Diamantina Lakes NP

Par Ericsansault

Bon je l’avoue, je n’ai absolument rien foutu hier. Je me suis levé avec le soleil, comme tous les jours, je suis sortis de la voiture pour faire trois photos du levé de soleil (et satisfaire quelques besoins vitaux) puis je suis rentré dans la voiture et j’ai lu toute la journée. J’ai fini le Stephen King, il zigouille tout le monde à la fin et ça fini en bain de sang avec morceaux de cervelle et compagnie, sympa. Enfin, je suis ressorti en début de nuit pour faire trois de la voie lactée en espérant qu’un des fantômes du livre ne sorte pas de sous la voiture pour me tordre le coup.




Quelques secondes encore et sortiront les créatures de la nuit …



Ce matin, j’ai décidé de reprendre ma route, toujours à 20 à l’heure pour ne rien manquer. Je redouble le cavalier aperçu 4 jours plus tôt et, durant le sacro-saint rituel du « signe de la main pour faire coucou », je remarque du coin de l’œil un serpent qui vient de s’enfuir dans une crevasse sur le bord de la route. Et bon, comme d’hab, je pile, je sors en trombe, je cours comme un débile et plonge littéralement au sol, balançant de la poussière partout, me niquant un genou sur une pierre et loupant le serpent de quelques centimètres, tout ça sous le regard dubitatif du cow-boy et de ses trois chevaux.


On discute quelques minutes, avec le cow-boy hein, pas avec les chevaux. Il s’appelle Preston et il se balade dans la région juste comme ça, pour le trip. Il a 400 km à parcourir à dos de cheval, ses réserves d’eau quotidiennes avec lui et le reste de la nourriture dans une caravane que son père conduit et qui l’attend le soir à chaque fin d’étape. Je me dis que ça doit sympa aussi, à dos de cheval. Tu vas plus lentement, c’est plus tranquille, ça fait moins de bruit et t’es en peu plus haut qu’en voiture pour observer le paysage. Et puis, si jamais tu crèves de faim, tu peux toujours en tuer un pour le manger (je repense à la recette du Cheval Melba de Desproges …).


Il me dit que les 4 et 5 septembre se tiendra à Birdsville une des plus grandes courses de chevaux du pays : la Birdsville Cup. Le village de Birdsville, 120 habitants, aux portes du désert de Simpson, va accueillir durant deux jours environ 6000 personnes venues de tout le pays pour picoler et regarder des chevaux tourner en rond. Franchement, j’espère que le timing va coller et que je pourrai assister à cet événement, et jouer les Raoul Duke australiens. Je vois déjà l’ambiance mâles-bierre-poussière à la Fear and Loathing in Las Vegas. Enfin bref, c’est pas pour tout de suite.


Je dis au revoir à Preston, que je reverrai peut-être à Birdsville, et jette un coup d’œil à l’endroit où le serpent s’était caché. Il est ressorti et se chauffe au soleil, immobile. C’est encore un Pseudonaja d’Ingram mais tout noir cette fois-ci. Il me laisse l’approcher à moins de 50 centimètres, sans broncher. La couleur dorsale et le comportement placide me troublent, si bien que je prends à première vue pour un taipan (il y aura d’ailleurs une anecdote à raconter à ce sujet, mais seulement en privé, j’ai un peu honte). L’environnement et la lumière ne sont pas très jolis et je décide de ne pas faire de photo. Je l’attrape quand même avant de partir, juste histoire de le faire chier et de vérifier si la scalimétrie correspond à l’espèce.




Plaine inondable de la région de Channel Country.



La scalimétrie, je sais même pas si ça existe vraiment comme mot, Word le souligne en rouge, c’est la disposition et le nombre d’écailles présentes à certains endroits du corps. Chez les serpents, on regarde souvent les écailles céphaliques et annales ainsi que le nombre de rangées d’écailles au milieu du corps. C’est parfois nécessaire pour pouvoir distinguer une espèce d’une autre, surtout si, comme dans mon cas, on a pas l’habitude de ces espèces. Concernant les écailles céphaliques, y en a tout plein, elles portent des noms barbares (pariétale, frontale, sus-labiale, sous-labiale, temporale, rostrale, loréale – parce qu’elle le vaut bien – post-oculaire, etc …) mais c’est bien de les connaître car ça peut aider sur le terrain. Comment ? Comme ça : deux personnes se baladent dans le bush, soudain, un méchant serpent qui n’aime pas les hommes et qui pense qu’à faire du mal aux gentils gens – il est peut-être même responsable de la crise économique, ça m’étonnerait pas – un méchant serpent, disais-je, sort des entrailles de la terre et mord exprès, gratuitement, pour le fun, un des deux gentils randonneurs qui n’avait rien demandé. Avec un sang-froid et une maîtrise dignes d’Hercule trépassant l’Hydre, le second randonneur tue la créature des enfers avec un bâton.


Pris de panique, n’ayant aucune connaissance de la faune ophidienne et ne sachant pas si la morsure est dangereuse, ils appellent en urgence le centre anti-poison de Brisbane. La malheureuse victime s’est assise à l’ombre d’un eucalyptus afin de limiter au maximum ses mouvements et ainsi minimiser l’augmentation du flux sanguin et la dispersion du venin, si venin il y a. Son camarade arrive à joindre le centre anti-poison. Au téléphone, une charmante demoiselle à voix douce et calme lui demande de décrire avec précision le serpent. Le randonneur regarde alors avec dégoût le cadavre du reptile et, après quelques secondes de concentration, en fait la description suivante :


- « Ah bah c’est long hein, et pis c’est marron, … et pis avec des yeux méchants ! Olala qu’y sont méchants ses yeux ! ».


