L'espionnage de Dieu

Publié le 20 septembre 2007 par Csmaf2002
Faire de la science, selon une phrase de Shakespeare, cela consiste à espionner Dieu. Mais la nature est-elle compréhensible par le cerveau humain ? En d'autres termes, la science pourra-t-elle un jour tout expliquer ? Quelques éléments de réflexion en vrac sur cette épineuse question.
Notons d'abord que l'on ne s'attend absolument pas à ce qu'un animal soit capable de comprendre la nature qui l'entoure. Par exemple, on sait qu'un chien n'est pas en mesure d'appréhender ce qu'il voit dans un miroir : il ne peut ni se reconnaître, ni comprendre que ce qu'il y a de l'autre côté du miroir se trouve en réalité de son côté (certains primates sont plus « évolués » : ils ne se reconnaissent pas non plus dans un miroir, mais ils sont capables d'en utiliser le reflet pour explorer une région normalement inaccessible à la vision directe). L'Homme étant un animal (presque) comme les autres, il n'y a objectivement aucune raison de penser que notre cerveau présente toutes les structures nécessaires pour comprendre tous les phénomènes que la nature nous présente.
Connait-on des exemples ? Oui, et c'est ce qui est intéressant. Par exemple, on sait que la physique relativiste s'appuie sur un espace à 4 dimensions pour décrire la réalité. La physique moderne requiert même davantage de dimensions. Or, il n'existe aucune personne au monde capable de se représenter une figure géométrique dans un espace comptant plus de 3 dimensions. Contrairement à ce que prétend une légende assez répandue, même Einstein ne le pouvait pas. Il nous est définitivement impossible de raisonner visuellement sur de telles « hyper-figures » avec une règle et un compas, contrairement à ce que nous faisons couramment sur des figures géométriques planes en 2 dimensions.
Mais ce qui est crucial, c'est que nous sommes conscients de cette limitation intellectuelle, à la différence des chiens sus-cités qui ne comprennent même pas qu'ils ne comprennent pas ce qu'ils voient dans le miroir. Aussi, nous pouvons contourner notre limite en inventant des artifices, par exemple les équations mathématiques, qui nous permettent de raisonner de façon juste sur des objets que l'on ne peut pourtant pas concevoir. Reste à savoir si l'on sera toujours conscient de nos limites (rien n'est moins sûr), et si l'on trouvera toujours un palliatif tel que les mathématiques pour les contourner (là, j'aurais tendance à répondre par l'affirmative, mais la discussion nous entrainerait un peu loin).
Dans le même ordre d'idée, il faut souligner qu'il en va de la taille du cerveau comme de la taille de la bite : certains sont mieux servis par la nature que d'autres. Et tandis que la science se complexifie, la distribution des capacités intellectuelles dans la population reste la même. Ainsi, alors qu'au siècle des Lumières, beaucoup pouvaient appréhender un domaine scientifique donné dans son ensemble, seule une très petite minorité peut aujourd'hui le faire. Et je dis bien une minorité, pas une élite : car le fait que la nature ait doté ces rares personnes des capacités mémorielles et cognitives suffisantes n'en font pas des êtres supérieurs aux autres, mais juste des êtres spécialisés différement. Bref, la capacité de compréhension de l'être humain reste constante, tandis que la science est de plus en plus complexe ; les deux courbes vont-elles se croiser un jour ?
Un autre point de discussion intéressant est la nature même de la science. La méthode qu'elle utilise (dans toutes les disciplines à l'exception des mathématiques) consiste à observer des phénomènes, puis à tenter de les modéliser avec une ou plusieurs théories, puis enfin à utiliser ces théories pour prévoir d'autres phénomènes non encore observés. Or, contrairement à une idée répandue, il est strictement impossible de prouver une théorie. On ne peut que démontrer sa fausseté, pas sa véracité. C'est que le problème n'est pas symétrique : tandis qu'il est impossible de garantir que les choses se passeront toujours comme prévu par la théorie dans tous les cas possibles y compris ceux qu'on ne connait pas encore, il suffit d'observer un seul phénomène contraire à la théorie pour être certain qu'elle est fausse ou incomplète. Dans ce dernier cas, on invente alors une nouvelle théorie, plus complète, et on recommence le cycle.
Dans ces conditions d'incertitude, on ne peut pas utiliser les notions intuitives de vrai et de faux. Ca ne fonctionne pas. Ainsi, la gravitation de Newton n'est pas vraie : il existe des phénomènes, comme les orbites des planètes rapides ou comme les trous noirs, dont elle ne peut pas rendre compte. Mais elle n'est pas fausse non plus : on l'utilise avec succès depuis plus de trois siècles pour prévoir le retour des comètes, par exemple. La relativité générale d'Einstein n'est probablement pas vraie non plus : on n'a jamais observé un seul phénomène qui la remette en cause, mais il est probable qu'on en trouvera un jour. Cependant, elle est moins fausse que la théorie de Newton, puisqu'elle rend compte à la fois des mêmes phénomènes et d'autres.
Ainsi, compte tenu de l'essence même de la méthode scientifique, on a toutes les raisons de penser que nos théories sont « de plus en plus vraies » et que l'on comprend « de mieux en mieux » la nature. La question est de savoir si ce progrès est asymptotique ou non, autrement dit, de savoir si l'on peut atteindre l'omniscience ou bien si l'on ne peut que s'en approcher infiniment sans jamais l'atteindre. On ne le sait pas, et on ne le saura probablement jamais. En revanche, ce que l'on peut affirmer, c'est que si l'on atteint un jour l'omniscience, on ne s'en apercevra même pas, puisque comme mentionné ci-dessus, il n'est pas possible de prouver qu'une théorie est vraie, autrement dit, d'être certain que l'on n'en trouvera jamais de meilleure. D'ailleurs, il est même envisageable que dans certains domaines précis, nous ayons déjà atteint cet ultime état de perfection théorique : je pense notamment à la thermodynamique.
La nature est-elle entièrement compréhensible par le cerveau humain ? D'après tout ce que je viens de dire, le bon sens et la raison pousseraient à une certaine humilité et à répondre par la négative. Mais l'histoire des sciences montre que l'on a toujours réussi à surmonter les difficultés et à pondre de meilleures théories que nos prédécesseurs, ce qui pousserait plutôt à répondre par l'affirmative. Mais à la limite, peu importe ; car ce qui est certain, c'est que nous n'aurons jamais la certitude d'avoir tout compris, même le jour où nous aurons effectivement tout compris.