Interview sexe en Chine

Publié le 31 juillet 2009 par Recrrr
Interview sexe en Chine

Amour chine.

Comme le dit un proverbe chinois, entendu dans le film récent « 1000prières » : aujourd'hui encore « il faut 300 prières pour traverser un fleuve avec quelqu'un, mais il en faut 3 000 pour partager un oreiller »… Pourtant, en Chine, les lignes bougent, et avec elles, la sexualité…

1.Quelles pourraient être les trois caractéristiques de la sexualité « chinoise » ?

Panama : C'est très simple au niveau du « modèle » : la sexualité chinoise est hétérosexuelle (1) et maritale (2). Donc un partenaire dans la vie, le conjoint. On peut ajouter que la fantaisie n'est pas franchement répandue -disons un rapport par semaine, sans trop de préliminaires. Beaucoup de familles habitent encore dans une seule pièce, parents et enfant dans la même chambre : cela n'est pas forcément propice à la créativité ni à la fréquence des rapports.

Pierre Haski : Il faut en finir avec le misérabilisme : la classe moyenne (environ 200 millions de personnes) vit dans des appartements plus grands que ça, les plus riches dans une moyenne de 300 à 400 mètres carrés (le philosophe que j'ai interviewé il y a quelques jours a 450 mètres carrés pour lui et sa femme, ils ne veulent pas d'enfants).

C'est vrai qu'on parle ici de quelques métropoles, pas de l'ensemble de la Chine. Mais ce sont les villes qui façonnent les évolutions des moeurs.

Panama : Et (3) tout cela change néanmoins très vite. Les jeunes générations urbaines ont des mœurs plus libres que leurs aînés. Sur ce point, je pense qu'on ne peut, de toutes façons, généraliser à l'ensemble de la Chine ce qu'on observe dans ces « vitrines » que sont Shanghaï ou certains quartiers de Pékin.

On peut parler d'une Chine à deux vitesses, dans ce domaine aussi. Le regard de l'observateur change selon qu'on est frappé plutôt par les tendances nouvelles, sensible dans les très grandes villes, ou par l'arrière-plan massif constitué par les mœurs « traditionnelles », qui restent de règle dans les villes secondaires et les campagnes.

2.Quels sont les tabous/les interdits de la sexualité en Chine ?

Panama : L'homosexualité (masculine et féminine) est largement taboue, la masturbation aussi. Alors tous les trucs en -philie (zoophilie…) , c'est même pas la peine (sauf l'haltérophilie, où ils sont très, très balèzes).

Pierre Haski : L'homosexualité est encore un tabou grand public, mais s'affiche avec de moins en moins de retenue. Le Monde a même publié dans sa série JO un portrait d'une « mère de gay » qui fait campagne sur le thème « comment faire face au coming out de son fils ou de sa fille »…

Et le gouvernement parle ouvertement de l'existence d'une communauté gay dans sa communication sur la prévention du sida par exemple. C'était impensable il y a trois ou quatre ans.

3.Quel est le mode le plus fréquent de sexualité en Chine ou des schémas fréquents (couple, prostitution, femme et maîtresse, harem) ?

Panama : En Chine ancienne, polygamie et prostitution étaient courantes et même considérées comme normales. Cela a commencé à changer à l'époque moderne et, après 1949, la loi proscrivant les mariages arrangés a imposé le modèle du mariage monogame entre adultes consentants ; la prostitution a été, et reste interdite -la peine de mort est applicable au souteneur, par exemple- mais elle se développe aujourd'hui de façon exponentielle.

Pierre Haski : Le retour des concubines est un phénomène massif lié à l'enrichissement : Tout homme d'affaires qui se respecte a une ou plusieurs maîtresses, à laquelle il paye un appartement, une voiture, etc.

Surtout ne pas oublier ce phénomène, urbain, mais massif. Ça a commencé dans le sud, avec les premières réformes capitalistes, et ça a gagné progressivement Shanghaï puis Pékin.