À l’autre bout du fil, la voix douce et calme, demande plus de détails et insiste sur les écailles de la tête. Y en a-t-il beaucoup, sont-elles larges et plates et combien y a-t-il d’écailles entre l’œil et la narine. Puis précise :


- « C’est très important, ça peut sauver votre ami. ».


Cette dernière phrase met la pression au randonneur et lui permet d’affronter son dégoût et de s’approcher au plus près du cadavre inerte, voire de le toucher pour compter les susdites écailles. Sur la tête du serpent, l’homme remarque de grandes écailles, pas très nombreuses, bien disposées et plates. Il compte aussi une seule écaille entre l’œil et l’écaille nasale. Fièrement, il fait part de ses observations à la gentille voix du téléphone.


Quelques secondes de silence qui semblent durer les heures, puis la douce et calme voix du téléphone répond :


- « Ah … Une seule écaille entre l’œil et la narine, cela signifie qu’il manque l’écaille loréale. Donc le serpent qui a mordu votre ami est un élapidé, et vu votre position géographique, il s’agit très probablement d’une espèce mortelle pour l’homme. »


Décontenancé, l’homme sent ses jambes flagellées et pense défaillir. Un rapide coup d’œil à son compagnon, qui au pied de son arbre, commence à ressentir les premiers symptômes du venin mortel. Sa raison se trouble et il se met à délirer :


- « Au pied de mon arbre-eu, je gisais heureux … ! » Chante-t-il.


- « Qu’est-ce que je peux faire ? » demande l’homme à la gentille voix du téléphone.


Les deux hommes se connaissent depuis vingt ans maintenant, ils ont vécu des aventures extraordinaires à travers le monde, se sont soutenus dans les pires moments et se considèrent désormais comme des frères. Ils sont même plus que frères.


- « On n’a pas le choix, le temps que les secours arrivent, il sera trop tard. Il faut que vous aspiriez le venin à travers la plaie. »


- « Aspirer ? Mais avec quoi ? Nous n’avons pas d’aspi-venin ou autre truc du genre. » Répond-il, de plus en plus paniqué.


- « Alors utilisez votre bouche ! Où a été mordu votre ami ? »


Silence. L’homme réfléchi.


- « Il était en train d’uriner lorsque cela s’est produit … donc il a été mordu au … à la … euh, enfin vous voyez quoi. »


Silence géné. La gentille voix du téléphone réfléchit.


- « C’est la seule solution, vous n’avez pas le choix. Bon courage. »


Alors, lentement, l’homme appuie sur le petit bouton rouge du téléphone. Il transpire à grosses gouttes, la vie de son ami est entre ses mains.


Derrière lui, il entend la faible voix rauque de son compagnon de toujours :


- « Alors, coff-coff, qu’est-ce qu’ils ont dit ? coff-coff »


- « Euh … Ils … Ils ont dit qu’tu vas mourir. »



Donc avoir un minimum de connaissance en scalimétrie ophidienne est important. En effet, sinon comment savoir que l’absence d’écaille loréale permet de distinguer les élapidés des autres familles de serpents ? Bon dans l’exemple précédent cela n’aurait servi à rien, je sais.




Envol de Budgerigars (Melopsittacus undulatus) dans le Diamantina Lakes NP.



Revenons à nos moutons. J’en étais à me demander si j’avais entre les mains un taipan à petites écailles ou un autre truc. Premier critère : l’écaille anale (bon alors, je t’arrête tout de suite, si tu rigoles quand tu lis « anale », tu peux retourner jouer avec tes Legos, c’est un blog sérieux ici !). Facile à voir vu que je tiens le serpent par la queue (non, sans dec, arrête de rire, c’est chiant, on dirait un gamin). Chez le taipan, cette écaille n’est pas divisée, là, elle l’est. Un rapide coup d’œil à la tête et je constate qu’il n’y a pas d’écaille temporale surnuméraire (je t’ai dit que c’est un blog sérieux. Cherche pas dans le dico, « surnuméraire » ça veut dire « en plus »). C’est définitivement pas un taipan.


De plus, l’animal s’énerve comme si je venais de lui mettre mon pouce dans le trou du cul (clin d’œil aux fans de South Park. C’est un blog sérieux merde …) et gonfle la nuque et tout et tout. C’est un Ingram. Point final.


Dommage.


Un autre critère aurait été de compter les rangées d’écailles au niveau du milieu du corps. Il y en a 17 chez le Pseudonaja et 23 chez le taipan.


Mais attends un peu mon neveu. S’il y a 23 rangs d’écailles contre 17 pour deux espèces qui sont relativement de mêmes diamètres, ça veut dire que les écailles sont plus petites chez le taipan ? Bah ouais, d’où le nom de taipan à petites écailles, Oxyuranus microlepidotus. De « Micro », petit – comme dans micro-ondes, micro-pénis, micro-ordinateur … et de « lepido », écaille – comme dans … comme dans plein d’trucs. C’est la même racine que Lépidoptère, les ailes à écailles des papillons. En effet, les ailes des papillons sont recouvertes de microscopiques écailles, c’est la « poudre » qu’on a sur les doigts après avoir touché un de ces insectes.



Qu’est-ce qu’on en apprend des choses ici ! J’arrive à vous raconter ma vie et vous instruire sur les patelins que je traverse puis je termine avec un cours de zoologie ludique en vous racontant une histoire drôle. Tout ça, en vous faisant rêver avec des photos qui déchirent sa race.


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