PHEDRE. – Te voilà donc déjà Clinias !

CLINIAS. – Je te salue ainsi que ce monsieur. Allons-nous au rendez-vous Phèdre ? … Je souhaiterais avant de prendre le chemin accomplir quelques dévotions sur l’autel de l’Amour.

PHEDRE. – Je suis prêt Clinias. Veux-tu venir avec nous Sostrate ou préfères-tu rester ici ?

SOSTRATE. - Je vais rester ici.

PHEDRE. – Très bien ! Alors allons !

Conduits par des torches en un cortège restreint, Phèdre, Clinias et leur suite franchissent une lourde porte et plongent en pleine ville. Les mosaïques chatoyantes de la demeure laissent la place aux lourdes dalles des rues d’Athènes. Les pierres blanches des demeures, rangées en rang les unes à côté des autres, s’illuminent sous la lumière de la lune. Un coq cocorique. Des vieillards bavardent. Des charivaris de jeunes gens, affublés de couronnes et de torches, furtivent ivres les rues. Des femmes accomplissent des dévotions, notamment sur l’autel de l’Amour. Clinias y dépose des offrandes et y fait brûler des essences.

PHEDRE. –

« En son plein apparaît17 radieuse la lune

Et quand les femmes autour de l’autel prennent place debout…

Oui, venez, tendres Charites, et vous, Muses à la belle crinière ! »

CLINIAS. – Il est temps maintenant de me séparer de mes gens qui nous on fait escorte, pour prendre la route Phèdre. Mais avant rendons-nous dans le temple y méditer et accomplir quelques dévotions.

PHEDRE. – Ta ferveur est impressionnante !

CLINIAS. – Ne te moque pas ! Tu sais que cet endroit est sacré. Des athéniens comme nous sommes presque attachés à ce temple. Les pierres de ses fondations sont si anciennes que personne ne peut affirmer quand elles furent posées. Certains disent même que ce serait l’œuvre d’un dieu. Pourtant ce n’est pas un monument impressionnant, surtout vu de l’extérieur.

PHEDRE. – De l’extérieur en effet on ne voit qu'un mur, deux colonnes et un fronton, avec devant un autel !

CLINIAS. - Mais l’intérieur est plein de la divinité.

Ayant passé le portique, les deux amis suivent un court chemin, bordé de plantes qui le submergent à moitié, et qui donne sur des marches montant jusqu’au temple. A l’intérieur, une flamme est continuellement entretenue. Une jeune femme assise semble la surveiller. Elle tourne ses grands yeux vers les intrus et leur sourit. Des mosaïques d’or brillent. Les deux hommes y méditent pendant quelques minutes hors du temps.

CLINIAS. - Suivons le chemin de ces colonnes et de ces statues le long de ce petit jardin. Il donne sur la route qui mène à notre but. Et quittons la ville, maintenant que le soleil va se lever. L’Aurore aux sandales-dorées vient nous accueillir et nous envelopper dans le manteau du jour, tel le bien-aimé qui doit se rendre vers celle qui l’attend.

PHEDRE.- « Messager du printemps, le rossignol qui chante le désir… »18 nous accompagne. Les hirondelles virevoltent devant nous avec des cris de « …jeunes filles à la voix de miel. » 19.

CLINIAS. – puisque tu aimes à citer Sapphô, c’est à mon tour de chanter des vers qui lui sont attribués en m’adressant au soleil :

« Eh bien ! lyre divine, parle-moi,

deviens toi-même une parole ! » 20

Cet astre n’a-t-il pas la couleur de l’instrument d’Apollon ? Et alors qu’il couronne déjà nos têtes après avoir béni nos pieds et nos cœurs, derrière nous, la cité ressemble au château d’or des Muses.

PHEDRE. – Quelle poétesse que Sapphô !

CLINIAS. – Moi aussi j’aime à entendre les vers de sa composition… Nous voilà tous les deux sur le chemin, déjà sous le soleil. Le trajet pour aller à notre festin est assez long. Il y a au bord de la route, comme cela est agréable à cette époque de fortes chaleurs, des haltes ombragées sous les grands arbres. Puisque nous sommes en avance, il conviendra à nos âges d'y faire souvent des pauses et de chercher dans la conversation l'allégement de notre fatigue. Ainsi achèverons-nous sans peine tout le parcours.

PHEDRE. – Quelques haltes nous serons salutaires. On trouve plus loin, dans les bois sacrés, des cyprès d'une taille et d'une beauté merveilleuses, ainsi que des étendues d’herbes où nous pourrons nous reposer à loisir.

