« Tsahal à l'épreuve du terrorisme » de Samy Cohen

Par Anom Yme
« Tsahal à l'épreuve du terrorisme » de Samy Cohen
Seuil / 300 p.
Manuel en demi-teinte pour une meilleure compréhension de Tsahal

Si certains ouvrages de non-fiction sont hautement critiquables, il n'en reste pas moins que, dans leur grande majorité, ils sont tout autant intéressants. Tel est le cas du dernier livre de Samy Cohen, directeur de recherche à Science-Po (CERI) : « Tsahal à l'épreuve du terrorisme ».

L'essai est basé sur une question très simple : « Comment Tsahal gère t-il la guerre contre les terroristes ? » Exit donc les grandes considérations politiques, philosophiques ou militaires sur la guerre de 1948, celle du Sinaï (1956), ou encore celles des Six Jours (1967) et du Kippour (1973). Ici, le but n'est pas d'analyser Tsahal dans sa confrontation avec des armées régulières mais bel et bien avec des groupes, voire des groupuscules, dans ce que l'on nomme assez justement les guerres asymétriques.

Perdue face à une première Intifada populaire (peu de groupes armés y ayant participé), l'armée ne sait sur quel pied danser. Mal préparé à ce genre de conflit irrégulier, à ce face à face envers une population hostile et déterminée, Tsahal tire souvent dans le tas, use de la matraque à foison et rend la rébellion populaire aux yeux de l'opinion internationale. Israël se voulant David se retrouve en Goliath, avec ses hommes sur-armées face à une population qui riposte par jets de pierres et par bon nombre de cocktails molotov. Sur le plan purement militaire, l'opération n'est pas plus une réussite et bon nombre de voix, politiques comme citoyennes, s'élèvent contre la brutalité de l'armée et propose que ce travail soit plutôt confié à la police, plus apte à réguler ce genre de conflit. Peine perdue.

Il en va de même lors de l'opération au Liban. Face au Hezbollah, l'armée ne sait pas toujours comment réagir, multipliant les dommages collatéraux (doux nom pour ce qui reste la mort de civils innocents) et torpillant, une fois de plus, son image sur le plan international. Si Nasrallah peut se targuer d'avoir vaincu la « plus puissante armée du Moyen-Orient » avec quelques attentats à la bombe et à une guérilla urbaine, il est clair que l'objectif de Tsahal – la destruction de cette entité- est loin d'avoir été atteint. L'attaque au Liban marque donc donc une nouvelle défaite psychologique pour « l'armée de défense d'Israël », ainsi qu'une nouvelle défaite médiatique.

Alors que la politique israélienne se militarise de plus en plus, que l'armée fait partie intégrante de la culture de l'état hébreu, Tsahal a toujours quelques années de retard (une simple guerre note l'auteur) et peine à se mettre « au goût du jour » contre des ennemis de plus en plus invisibles, toujours aussi radicaux et meurtriers. L'ouvrage de Samy Cohen permet de mettre en perspective l'histoire d'une armée qui doute et qui navigue entre la certitude d'être invincible mais, tout autant, qui reste persuadé que le monde entier (et en particulier le monde arabe) ne désire rien d'autre que sa défaite. Sur ce point, l'ouvrage mérite la lecture et nous apprend beaucoup sur les évolutions de Tsahal, sur sa relation avec le Mossad ou le Shin Bet, et sur sa détermination jamais démentie a utiliser la force plutôt que la raison.

Pourtant, si Samy Cohen nous livre un ouvrage très éclairant et intéressant sur de nombreux points, il n'en reste pas moins qu'il ne peut être une réussite totale. Ainsi, on regrettera que l'analyse de certains évènements ne soit pas poussée plus en avant : le lecteur est obligé d'accepter la thèse, que rien ne prouve jusqu'à ce jour, qu'Israël fût agressé et que c'est ce qui le forcera à lancer l'opération Plomb Durci. De même, par certains moments, l'ouvrage de réflexion ressemble plus à une note de think-tank sur le chemin à suivre par l'état Hébreux pour gommer cette image de Goliath sur-armée, ou encore pour mieux réprimée un possible future Intifada.

Un ouvrage à lire donc pour aller plus loin dans la réflexion sur cette armée tant haïe par bon nombre de populations, de militaires ou de civils du monde arabe, mais qui reste pour les israéliens (à raison ou non) le garant le plus important de leur existence. Une réflexion qu'il ne faudrait pas manquer, en gardant toujours, bien évidemment, l'esprit critique et la retenue d'usage nécessaires à toutes les lectures possibles sur des sujets hautement sensibles et trop souvent porteurs de manipulations ou de désinformations.