Ultra 6000D : pas de miracle mais aucun regret

Publié le 26 juillet 2009 par Pascal Boutreau

Comme le titre de la news vous le laisse deviner, l'Ultra 6000D ne s'est pas exactement déroulée comme je l'espérais il y a encore quelques semaines. Vous lirez ci-dessous le récit des jours qui ont conduit à un abandon après seulement 41 kilomètres (je vous ai aussi mis quelques photos prises durant la course). Un peu de frustration bien évidemment mais aucun regret au regard des circonstances. J'ai même quelque part un sentiment paradoxal de "joie" d'avoir su, pour une des premières fois de ma vie de coureur, être assez sage pour ne pas risquer de gros désagréments pour les mois à venir...

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Jeudi :  J-2

Hôtel Araucaria, à Plagne Centre. Les jambes en l’air sur le gros fauteuil de la chambre, je suis plongé dans la lecture de la" Grande Course de Flanagan" de Tom McNab (le livre retraçant une course à pied entre Los Angeles et New York dans les années 30), pendant qu’à la télé, en bruit de fond, les coureurs du Tour de France s’expliquent dans le contre-la-montre du Lac d’Annecy. Le temps est gris mais le moral est au beau fixe. Enfin là, je suis plus dans la Méthode Coué qu’autre chose.

Arrivé à La Plagne depuis mardi, je tente d’oublier ma douleur en bas du dos. Lundi, en ramassant je ne sais plus trop quoi, la décharge a été terrible. Comme un coup de poignard, là même où depuis plusieurs jours je sentais une grosse fragilité. Tout ce lundi, j’ai même eu du mal à marcher, chaque pas déclenchant au mieux une grimace, au pire un petit cri. Difficile dans ces conditions d’imaginer parcourir 110 bornes en montagne. Mais il reste alors cinq jours, suffisant pour limiter la casse. Petite cure d’anti-inflammatoires (jamais plus que le triple des doses prescrites), emplâtres américains sur la zone sensible et surtout du repos. Mercredi, la douleur est devenue plus raisonnable. Espoir de courte durée puisqu’au réveil de ce jeudi, j’ai de nouveau mal. Deux jours avant la course, plus question de me gaver d’anti-inflammatoires sous peine de déclencher des problèmes d’estomac. Entre les douleurs et le ventre en vrac, je préfère la douleur. Là au moins je peux tenter de lutter.

Vendredi :  J-1

Après les orages et le temps gris de la veille, le soleil est revenu sur La Plagne. A priori, il ne nous quittera plus jusqu’à dimanche. Du côté du dos, ce n’est toujours pas ça. Obligé de me mettre en apnée pour déclencher le moindre mouvement et la simple marche reste encore douloureuse. Toute la montée en puissance mentale des deux dernières semaines (avec même le visionnage des images d'arrivées du DVD de l'UTMB 2008) est en train d’être réduite à néant. Car pour le moment, la seule interrogation est de savoir si c’est bien raisonnable de prendre le départ dans cet état et d’essayer d’imaginer combien de temps je vais pouvoir tenir une fois dans les pentes, qu’elles soient montantes ou descendantes. Pour positiver, je repasse encore quelques fois l’animation en 3D du parcours. J’essaie de me rassurer en me disant qu’il y a quand même l’air d’avoir pas mal de parties "roulantes" où je devrais pouvoir desserrer les dents. A la réception de l’hôtel, la patronne s’inquiète même de me voir marcher et en remet une petite couche dans la série "est-ce bien raisonnable ?" J’aimerais penser à autre chose mais impossible. C’est vraiment con car j’ai la sensation d’avoir des bonnes jambes, prêtes à crapahuter longtemps … Les quatre jours de repos m’ont aussi fait le plus grand bien et je me sens tout frais… Pfff, s’il n’y avait pas ce dos ! Mentalement, j’en suis à essayer de me convaincre de ne pas jouer les bourrins et d’être assez sage pour ne pas aller trop loin dans la douleur le lendemain et savoir mettre le stop pour ne pas compromettre les mois à venir.

Samedi :  Jour J

Il est 3h30 quand le réveil sonne mais ça fait en réalité bien longtemps que je suis éveillé. Le désormais rapide checking du dos est toujours le même : pas brillant. Petit déj à l’hôtel de la Tourmaline qui a eu la gentillesse de faire chauffer le café à l’aube et hop, direction la ligne de départ, à 300m. Avant d’entrer dans le sas, les sacs sont contrôlés de façon très pointilleuse. Les trois morts lors du récent raid du Mercantour ont évidemment marqué les esprits et plus question du moindre laxisme sur le matériel de sécurité. Obligation d’emporter une couverture de survie, un collant long, une veste imperméable, une lampe frontale et des piles de rechange, une bande élasto, un sifflet, une casquette, une réserve d’eau d’au moins un litre et de la nourriture.

