Mon interview dans la Lettre Parole Bégaiement

Publié le 05 janvier 2009 par Taliax

Yan-Eric de Frayssinet, rédacteur en chef de la Lettre Parole Bégaiement (le journal trimestriel de l'APB), m'avait interviewé il y a quelques temps dans le but d'en faire un article comme il a l'habitude de faire pour chaque numéro de la Lettre. Cette interview a été publié dans le dernier numéro de décembre 2008 (n°50). J'en profite pour la diffuser sur le blog.

Bègue-aimant

Alexandre, qui êtes-vous ?

Je suis un jeune homme de 27 ans qui profite d’une vie dont il n’aurait jamais espéré quelques années auparavant. Je vis avec une femme que j’aime plus que tout, j’ai la chance d’avoir un emploi particulièrement intéressant dans une ambiance de travail agréable, un cadre de vie idyllique dans la campagne iséroise, et un bégaiement dont je serais presque fier aujourd’hui. Je joue de temps en temps au tennis, je me mets doucement (et douloureusement) à la moto et j’apprends à jouer de la guitare folk. J’entreprends beaucoup de choses, des passions d’un temps qui me lassent finalement assez vite. Quelques passions restent tout de même : la musique, l’informatique, les mangas, le cinéma et le bégaiement. Je suis né à côté de Tours. Mes parents ont vite déménagé pour vivre près d’Orléans, la ville de toute mon enfance et de mon adolescence. Ensuite, mes études m’ont permis de vivre à Angers, une superbe ville, puis à Paris, la ville de ma découverte de l’APB (merci Véronique Boucand). L’entrée dans la vie active m’a amené à déménager du côté de Lyon, la ville où mes liens avec l’APB se sont renforcés (merci Xavier Lefebvre). Et depuis presque un an, je vis dans un petit village d’à peine 400 habitants à la frontière de l’Ain, de l’Isère et de la Savoie.

En quoi votre précédente vie était elle différente ?

A l’époque où j’avais sollicité l’aide d’une orthophoniste, à 22 ans, je n’avais plus beaucoup d’estime de moi. C’était sans doute par fierté que j’avais toujours refusé une quelconque aide, même celle de mes parents, pour m’occuper de ce mal que me concernait très intimement. Et c’est lorsque j’étais au fond du trou, que je n’avais plus aucun orgueil, que j’ai pu me résoudre à aller voir un spécialiste du mal qui me rongeait. Je parle du « mal » car la seule évocation du mot « bégaiement » me faisait mal. Il avait une telle emprise sur moi qu’il me bridait dans tout ce que je pouvais faire. J’étais fatigué de toutes ces années sans n’avoir jamais posé mes lèvres sur celles d’une fille pendant que mes amis étaient en couple depuis des années. J’étais fatigué d’être un excellent élève tout en sachant au plus profond de moi que tout cela ne servira à rien lorsque les recruteurs me claqueront la porte au nez du fait de mon incapacité à communiquer normalement. J’étais fatigué d’être transparent auprès de mon entourage, fatigué de n’être que le spectateur d’un monde qui ne voulait pas de moi. Personne ne pouvait comprendre mon mal-être. Le bégaiement nous prend tout ce dont on pourrait être fier. J’aurais quand même eu la chance d’avoir une poignée d’amis indéfectibles avec qui je pouvais être sans me sentir juger. Je me demandais parfois ce qu’ils pouvaient trouver de bien en moi, mais le fait est que j’étais bien avec eux et que visiblement, eux étaient biens avec moi. Aujourd’hui, les choses sont bien différentes, et avec le recul, je me rends vraiment compte à quel point un bégaiement non accepté peut être pernicieux.

De quelle façon s'exprime cette acceptation du bégaiement ?

L’acceptation de mon bégaiement aura commencé par l’acceptation de l’aide, d’abord celle de mes parents puis rapidement celle des thérapeutes. Ce premier pas peut paraître minime, mais c’est en réalité le plus difficile à franchir. Parler de son bégaiement est libérateur et permet de prendre du recul pour mieux le comprendre. En dehors de toute considération physiologique (mon cortex cérébral mal branlé ou une latéralisation bancale de mon cerveau), mon bégaiement nait de ma façon d’envisager ma relation avec autrui, et c’est en travaillant sur mon état d’esprit dans mes relations sociales que j’ai pu progresser. En gros, il faut arrêter de se prendre la tête avec le bégaiement et parler. Des bégayages arriveront inévitablement, mais ils ne m’arrêtent plus comme auparavant. J’ai bégayé, je bégaie et je bégaierai encore, et puis... Le bégaiement ne me projette plus hors de la communication et c’est là l’essentiel. J’ai également pu démystifier le monstre bégaiement en écrivant. Quelle meilleure thérapie que l’écriture comme exutoire pour exorciser tout le mal enfoui dans les profondeurs de mon âme ! Avec le recul, j’ai vraiment l’impression que le côté obscur de mon bégaiement se nourrissait de mes ressentiments, ces échecs et ces actes manqués que j’attribuais à mon impossibilité de communiquer et, de fait, à mon bégaiement. Mes rencontres d’autres personnes bègues, virtuelles grâce à internet, réelles grâce à l’APB, m’ont grandement aidé à accepter mon bégaiement, si bien qu’aujourd’hui, je parle volontiers de bégaiement si l’occasion se présente.

