Investir dans l'invisible.

Publié le 17 août 2009 par Valabregue

Cet éditorial est dédié à Jean Hugues Dobois qui est décédé à 57 ans !

Jean Hugues sans lequel ce site n'existerait pas.

Je crois que Jean Hugues aurait apprécié ces quelques réflexions, inspirées du livre de Peter Sloterdijk intitulé « Colère et temps » et dédicacé à Jean Baudrillard. Baudrillard qui a justement été le patron de la thèse de Jean Hugues (la seule qu'il ait accepté de diriger).

Le propos de Sloterdijk est de montrer comment l'Eglise d'abord, puis les partis communistes qui ont pris la relève, ont utilisé le moteur principal de la civilisation occidentale, c'est à dire la colère, pour élaborer une banque mondiale de la vengeance qui a servi à utiliser le sentiment de révolte des opprimés pour arriver au pouvoir !
Sloterdijk estime ensuite que la situation aujourd'hui ne permet guère de pouvoir encore utiliser cette énergie pour construire un monde « au delà du ressentiment ». Même s'il y aura des tentatives sporadiques parce que nous sommes passés à une autre époque qui serait celle de la suprématie de l'érotisme (et de la relativisation de l'argent).

Nous ne nous prononcerons pas sur ce diagnostic, mais, en tout état de cause, construire un monde au delà du ressentiment qui permettrait de bâtir « une civilisation mondiale » nous concerne au premier chef.

Une chose est certaine, les mutations en cours et à venir joueront sur d'autres logiques que celles de l'argent, et, comme il s'agit de phénomènes de société, nous n'avons que peu de pouvoir là dessus.


Le seul pouvoir que nous avons et que nous revendiquons (la marge de libre arbitre aurait dit Jean Hugues) c'est de profiter de ce qui se passe et de tenter de contribuer à construire la crédibilité d'une posture humaine moins assujétie au m'inporte-quoi (n'importe quoi de l'extermination de l'autre, de l'acharnement à le mépriser et à ne pas reconnaître ce qui a servi à asseoir sa position).

Cette construction, tout bien réfléchi, ne peut être qu'un investissement dans l'invisible, c 'est à dire dans l'élaboration des reflexes à acquérir pour que cette posture soit viable.

Dans son livre, Sloterdijk fait justement remarquer que le slogan « un autre monde est possible » est un slogan faible, car il ne décrit pas le possible.

Nous ne pouvons donc pas faire l'économie de préciser de quoi il s'agit. D'autant plus qu'il s'agit de la raison d'être de ce site. Faire l'inventaire d'autres possibles, mais évidement pas de tous les possibles, seulement de ceux qui sculptent peu à peu un invidividu souverain donc attentif aux autres et à la planète.
Attentif dans la mesure où il est dans l'écoute de l'interdépendance et de la fragilité de la vie même. Attentif mais souverain, car les tentatives d'asservissement de l'homme à une idéologie collective ont véritablement montré leur limites au XX ème siècle, comme le rappelle avec force Sloterdijk.
Cela veut dire que concrètement il faut parler avec son voisin de palier.

Mais pas uniquement.

Il s'agit sans cesse de reposer les contours de ce sur quoi nous sommes vraiment d'accord et qui peut faire société porteuse de plus de respect et ce sur quoi nous ne sommes pas d'accord et qu'il faudrait traiter avec le maximum d'élégance.
Oui le maximum d'élégance était la grande qualité de Jean Hugues...
Croire que les choses iront toutes seules dans la direction souhaitée est un pur rêve. Ne pas croire qu'on puisse faire quoique ce soit est une position suicidaire.Une société qui serait articulée sur la « main invisible » du hasard n'a que peu de chances de survivre. Et c'était mon désaccord avec Jean Hugues.


Le fait que notre pouvoir soit beaucoup plus limité qu'on ne le croit, n'empêche pas de l'exercer.

  • La première tâche de l'investissement dans l'invisible est justement de décoder les contours de notre influence sur les autres et de l'influence des autres sur nous.

Cela devrait être l'axe directeur de toute éducation digne de ce nom.

Education qui apprendrait à partir du ressenti pour penser et élaborer des actes les plus cohérents avec ce que l'on a envie de regarder en face, sans honte et sans fausse modestie.

  • La deuxième tâche de l'investissement dans l'invisible serait de comprendre pourquoi il est important de se relier au long terme.
  • La troisième tâche serait de développer nos capacités à oeuvrer à ce qui fait sens et d'en accepter les conséquences.

Quand on voit les milliards de milliards qui sont investis au plan purement technique, il n'est pas invraissemblable de demander un petit pourcentage pour l'investissement dans l'invisible.

Ce n'est pas tant d'une taxe Tobin dont nous aurions besoin que d'affecter 1% de tous les budgets à cet investissement éducatif.