“Manger bio, sage précaution !” par Michel de Lorgeril

Publié le 15 août 2009 par Frédéric Duval-Levesque

u mois de juillet, des experts anglais travaillant pour la Food Standards Agency ont publié un rapport suggérant que “les produits bio ne sont pas meilleurs pour la santé que les aliments ordinaires”. De nombreux médias ont repris ce message de santé plutôt hostile à l’agriculture bio.

En fait, le rapport complet dit seulement que les aliments bio n’apportent pas plus d’éléments nutritifs que les aliments produits de façon conventionnelle. Ce n’était donc pas une information santé à proprement parler, mais la simple affirmation que le surcoût des aliments bio n’est pas justifié si on considère uniquement leurs contenus en nutriments. Le rapport rejette la question des insecticides, herbicides, fongicides et de leurs multiples résidus dans les aliments conventionnels, réelle question de santé pourtant.

Pourquoi préférer l’aubergine bio ?

Parce qu’elle contient plus de fer ou de vitamine C ? Non ! Les nutriments importants (vitamines, oligoéléments et polyphénols) des légumes sont surtout présents dans la peau du légume, où se concentrent également les pesticides. Donc, si on veut se nourrir (sans risque) avec des aliments riches en saveurs et en nutriments non caloriques, on n’épluche pas et on achète bio.

Pourquoi préférer le pain bio ?

Si on veut éviter les farines raffinées (pauvres en minéraux, fibres et vitamines), on préfère le pain complet. Mais c’est aussi dans l’enveloppe des céréales que se concentrent les pesticides. Si on veut du pain complet, il le faut bio.

Certains diront que l’agriculture conventionnelle respecte des normes pour les résidus de pesticides. Admettons. Mais que savons-nous de la toxicité de ces agents sur le long terme et de leurs interactions ? Or nous mangeons trois repas par jour et chaque fois plusieurs aliments contaminés par plusieurs pesticides. Ces agents s’accumulent dans nos tissus. On leur attribue un rôle causal dans des pathologies hormono-dépendantes (cancers du sein, infertilité masculine, anomalies du sexe des garçons), des maladies neurologiques (Parkinson), des lymphomes et autres cancers et leucémies.

Précaution s’impose !

Mais laissons ces questions puisque le rapport anglais ne traite pas des pesticides. On y trouve une revue de la littérature, avec 150 études pertinentes, quelques calculs statistiques et une synthèse sous forme de deux grands chapitres : l’un concernant les produits végétaux (où 23 types de nutriments ont été analysés) et l’autre les produits animaux (10 nutriments analysés). Oublions l’analyse secondaire du rapport fondée sur une sélection (arbitraire) des meilleures études parce que, en statistiques, les grands nombres sont censés compenser les défauts techniques. Si des différences significatives entre les aliments conventionnels et les bio sont mises au jour dans cette marécageuse base de données, cela signifie qu’elles sont très résistantes aux facteurs de confusion et reflètent la réalité.

A propos des aliments végétaux, les experts observent des différences pour sept types de nutriments. Ils en concluent curieusement que c’est négligeable : moins de résidus azotés (dus aux engrais chimiques) dans les aliments bio, mais plus de magnésium et de zinc, ce qui est intéressant puisque nos populations tendent à en manquer ; plus de matières sèches dans les aliments bio, donc moins d’eau et plus d’éléments nutritifs, ce qui est confirmé par des différences significatives pour les sucres, les polyphénols (en général) et les flavonoïdes dans les aliments bio.

Pour les produits animaux, il y a des différences pour trois types de nutriments : plus de lipides, plus de polyinsaturés et plus d’acides gras dits “trans” dans le bio. Les experts concluent que c’est négligeable en termes de nutrition (fort contestable) mais insistent sur les trans. On distingue les trans industriels issus de l’hydrogénation des huiles végétales et les trans naturels produits lors de la rumination et présents dans les aliments animaux.

Les deux types de trans seraient, selon nos auteurs, également nuisibles pour la santé, car ils augmentent de façon identique le cholestérol sanguin. Or les trans diffèrent radicalement vis-à-vis des maladies cardiaques : les trans industriels sont associés à un doublement du risque, tandis que les trans naturels (ceux qui sont en plus grande quantité dans le bio animal) sont associés à une diminution du risque. Avantage au bio ! Cet exemple illustre aussi, pour ceux qui n’en sont pas encore convaincus, que le cholestérol ne joue qu’un rôle négligeable dans les maladies du coeur.

Tout cela indique qu’il est préférable de manger bio, qu’il s’agisse d’aliments végétaux ou animaux, surtout pour protéger sa santé, selon la formule classique “que tes aliments soient ta médecine”. Encore faut-il que cela soit acceptable pour le budget familial.

Une dernière question concerne l’opportunité de publier ce rapport en juillet. Y aurait-il quelque part et à l’approche des grandes négociations sur l’avenir de l’agriculture européenne une stratégie visant à décrédibiliser une agriculture qui ne soit pas industrielle et productiviste, exportatrice (plutôt que locale), prédatrice des ressources naturelles et dévastatrice pour l’environnement ? Assistons-nous aux premières escarmouches de la grande bataille qui s’annonce et dont l’enjeu pourrait être l’émergence d’un Monde Nouveau où Monsanto, Unilever et les autres ne seraient plus les rois de la fête ?


Michel de Lorgeril est cardiologue, chercheur CNRS au laboratoire TIMC “Coeur et nutrition” de l’université de Grenoble Michel de Lorgeril Article paru dans l’édition du 14.08.09 du journal Le Monde