On observe le développement des « salons de coiffure » [voir photo ci-dessus, ndlr] repérables à leur éclairage rose ou mauve, et qui ne font pas que couper les cheveux. Elles ont été rendues discrètes pour cause de JO, mais pas toutes : il y a trois jours dans le quartier de Sanlitun, à Pékin, une femme élégante s'est dirigée vers moi avec un grand sourire et m'a proposé un « full treatment » [« formule complète“] pour seulement 300 yuans (30 euros) ! Sur la prostitution, il y a, dit-on, autant de prostituées en Chine que de soldats de l'armée de libération (plusieurs millions).

Panama : Ça n'implique pas que les soldats soient les premiers à en profiter : -) On peut supposer que c'est lié à la fois à la pauvreté (pour les filles qui se prostituent) et à l'infériorité numérique des femmes (au-delà de 30 ans, on dit que 9 célibataires sur 10 sont des hommes). Pour la majorité des Chinois, le harem est un rêve impossible — c'est déjà assez dur de trouver une femme…

4.Y-a-t-il des positions/pratiques qui seraient bannies ou particulièrement appréciées en Chine ? Interdiction de la brouette japonaise pour ne pas servir l'ennemi ?

Panama : On n'a pas besoin de la brouette japonaise quand on a inventé le dragon volant et la tortue des montagnes ! Seulement voilà, s'il est vrai que la Chine a produit des manuels de sexe d'une sophistication ébouriffante (d'inspiration taoïste, avec toutes sortes de considérations sur l'hygiène, le plaisir féminin, etc.), la réalité moderne semble un peu plus terne.

Par exemple, le 69 n'est pas très prisé, et en général les filles trouvent dégueulasse l'idée même du sexe oral -je ne le sais que d'après les études savantes, ndlr ; -)

Quand le film de Ang Lee, ‘Lust, Caution’, est sorti en Chine (en version auto-censurée, mais la version complète a été largement vue, notamment en passant par Hong Kong), des médecins chinois ont mis en garde le public contre la tentation d'imiter les prouesses des amants (en soulignant notamment qu'elles requièrent de la part de la femme une condition physique et une souplesse peu communes).

Après la sortie du film, l'actrice chinoise a été mise sur liste noire en Chine (on a retiré les pubs où elle figure, etc.) mais pas tellement à cause des scènes de sexe : plutôt parce que le film, qui se déroule durant la Seconde Guerre mondiale, a été perçu comme pouvant donner une image positive des Chinois qui ont collaboré avec l'occupant japonais. La politique est partout…

5.Bon, on passe à la politique. Retrouve-t-on dans la sexualité chinoise le poids de l'histoire politique récente du pays ?

Panama : En fait, c'est même de la politique qu'il faudrait partir pour parler de la sexualité en Chine, car c'est la donnée majeure. Si la sexualité n'est pas une affaire publique là-bas, c'est à coup sûr une affaire politique. Ne serait-ce qu'en raison de la politique de l'enfant unique, instaurée à partir des années 1980 (légèrement assouplie pour les zones rurales : on a droit à deux enfants, si le premier est une fille).

Cette politique fait de la contraception (ainsi que de la stérilisation et de l'avortement) non pas tellement un droit et une liberté, comme chez nous, mais un devoir civique et une responsabilité.

Le phénomène récent le plus important, je crois, c'est le déséquilibre hommes-femmes. On estime qu'il y a aujourd'hui des dizaines de millions de Chinois contraints d'être célibataires à vie. Conséquence heureuse : ce sont les femmes, désormais, qui peuvent choisir. Conséquence malheureuse : on estime que cela explique en partie la recrudescence des viols, des enlèvements et du suicide masculin.

6.Le communisme a-t-il généré des attitudes ou comportements sexuels particuliers ?

Panama : L'égalité de droits entre hommes et femmes a été proclamée dès la constitution de 1950, et le droit du mariage a été profondément remanié pour instaurer une égalité totale. Mao a promu l'image de la ‘ travailleuse modèle ’, qui n'est pas celle du top model : ouvrière appliquée, compagne fidèle, vêtue de la même tenue asexuée que son ouvrier d'époux.