Du côté du mental, je n’ai plus grand espoir de voir l’arrivée. J’ai beau essayer de me convaincre que ça va le faire, le moindre pas un peu plus long qu’un autre me titille le bas du dos… L’idée de base est donc de prendre le départ et de faire le point au premier ravitaillement à Plagne Centre, au km 26.

5 heures, c’est parti. Quelques hectomètres de bitume et on attaque la première grimpette du jour, lampe frontale sur le front. Petit rythme tranquille, la journée sera peut-être longue. Et comme il est écrit dans La Longue course de Flanagan, "c’est toujours le rythme qui tue et pas la distance". Je pars donc mollo. De toute façon, je n’ai pas vraiment le choix. Tout se passe plutôt bien. ça pique bien un peu mais c’est tout à fait supportable. Sur le chemin, après deux ou trois heures de course, je fais la connaissance d’un camarade rémois. On discute un peu et le temps passe plus vite. Le jour s’est maintenant levé depuis un moment et nous voilà sur les crêtes du Mont Jovet et du Bécoin, à 2554m d'altitude. Le jour est en train de se lever et la vue est juste magnifique. Rien que pour ces moments en altitude, tout là-haut, ça valait le coup de prendre le départ. On fait gaffe où l'on met les pieds sur ce cemin très étroit car une petite glissade pourrait avoir de fâcheuses conséquences, quelques photos pour montrer aux gens qui nous prennent pour des fous, une des raisons pour lesquelles ont se lance sur de telles courses. Descente sur Plagne-Centre. Une descente relativement courte qui se passe plutôt bien même si je reste une quiche dans cet exercice.

Le temps de faire le point est arrivé. J’ai mal certes, mais c’est supportable donc je continue. C’est reparti. Pendant quelques kilomètres, nous autres concurrents de l’ultra sommes accompagnés par les premiers de la classique 6000D. Le contraste des allures est assez saisissant. Certains ont la gentillesse de nous souhaiter bonne route. Après cette petite animation, retour à la grande solitude quand les deux tracés se séparent au lac des Blanchets. Avec seulement 230 coureurs au départ de l'ultra, les écarts après 30km sont déjà importants. Mais ces moments, isolé dans la montagne, sont topissimes. Toute cette partie jusqu’à la Chapelle du Bozelet est relativement roulante. Petit rythme pépère, ça a toujours l’air de tenir. Ça ne va hélas pas durer.

Il est temps d’attaquer la longue descente sur Champagny. Et là,… c’est le drame ! Chaque appui côté droit devient vite douloureux. Relativement épargné dans les montées ou sur le plat, le dos souffre le martyre dans cette longue et forte descente. Conséquence de ces douleurs, une crispation qui contracte tous les muscles du dos d’abord mais aussi des jambes et qui fatigue d’autant plus. C’est vraiment frustrant car je sens que j’ai toujours de bonnes jambes. Mais je sais bien que la fin est proche. Ce n’est pas dans mes habitudes, mais cette fois, je vais être raisonnable et m’arrêter. J'ai bien la tentation de pousser un peu encore un peu plus loin pour au moins profiter du Parc de la vannoise, mais ontinuer serait réellement une grosse connerie. Au pied de la descente, je rends mon dossard après 41km et un peu plus de 7h30 de course. J’embarque dans une voiture pour rejoindre Aime. Sans aucun regret.

Samedi soir

Assis à la terrasse d’un bar avec mon pote Fredrik, journaliste suédois de Runners World Suède qui était déjà du Marathon des Sables en mars dernier (il avait fini dans le top 30), on regarde passer les derniers coureurs de la 6000D et les premiers de l’ultra qui arrivent après plus de 13 heures. Les images de ces coureurs où s’entremêlent toute une palette d’émotions est toujours un grand moment. Certains finissent avec femmes et enfants, d’autres lèvent les bras au ciel, heureux et soulagés d’en avoir terminé mais surtout d’avoir vécu une belle journée dans un cadre magnifique et sous un grand soleil. La 6000D est une grande course, parfaitement organisée par une équipe rôdée et à l’écoute des coureurs. Les sourires et les regards de tous les finishers en sont la plus belle preuve.

