Un roi de l’évasion pour un cinéma libéré et libertin

Publié le 29 juillet 2009 par Boustoune

Qu’on se le dise, la région Midi-Pyrénées abrite un nid de cinéastes foncièrement originaux, iconoclastes et… coquins ! Un an après que les frères Larrieu aient dérouté – ou réjoui – le public avec un Voyage aux Pyrénées ludique et lubrique, c’est au tour de l’aveyronnais Alain Guiraudie de verser dans la comédie érotique avec Le roi de l’évasion, son nouveau long-métrage.
   
Comme à son habitude, le réalisateur de Du soleil pour les gueux et de Pas de repos pour les braves, emprunte des voies narratives et cinématographiques très peu fréquentées, voire jamais explorées, et se permet de bousculer les conventions et les tabous. Il signe un film érotique donc, mais qui n’a pas grand-chose à voir avec les téléfilms de charme bas de gamme que certaines chaînes de télévision aiment à programmer.
Ici, pas de bellâtre viril et sensuel… Le héros, Armand, est un type ordinaire, plus tout jeune, plutôt rondouillard, pas très beau (sans vouloir offenser l’acteur Ludovic Berthillot) et homosexuel. Mais un homosexuel qui abrite en fait un hétérosexuel refoulé (!), rêvant d’une vie « normale » avec femme et enfants, une relation plus stable, en tout cas, que celles qu’il noue, pour un soir, avec de jeunes anonymes rencontrés sur le point de drague gay du secteur…
Il va avoir l’occasion de faire son « coming-out » hétéro lorsqu’il rencontre Curly une jeune femme qui semble s’être entichée de lui. Elle est belle (forcément, puisque c’est Hafsia Herzi qui l’incarne, dévoilant au passage certains de ses charmes pour le plus grand bonheur de l’auteur de ces lignes…), elle n’a pas froid aux yeux mais elle est aussi mineure, et ses parents n’ont pas l’intention de la laisser entre les mains de ce gros type en plein doute existentiel…
Les deux amants vont donc devoir s’enfuir pour vivre pleinement leur passion, et le film bifurque alors vers une drôle de cavale amoureuse, faisant intervenir, outre le couple, toute une galerie de personnages picaresques, dont le père de la jeune fille, un vieillard encore « gay pied, bon œil » et sexuellement très actif, ou encore un flic curieux, moins intéressé par le « détournement de mineure » à proprement parler que par les « dourougnes » de mystérieuses racines aux vertus aphrodisiaques et désinhibantes, cultivées en secret par un paysan du coin, et issues de l’imaginaire débridé d’Alain Guiraudie…
Difficile de cataloguer un tel objet cinématographique, croisement improbable de film d’art & d’essai intimiste, de pamphlet politique, de burlesque et de réalisme cru. Mais le résultat est surprenant et stimulant. Le ton décalé du film ne plaira vraisemblablement pas à tout le monde, mais on ne peut qu’être admiratif devant la légèreté avec laquelle Guiraudie parvient à aborder des sujets pas évidents à traiter, qu’ils tournent autour de la libido (sexualité des adolescentes ou des « seniors », amours intergénérationnels, homosexualité, nymphomanie, utilisation de substances aphrodisiaques…) ou de questions psychologiques (crise de la quarantaine, quête identitaire, vide affectif, …).
 
Le roi de l’évasion, comme l’indique son titre, est un film libre et libéré, sans complexes ni tabous. Et qui offre de surcroît au spectateur différentes possibilités de lecture. On peut se contenter de l’apprécier au premier degré, comme une comédie fantaisiste teintée de sensualité. Ou y voir une fine critique sociale, élaborée par petites touches, raillant l’état-policier et le retour à un certain ordre moral, préjudiciable à la liberté et à l’épanouissement personnel. Ou encore une œuvre psychanalytique montrant l’univers mental chaotique d’un homme en pleine crise existentielle. Dans ce cas, certains personnages, voire la totalité, ne seraient alors que des manifestations de son inconscient essayant de le guider dans sa quête de plénitude.
Peu glamour et complètement barré de prime abord, Le roi de l’évasion s’avère finalement une œuvre plus complexe et plus fine qu’il n’y paraît, où Alain Guiraudie fait preuve d’une belle maîtrise de l’art cinématographique et d’une direction d’acteurs impeccable. Il faut dire qu’il est bien aidé dans sa tâche par son casting, très subtilement choisi. Ludovic Berthillot, jusque là cantonné à de petits rôles, obtient enfin un vrai personnage à défendre et le fait de fort belle manière. Et Hafsia Herzi, qui n’hésite pas à prendre des risques en choisissant des rôles atypiques dans des films peu consensuels, confirme ici qu’elle a une indéniable présence à l’écran et fait encore un petit bout de chemin sur la route qui la mène au sommet, auprès des plus belles étoiles du cinéma français.
Si vous pensez que le cinéma hexagonal est trop formaté et sclérosé, essayez-donc l’expérience offerte par Le roi de l’évasion. En plus d’être souvent drôle et sensible, le film constitue une véritable bouffée d’oxygène, un souffle de liberté inattendu et bienvenu. A découvrir donc…
Note :