Charles-Louis PHILIPPE par René GHIL

Par Bruno Leclercq

C'est grâce à René Ghil que Charles-Louis Philippe publia ses premiers vers dans la revue belge Stella (décembre 1894), et qu'il collabora à la revue de Louis Lumet L'Enclos. En 1899 dans le numéro 107 de La Critique, René Ghil prouve qu'il n'a pas oublié le jeune ami qu'il épaula dans ses débuts parisiens. La Bonne Madeleine et la Pauvre Marie est le second roman de Philippe, il parut le 10 décembre 1898 à la Bibliothèque Artistique et Littéraire, La Plume.

La Bonne Madeleine et la Pauvre Marie


Voici un petit livre, deux petits romans qui vécurent au village, - qui devra demeurer dans la mémoire de notre coeur, là, si l'on veut, où s'émeut toujours le souvenir de cette histoire de deux âmes fines, Paul et Virginie.
Lorsque l'on sera revenu de quelques maçonneries sois-disant « études sociales », et de nombre de psychologies arides et factices, - lorsque l'on s'apercevra que toute psychique n'est intéressante, vraie, qu'autant qu'elle vibre le prolongement conscient du geste, de l'épiderme et du névrosisme humain, - le frisson multiple et complexe, saisi en l'équilibre d'un instant sublime : alors l'on s'apercevra que l'auteur de ce petit livre, que d'autres aussi sincèrement viendront grossir, est dans une voie très curieusement personnelle et belle.
La première histoire, de la Pauvre Madeleine, est intimement vécue, puisque l'auteur, le poète, dirais-je, avec qu'elle simplicité d'enfant pleurant une enfant ! Nous y dit la mort de sa soeur. Elle avait quinze ans, il en avait six. A la vingtaine, il a tenté de ressaisir son âme d'alors, les caresses et le visage de l'En-allée suavement maternelle... Je crois qu'on ne peut lire cette tentative passionnée de résurrection, sans voir au travers des larmes...
D'autres, et de très grands, ont pleuré des morts chères. Mais que nous sommes loin, par exemple, de Lamartine écrivant, sur l'annonce d'ailleurs, erronée, de la mort de la Bien-aimée, les strophes si vantées et si loin de notre âme étonnée, le lamento prolixe du Lac... Hugo dit la terrible disparition de sa fille : et c'est plus largement humain, mais encore pénible de littérature romantique, et le glas sonne trop haut !
Je n'ai pas peur pour M. Charles-Louis Philippe disant pieusement son deuil de petit enfant de six ans, d'évoquer ces deux choses près de nous consacrées. Le lecteur pensera comme moi, que je supplie de ne point laisser passer fermé devant lui ce livre très rare. Se rappeler avec douceur, avec une fraîcheur d'âme meilleure, des larmes involontaires, - qui ne voudrait cette exquise sensation !
Je voudrais citer. Je voudrais tout citer : ... « Ah ! Nos morts, pourquoi ne les avons-nous pas baisés d'avantage ! Ils avaient un corps infini pour les étreintes bien-aimées, ils avaient des mains grêles et grises parce que nous n'y posions pas assez souvent nos lèvres, ils avaient au visage des plis souffrants qui sont restés en nos coeurs, et qu'il eût fait bon baiser ces visages ! Ah ! Madeleine, si j'avais su... » - « Il faudrait que ma mémoire eût gardé l'image de cette vie de Madeleine qui glissait tendrement hors de son corps, qui s'écoulait par gouttelettes de tristesse, d'émoi, de bonheur... J'aurais dû ne pas marcher, ne rien dire, pour mieux contempler Madeleine infantile et pénétrante... »
... « Dans le lit où je dormais, jadis tu dormis, je me couchais pieusement. Je ne sais plus si j'avais un corps, tant la vie de mon coeur était exquise... » - « Et voici qu'aux jours de mes vingt ans j'ai conté ton histoire et la mienne. J'ai dit tout ce que je savais de toi pour que les belles âmes qui liront cette histoire apprennent qu'il était jadis, dans une petite ville, une jeune fille si bonne que sa bonté dura longtemps après sa mort... »
Je crois superflu d'analyser maintenant la seconde histoire, - d'une pauvre fille presque infirme, innocente et tendre, qui comme en un conte de fée, mais si tristement dans la vie, attendit en vain l'Amour, et se résigna : « Un jour on souffre d'une chose, et le lendemain on la comprend »...
M. Charles-Louis Philippe est possesseur d'un art très beau. - et, son art est si exactement et subtilement lui-même, qu'il me faut ajouter, - d'une âme très belle.
René Ghil


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