Un peu plus tard dans la soirée, Emmanuel Pardon, rencontré en décembre dernier sur les chemins de la Saintélyon et membre de la Super Copine Connection en termine avec ses 110km en 18h03’ (53e), le poing serré. Bravo Manu, une sacrée saison que tu nous fais là (ravi d’avoir passé un peu de temps avec vous et promis, la prochaine fois, j’essaie d’être un peu moins nul dans la logistique…).

Petites réflexions.- Etait-ce raisonnable de prendre le départ dans mon état? Probablement pas. Est-ce que je regrette de l’avoir fait? Pas une seconde. J’ai essayé et je me poserai donc pas la question de savoir si j’aurais pu ou pas. Quelques enseignements pour la suite également avec l'adoption sans réserve des bâtons. Même si dans les descentes je suis plutôt du genre Jean-Claude Dusse et que mon planté de bâton est encore rudimentaire, dans les montées, ça aide vraiment et change beaucoup de choses. Je dois aussi veiller à ne pas oublier de m'alimenter régulièrement. J'étais parti bien décidé à être rigoureux mais j'ai très vite été mauvais dans ce domaine en laissant trop de temps entre les pauses "buffet". Je n'ai pas eu le temps de le payer, mais cela aurait sans doute été le cas si j'avais poursuivi ma route. Enfin, j'adore décidément de plus en plus ces courses et quelque chose me dit que le triathlon va petit à petit laisser sa place à ces épreuves certes exigeantes mais ô combien "bienfaisantes".  

Et maintenant? Faire une nouvelle expérience dans ma vie : aller voir un médecin pour autre chose qu’une licence à signer. Adepte depuis toujours du "ça passera tout seul", ça ne me réjouit pas mais là, je crois que la situation l'exige... A 40 ans, tout arrive…

Les mercis : Merci à Jean-Marc Ganzer et à toute son équipe (Morgane, Florence, Stéphanie etc) pour leur accueil lors de cette très belle semaine. Merci aux 400 bénévoles de cette organisation sans qui, rien ne serait possible. Merci aussi à toutes celles et ceux qui m'ont envoyé des messages d'encouragement (pour l'épreuve ou pour revenir à la raison) avant la course que ce soit via ce blog, par sms, par téléphone (notamment du côté de Lyon) ou facebook.

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Voici le papier originel paru dans L'Equipe, vendredi, en présentation de la 6000D. Le papier est portrait de Corinne Favre, la grande dame du trail français. Pour info, elle a ajouté samedi une nouvelle victoire en couvrant les 60 bornes en 6h45' (17e au scratch). Chez les hommes, c'est le Népalais Dacchiri Dawa Sherpa qui s'est assez facilement imposé en 5h44'. Enfin, sur l'Ultra, les victoires sont revenues à Patrice Paquier (12h32') et à Véronique Gatine (16h30').

"Coco" l’impératrice

Véritable phénomène physique, Corinne Favre, rescapée d’un gros accident l’hiver dernier dans l’Himalaya, règne sans partage sur le monde des courses en montagne.

Sur les sentiers savoyards, il se murmure que même les marmottes la reconnaissent. Demain, au départ de la vingtième édition de la 6000D et de ses 60km autour de La Plagne, une épreuve référence où elle dit "connaître toutes les pierres", Corinne Favre affichera une fois de plus son grand sourire. "La 6000D, c’est la première course que j’ai disputée, rappelle-t-elle. J’avais 21 ans." C’était en 1992. Tee-shirt rose et short à fleurs, elle l’emporte. "Je me suis alors dit, que je devais avoir quelques capacités dans cet exercice…" Quinze participations, treize victoires, un record (4h51’50’’) et deux deuxièmes places plus tard, "Coco", trente-huit ans, est devenue la référence des trails, ces courses pédestres nature. Elle y affiche un palmarès unique avec des succès un peu partout sur la planète dont au Népal et ses sommets himalayens. La montagne est son royaume.

La montagne et ses plaisirs mais aussi ses dangers. Alpiniste chevronnée (elle a notamment gravi le Cho Oyu, 8201m à la frontière népalo-tibétaine,  sixième sommet de la planète), Corinne est passée tout près du drame l’hiver dernier. En novembre, en pleine ascension du Pumori (7161m), elle a le malheur de se trouver à la verticale d’une chute de sérac (gros bloc de glace). "J’étais inconsciente, je ne savais plus où j’étais, raconte-t-elle. Les sherpas ont dû me redescendre dans une chaise à porteur de 6400m au camp de base, à 5000m. ça a vraiment été la galère. Toute la nuit, les médecins m’ont surveillé et m’ont donné de l’oxygène. Heureusement, les conditions météo ont permis aux hélicoptères de voler le lendemain. C’est sans doute ce qui m’a sauvé." Elle souffre alors de plusieurs côtes cassées, d’un pneumothorax et d’un gros problème au bras droit. Opérée à Katmandou puis rapatriée, elle doit supporter cinq heures de rééducation quotidienne pendant deux mois. "Ce sont les aléas de la montagne à haute altitude, glisse-t-elle. Quand tu pars, tu sais à quoi t’en tenir."