Mais il est clair qu'il s'agissait plutôt d'une forme de libération, par rapport au modèle patriarcal antérieur. Et la maternité comme telle n'est pas centrale dans l'image de la femme, en tous cas pas au sens d'avoir beaucoup d'enfants.

D'un autre côté, la prohibition de la danse, la réprobation des styles de vie ‘décadents’ (mythe de la courtisane, etc.), et la pauvreté n'ont pas favorisé la coquetterie féminine, et une fille qui s'habille sexy a toute chance de passer pour une ‘danseuse’.

Pierre Haski : Ce discours a dix ans d'âge ! Aujourd'hui, c'est l'opposé, la nouvelle génération est TRES sexy et féminine, et il n'y a aucun tabou à ça, au contraire. Toute la société de consommation qui prend forme en Chine est basée, comme en Occident, sur la séduction, la féminité, la suggestion.

Prohibition de la danse ? Là encore, dépassé : tout le Pékin branché s'est mis à la salsa ! Les choses changent très vite, cinq ans c'est une génération différente, et celle qui monte, celle qui est ‘ née dans les années 80 ’ selon les repères chinois, est beaucoup plus décoincée.

Panama : Oui à Pékin ou dans les grandes villes… En ville, la robe qipao (cette robe moulante sans manche fendue sur le côté) revient à la mode, après avoir été dénoncée comme symbole de l'ère coloniale. Dans la campagne où vit mon informatrice, ça reste encore vrai.

7.Le sexe est-il censuré en Chine et si oui comment ? Voit-on une évolution de ce côté là ?

Panama : Disons que la censure est moins forte que concernant la politique, mais qu'elle est réelle. La pornographie est théoriquement interdite mais, par exemple, la censure sur l'internet ne s'exerce pas du tout en priorité en direction du sexe. Le mot d'ordre tacite c'est : ‘Vous vivez comme vous voulez, mais nous gouvernons comme nous voulons.’

Il semble que les crimes de nature sexuelle soient en forte augmentation -mais les chiffres fiables n'existent pas. La peine de mort est applicable à certains, et l'est en réalité.

Au-delà des interdictions, la norme sociale est la pudeur, la réserve, la modestie (Confucius et le communisme vont dans le même sens sur ce point). Traditionnellement, on ne se touche pas, on n'exprime pas la tendresse en public, on n'affiche pas une liaison.

Les mots crus sont mal vus. Le vocabulaire pour parler de sexualité est généralement métaphorique et codé (exemple le plus connu : le nuage et la pluie comme symbole de l'acte sexuel, qui se retrouve dans les films, comme dans le langage courant).

Il semble clair que les attitudes envers le sexe se libéralisent (plus grande tolérance et fréquence des relations pré- et extra-maritales, augmentation du divorce, etc.).

Pierre Haski : On voit désormais des jeunes se tenir par la main ou s'embrasser en public, et les lycéens se bécotent dans les parcs après les cours, faut pas exagérer ! Je prends le métro tous les jours à Pékin, et je tombe sans arrêt sur des jeunes couples enlacés ou s'embrassant. Et ça ne choque personne. Là encore, dans les grandes villes, ça a beaucoup changé ces dernières années.

Panama : Spontanément, nous pensons, comme Occidentaux, que ces nouvelles mœurs indiquent la tendance normale et inéluctable. Soit. Mais je suis aussi frappé par l'ambivalence de ces phénomènes.

J'en ai dit un mot à propos de la contraception -signe de libération chez nous, obligation politique là-bas. On peut aussi penser à la diffusion de la pornographie, au commerce florissant des films ‘ jaunes ’ (les pornos bon marché). C'est lié à la libéralisation du marché, et aux profits que cela génère pour les pourvoyeurs, notamment hong-kongais.

Et puis, la situation démographique joue sans doute un rôle important : l'âge légal du mariage est élevé, le célibat forcé est important, etc. Il y a donc beaucoup de facteurs spécifiquement chinois, qui me semblent interdire les prédictions aventureuses.

source :www.rue89.com/

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