Carnets de marche. 8

Par Angèle Paoli



8.

   Elle marche vite. Se défaire de sa violence. Elle en appelle à La Déraison du Louvre. Les ânes lui quémandent au passage un peu d’attention, un peu d’affection. Elle pense aux animaux et à leur nom. Le sang du sanglier ; les « loches » de Louis XI. Les limaces. Elle n’a pas la moindre idée. Aucune piste étymologique ; ne pas oublier de chercher.

   Elle note le bel agencement des murs. Leur arrondi régulier, dans une courbe puis dans la courbe inverse. La Déraison du Louvre. Visite nocturne et solitaire de Laetitia Casta. Visite onirique. Du côté du sublime. Les caissons du Louvre, filmés par la caméra poétique d’Ange Leccia. Les plafonds du Louvre peints par Poussin. Ou ceux de la basilique Giulia à Rome. Le visage cinquecentesco de Laetitia. Ange Leccia brise l’icône du top model. Il la rend à son essence première. Beauté qui s’inscrit dans la continuité parfaite des beautés italiennes du Rinascimento. Elle l’avait toujours pensé en silence. La Renaissance italienne comme expression parfaite de la beauté. Mêmes ovales, mêmes lignes pures, mêmes regards tournés vers l’intérieur, même mélancolie dans le sourire à peine esquissé. Fusion parfaite. Dialogue intense. Rendre les œuvres du passé à la vie. Même éphémère. Qui ranime l’autre. Le regard de l’actrice effleure les regards croisés dans les galeries. Certains l’arrêtent qui l’interrogent, la scrutent, la percent. L’hypnotisent. Où est la limite entre rêve et réalité ?

   Un arbousier planté à vif entre des excavations de roches. Où trouve-t-il de quoi prendre racine ? L’enclos à chevreaux est encore fermé. À leur enfermement s’ajoute la nuit dans laquelle ils sont maintenus. Elle se demande si le propriétaire n’a pas perçu sa visite d’intruse.

   Les journées passent trop vite. Elle n’a le temps de rien. Encore moins d’être. Brouiller les pistes pour retrouver son centre, le cœur d’elle-même, est-ce possible ?

   Son regard d’eau limpide. La masse mouvante émouvante de sa chevelure flottant autour du visage de Laetitia. Des bulles montent de l’aquarium, qui brouillent ses traits, les déforment provisoirement. L’éphémère de la vie, prise entre liquide amniotique et mort. Où se situe la frontière entre les deux extrêmes ? Le clignement des yeux, régulier, à peine perceptible. Les oreilles, finement ourlées, comme au moment de la naissance. Ophélienne Laetitia. Et cette masse de cheveux qui flotte dans le vide. Le miracle de la beauté contenu dans la perfection de cet ourlet. Ce silence d’aquarium. Angoissant, entend-elle dire. Non, pas pour elle. Le silence de la mort ne l’angoisse pas. Pas elle.

   Le vide est dans le trop-plein du faire. Au-delà gît l’être, inaccessible, indésiré. Le menu piaillement des oiseaux. Elle ne sait pas les reconnaître. Elle reconnaît le vrombissement lointain du vol Bastia-Paris. Les grincements persistants de la pelleteuse. Le feulement de la mer est noyé. L’écrin rose émeraude de la marine. Elle marche jusqu’au croissant de lune du soleil.

   Absence. Son portable ne répond pas à l’appel des ondes vives. Le soleil cligne dans les arbres. Son œil ébloui. Linaghje. La Tour d’Amour est déserte. Davantage encore que les autres jours. Le M majuscule, c’est moi. Le Moi de notre dialogue.

   Il y a des « p’tits » ponts épatants. C’est ce qu’elle fredonne en marchant.

Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli


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