Mais il en faut plus pour fissurer le roc. En mars, tout le monde est ainsi surpris de la voir au départ, et encore plus à l’arrivée de la Pierra-Menta, la mythique course de ski-alpinisme, à Arêches-Beaufort (Savoie), où durant quatre jours les équipes enchaînent ascensions et descentes vertigineuses. En mai, elle réussi même son pari de relier L’Argentière-la-Bessée, son lieu de résidence près de Briançon (Hautes-Alpes), perché à 950m, au Dôme des Ecrins (4015m). Un peu plus d’une heure de vélo (nombreux podiums dans les cyclosportives) puis une ascension en compagnie Nathalie Bourillon pour avaler les trois milles mètres de dénivelé et boucler son défi en 5h10’. "Ce que j’aime avant tout, c’est être en montagne, confie "Coco", titulaire du statut d’athlète de haut niveau grâce au ski-alpinisme (elle est membre de l’équipe de France depuis 2000). Pendant une course, on est dans notre monde, on secrète des endorphines et on profite du plaisir de la nature, des paysages. Car contrairement à ce que l’on pourrait penser, on n’a pas la tête dans le guidon. Je me souviens de tous les coins que je traverse. Et puis l’esprit du trail, c’est l’amitié, la passion d’un milieu sans fric et sans frime. On est une petite famille." Une philosophie du plaisir qui se retrouve dans son approche de la compétition." Je fais tout aux sensations, explique la championne, à la base monitrice de ski de fond. Je ne suis pas de plan d’entraînement car je ne veux pas m’imposer des contraintes. Rien n’est vraiment planifié dans mon programme de courses. C’est selon la forme du moment." Une forme qu’elle dit incertaine au moment d’aborder demain la 6000D avec selon son médecin "un genou de mémé". Difficile pourtant de l’imaginer autrement que victorieuse. Surtout avec l’indéfectible soutien des marmottes.

La pionnière.- Créée en 1990 à une époque où la course nature n’était pas encore "tendance", la 6000D fait partie des grandes classiques du trail. Elle doit son nom au dénivelé total offert aux coureurs (3000 de dénivelé positif et autant de négatif). Avec un départ au fond de la vallée (à Aime cette année mais à Macôt auparavant), et un passage à 3054m, elle permet de traverser toutes les strates de la montagne (forêt, prairies, pierriers, glaciers). Quatre ravitaillements sont disposés au long du parcours et le temps limite est fixé à 12 heures. Les premiers sont attendus après environ 5h45 de course. Pour cette vingtième édition les organisateurs ont ajouté une Ultra6000d longue de 110km qui traversera notamment le Parc Naturel de la Vanoise, le tout pimenté de 4400m de dénivelé positif (et donc 8800 au total), à parcourir en moins de 26 heures. Pour que l’épreuve demeure une course et non une randonnée, certains endroits du parcours doivent être impérativement franchis avant des barrières horaires définies par la direction de course. Le temps des premiers est estimé à 11 heures. Seulement cinq ravitaillements étant installés, les coureurs emportent une grande partie de leur alimentation et de leur hydratation.

La sécurité comme priorité.- Le drame du Grand Raid du Mercantour (Alpes-Maritimes), qui a causé la mort de trois concurrents fin juin (surpris à 2300m d’altitude par un orage de grêle et de neige, deux hommes et une femme sont décédés d’hypothermie), a rappelé les dangers d’une montagne que la prolifération des trails aurait tendance à banaliser. Comme pour la plupart de ces courses, chaque participant doit ainsi avoir dans son sac, une couverture de survie, un collant long, un vêtement imperméable, une réserve d’eau (minimum un litre) et de nourriture, une lampe (et des piles de rechange), un sifflet. Le portable est également fortement conseillé afin de prévenir les secours en cas de besoin (numéro enregistré en mémoire au départ). Enfin, dans un souci de préservation des paysages traversés, une poche plastique est distribuée pour y collecter les déchets et éviter de voir les sentiers jonchés de tubes de gels énergétiques après le passage de la course.