Cette libération vous à-t-elle ouvert de nouvelles voies ?

Depuis ma thérapie orthophonique, beaucoup d'heureux évènements ont jonché ma petite vie et mon bégaiement s'est globalement atténué. Il m'est difficile d'attribuer tout cela à mon évolution par rapport au bégaiement. Néanmoins, avec un amour propre en bonne partie retrouvé, j'ai enfin eu le courage de faire quelque chose pour trouver l'amour. Auparavant, même si l’amour me manquait infiniment, je le fuyais. Comment pouvais-je envisager de vivre l’amour tant que j’avais honte de moi ? Comment pouvais-je rendre heureux une femme si moi-même je ne m'aimais pas ? Cette réconciliation avec mon bégaiement et avec moi-même m'a amené à rencontrer la femme de ma vie, la femme que j'aime depuis bientôt 2 ans avec qui je nourris les plus beaux projets. A deux face à mon bégaiement, ce dernier n'a plus beaucoup de chances de me déstabiliser durablement.

Y-a-t-il un moment de bégaiement dont le souvenir vous fasse encore mal ?

Je me rappelle bien quelques moments de bégaiement qui furent douloureux, mais j'ai passé l'éponge. Le pire d'entre eux devait être la fois où j'ai dû présenter un exposé en classe préparatoire. Au bout d'une minute de blocage (qui me parût durer une éternité) sur le titre de ma présentation, un élève hilare a précipitamment quitté la salle en explosant de rire. Le professeur m'avait arrêté en me proposant de reprendre plus tard. Évidemment, j'avais refusé de retenter l'expérience. Moi qui prenait un soin infini à cacher mon bégaiement en me faisant discret et en parlant le moins possible à mes camarades, cette mise à jour violente de mon handicap aux yeux de toute la classe fut pour moi la plus grande des humiliations. Depuis lors, j'avais séché tous les exposés en cours de prépa, ce qui provoqua les foudres de certains professeurs. J'ai raconté cette histoire à mon orthophoniste, sur mon blog et à plusieurs reprises sur le forum "Parole de bègues", si bien qu'aujourd'hui cet évènement n'a plus d'emprise sur moi.

Racontez nous un moment de bonheur !

Rares ont été mes moments de bonheur liés au bégaiement. L’un d’entre eux me revient à l’esprit. J’étais étudiant à Paris, suivi par Véronique Boucand depuis quelques mois, et j’allais passer ma soutenance de projet de fin d’études. Ce passage devant un public, certes restreint, mais professionnel et de ce fait très critique m’angoissait depuis des semaines. Véronique Boucand m’avait aidé à préparer le passage à l’oral. Grâce à ses exercices et aux prises de risques qu’elle m’incitait fortement à prendre (comme demander l’heure à un passant dans la rue), j’avais déjà pu constater un progrès dans la gestion de mon bégaiement et j’étais très motivé, mais de là à faire un oral d’une demi heure, c’était autre chose. Le jour de cette soutenance aura finalement été un grand succès pour moi sur mon bégaiement. J’avais réussi à me détendre juste avant l’oral, j’avais dit d’emblée que je bégayais et… je n’ai quasiment pas bégayé. J’étais dans une telle euphorie que je répondais avec plaisir et sans difficultés aux questions du public. Hallucinant ! A partir de ce jour, j’ai vraiment réalisé que je serais capable de tout faire, de tout dire, et que le bégaiement ne serait plus un obstacle à ma vie professionnelle.

Quel avenir pour le bégaiement ?

Concernant le bégaiement chez les jeunes enfants, je suis très confiant quant à la guidance parentale qui, je pense, se généralisera avec succès dans l'immense majorité des cas. Quant au bégaiement chez l'adolescent et l'adulte, je n'imagine pas un avenir avec une solution unique. Je pense que l'on n'a pas fini d'entendre parler de diverses méthodes pour traiter le bégaiement chez l'adulte. Des médicaments existeront certainement dans les décennies à venir, à l'image des recherches du laboratoire Indevus sur le Pagoclone. Mais tout cela n'empêchera malheureusement pas au bégaiement de subsister. La principale avancée pourrait être que le bégaiement soit "détaboutisé", que l'on ose en parler en famille, avec ses amis, etc ; et j'imagine cela possible grâce aux actions de l'APB, mais aussi grâce à une meilleure information du public via l'Internet. Le chemin à faire est encore long, mais que c'est motivant !