CLINIAS. - C'est bien parlé Phèdre.

PHEDRE. - Et quand nous aurons vu, nous en dirons davantage. Eh bien allons ! Et que tout nous soit propice !

NOTES :

1 Cimon imagine de varier les visages de ses figures, marque quelques détails des corps et des vêtements.

2 Polygnote de Thasos est le premier à introduire, parmi d’autres choses, de l’expression sur les visages à la place de l’ancienne roideur.

3 Pline l'ancien in Histoire naturelle traite de la statuaire dans son livre XXXIV et dans le XXXV de la peinture. Il écrit que Phidias passe pour avoir été le premier à faire connaître les lois de la statuaire et en proposer les modèles.

4 Polyclète est un bronzier, du premier classicisme (Ve siècle av. J.-C.), originaire de Sicyone ou d'Argos en Grèce. C'est un contemporain de Phidias.

5 Statue en bronze d’un jeune homme ceignant sa tête d’un bandeau.

6 Le Doryphore (« porteur de lance ») est une des plus célèbres statues en bronze de Polyclète qui devient un canon (κανών), un modèle pour les proportions humaines en art.

7 Pâris est choisi par Hermès pour juger qui entre les déesses Athéna, Héra et Aphrodite est la plus belle, chacune s’arrogeant cette qualité. Héra promet au jeune homme un royaume, Athéna la sagesse et la valeur guerrière, et Aphrodite, l'amour de la plus belle femme du monde. Pâris choisit Aphrodite.

8 Aphrodite serait née de l’écume des flots à Chypre.

9 Dans le texte original de Sapphô c’est au passé : « entraînaient ».

10 Sappho est une poétesse grecque de l'Antiquité qui vécut au VIIe siècle av. J.-C., à Mytilène, sur l'île de Lesbos

11 Circé est une magicienne, vivant en Italie dans l’île d’Æa, que rencontre Ulysse dans l’Odyssée d’Homère. Elle échoue à changer Ulysse en pourceau comme elle l’a fait de ses compagnons.

12 Il est question des griffons plus loin dans le chapitre consacré à Apollon.

13 Aryballe. Le mot vient du grec aruballos ('bourse à cordons'). Petits vases dans lesquels on met des huiles souvent parfumées pour s'enduire le corps. Il semblerait qu'ils soient d'origine égyptienne. Les plus anciens aryballes en Grèce sont peut-être datés de la fin du VIIIe siècle av. J.-C., et sont de style protocorinthien. Dans la seconde moitié du VII e siècle ils prennent leur forme classique, sans pied, à panse arrondie (comme une bourse) et à col étroit, toujours de petite taille. Ils sont abondants dans la céramique corinthienne. A la fin du VI e s., on trouve dans la céramique attique l'aryballe à deux anses. Les aryballes en terre cuite sont surtout protocorinthiens (720-625 av. J.-C.) et corinthiens (625-550 av. J.-C.).

14 Alabastre ou alabastron. Vase à parfums employé dans l'Antiquité pour la toilette et certaines cérémonies. Le mot vient du latin alabastrum ('Albâtre'), car cet objet est souvent en albâtre gypseux ou alabastre. Les alabastres conservent des huiles parfumées, des onguents ou des parfums. Il s’agit d’un flacon cylindrique, de forme allongée, avec un goulet mince, généralement sans anse ou à oreillon. Son col étroit laisse échapper une petite quantité de liquide, tandis que sa large embouchure horizontale formant un disque plat permet de l'appliquer proprement. Les alabastres en terre cuite sont surtout protocorinthiens (720-625 av. J.-C.) et corinthiens (625-550 av. J.-C.).

15 À la fin de l’époque archaïque grecque (VII-VI e siècles) apparaît  le lécythe qui a beaucoup de succès au V e siècle. Le mot vient du grec lekuthos. C'est un vase à anse, en forme de cylindre allongé, à col étroit, à embouchure évasée. Il contient des huiles parfumées. Il est dit "plastique" lorsqu'il est en forme de figurine. Le lécythe aryballisque possède une panse globuleuse rappelant celle de l'aryballe

16 Pyxis. Petite boîte à couvercle.

17 Dans le poème de Sapphô, c’est « apparaissait » et « prirent ».

18 Sapphô

19 Sapphô

20 Sapphô

Par La Mesure de l'Excellence
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