Les radis bleus, Pierre Autin-Grenier

Publié le 23 août 2009 par Antigone

"Le temps qu'il faut  pour faire une phrase ! S'imaginer capable d'en faire une chaque jour ... Délire d'orgueil ! Folie de poète, peut-être..."

Et c'est cette entreprise folle que Les radis bleus retracent, un an de pensées, d'éclats et d'anecdotes...
Se loge dans le journal poétique de Pierre Autin-Grenier beaucoup de mélancolie, car il y est question assez souvent de fin de vie et de douleur. On devine, au détour d'une page, la perte d'un enfant sans doute ; le désir en tous les cas d'une vie retirée, paisible.
Malgré quelques répétitions de thèmes, dues certainement au genre utilisé, j'y ai également trouvé de bien jolis morceaux d'écriture, des réflexions sur l'utilité des poètes et de la poésie aujourd'hui, de l'ironie.
L'exemplaire que l'on m'a judicieusement prêté est truffé de petits bouts de papier !!

Quelques extraits seulement...(parce qu'il faut bien choisir !)

"Jeudi 3 février - Saint Blaise - Toute la nuit cent mille réveille-matin ont marmité à gros bouillons dans ma tête pour mieux m'empêcher de dormir. Au lever, me voici pire qu'une charette de chiens.
Je me régale de toutes ces choses effroyables et bien atroces qui brinquebalent dans ma caboche, pensant en tirer profit pour une page, un poème, une note...
L'heure de la feuille blanche me trouve le crâne creux, vidé de toute émotion. Je connais !... Insaisissables, les bandits voleurs de mots sont venus qui ont tout emporté !"

"Mardi 29 mars - Sainte Gwladys - Il y a comme quelque chose d'inépuisable et d'inachevé dans tout poème. Quelque part un mot console et épouvante, surprend parfois ; mais toujours fait signe et nous appelle. Invite à poursuivre l'immobile voyage.
Surgit soudain l'idée du sang, sans qu'on puisse l'attribuer en bonne raison au poème seul. Ou bien s'exhale une odeur ancienne de buanderie, qu'accompagne aussitôt le souvenir fragile de vieilles lessiveuses en ferblanterie. D'autres fois, c'est un ciel du même bleu que la nostalgie qui doucement se découvre, et vous porte à rêver...
Ainsi le lecteur affranchi peut-il prendre sa propre part à l'existence même du poème. Parce que loin de contraindre et d'enfermer dans le mot, la poésie - toujours - tient les portes de la vie larges ouvertes."

"Dimanche 3 avril - Pâques - Jamais nous ne mettons de nappes sur la table. Toujours nous la tenons bien cirée, brillante et lisse. C'est dommage, parfois, cette absence de nappe. En en soulevant un coin on pourrait en effet facilement voir, par en dessous, les jours passer."

"Dimanche 23 octobre - Saint Jean - Oh là là!..." (ma préférée parce que inattendue ;o))

"Vendredi 25 Novembre - Sainte Catherine - Rien n'est plus simple que le linge qui sèche sur le fil tendu entre le cerisier et l'acacia. La mésange qui se pose, légère, à côté des serviettes à carreaux rouges et bleus a tout compris. Et la voilà qui s'envole avec le vent faisant un instant vraiment bouger la vie.
Le front contre la vitre, l'oeil loin au-delà, on prend ainsi l'exacte mesure du temps. Toute gesticulation devient vite dérisoire quand on sait le discret travail de l'arbre, l'infinie persévérance des hautes herbes, l'ombre qu'il faut encore au jour pour lentement devenir la nuit.
Ils ne savent pas, ceux qu'une telle sagesse porte à sourire, quelle rare patience réclame chaque aube nouvelle et que vouloir forcer l'allure ne mène jamais nulle part."

"Samedi 31 décembre - Saint Sylvestre - Minuit, je jette un truc complètement cassé dans un lit en cage de fer et finalement le truc y trouve un sommeil qu'il voudrait sans réveil. C'est moi."

Sa bibliographie et un texte à lire sur remue.net - On peut l'entendre et le voir sur le site du Matricule des Anges