La Sophia et ses divins mystères

Par Jean-Marc Vivenza

Vient de paraître aux éditions Arma Artis 

Jean-Marc Vivenza, La Sophia et ses divins mystères, Arma Artis,

septembre 2009, 71 pages. 

Extraits

                      La Sagesse, Sophia ou « éternelle SOPHIE », dont Louis-Claude de Saint-Martin a très souvent, dans son œuvre [1], évoqué l’importance spirituelle, occupe une place centrale dans l’économie de la Révélation judéo-chrétienne et, depuis l’origine la plus lointaine, après avoir traversé les traditions de l’Egypte et de la Mésopotamie [2], est intimement associée à l’activité divine dans les livres sapientiaux de la Bible, des Proverbes à l’Ecclésiastique

Dès les premiers commencements nous la voyons présente aux côtés de l’Eternel, s’imposant dans son rôle essentiel et invisible, ainsi que nous l’expose le Livre des Proverbes de Salomon, fils de David, roi d’Israël

                       [...]

Pénétrant toute réalité, elle habite les cœurs en tant que pur reflet de la Lumière divine, c’est la sainte auxiliaire du Plan divin, la pieuse servante du Seigneur collaborant depuis l’origine des choses, visibles et invisibles, à l’œuvre créatrice, la féconde dispensatrice des grâces vivifiantes répondant, avec une docilité parfaite et une doux acquiescement, aux volontés célestes.

                         Poursuivant son œuvre d’assistance auprès de Dieu, elle est, effectivement, « l’ouvrière de toutes choses », dominant la création et surplombant l’univers de sa bienveillante et amoureuse protection ; Dieu agit par elle, n’oublions pas, comme il agit par la puissance mystérieuse de son Esprit : « Et ta volonté, qui l’aurait connue, si toi-même n’avais donné la Sagesse et n’avais envoyé d’en-haut ton Esprit-Saint ? » (Sagesse, IX, 17). Il semble donc, si l’on veut bien y songer un instant avec un minimum d’attention, que du point de vue de notre relation à Dieu, cela soit parfaitement identique que d’obéir à la Sagesse, de se soumettre à ses vues, d’avoir confiance en son action bienfaisante, de s’ouvrir sincèrement à son influence secrète, que d’accueillir, avec humilité, l’Esprit du Très Haut [3].

                                        [...]

                 Saint Augustin dira que la Sagesse, pour la créature, est la contemplation de la vérité, lui permettant de recevoir la ressemblance de Dieu [4] ; saint Grégoire de Naziance affirmera qu’elle seule est capable de rendre notre âme pure devant Dieu, et par cette pureté, nous unir à celui qui est pur, nous conformant ainsi à la sainteté du Saint des Saints. Théophile d’Antioche, saint Clément d’Alexandrie, puis Irénée de Lyon, identifieront tout à la fois le Fils et l’Esprit Saint à la Sophia. Irénée écrit, pour ce qui le concerne, en évoquant le Père : « Il a fait toutes choses par lui-même, c’est-à-dire par son Verbe et par sa Sagesse. » [5] ; et encore : « Celui qui nous a faits et modelés, qui a insufflé en nous un souffle de vie et qui nous nourrit par la création, ayant tout affermi par son Verbe et tout coordonné par sa Sagesse, Celui-là est le seul vrai Dieu.» [6]

Il est à noter que le courant gnostique fit de la Sagesse, dans ses très nombreux écrits, un « éon », l’idée de Sagesse s’imposant avec une rare force insistante dans les textes de ce courant : « L’idée de la sagesse, de la Sophia, devient, dans la gnose, une entité spirituelle femelle, susceptible d’être vue, et, inversement, la personne du Fils de Dieu céleste pourra devenir la pure Idée absolument impersonnelle du Logos. » [7]

La Sophia, pour les gnostiques, est ainsi une entité présente en mode d’immanence qui pénètre l’ensemble de la réalité du monde visible, l’agent actif qui s’établit dans une correspondance secrète et intime avec le Logos.

                          [...]

« Vous adorez ce que vous ne connaissez pas,

Nous nous adorons ce que nous connaissons… »

(Jean 14, 22)

Notes.

[1] « Quand je me suis approché de la Sagesse, j'ai senti que l'homme qui aurait le bonheur de s'en remplir n'aurait d'indifférence pour rien, qu'il donnerait à chaque chose le degré d'intérêt qui leur appartient, à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu, car il comprendrait trop de quelle importance seraient les mécomptes dans cette sorte de calcul. » (Mon portrait historique et philosophique, [329], op.cit, pp. 172-173.)

[2] Connue en Assyrie sous le nom de «  », la Sagesse sera désignée en Egypte en tant que « Maât », soit, sous les traits de la célèbre déesse symbolisant l’ordre et la justice, une sagesse d’essence effectivement incréée, ceci dit sans minorer le fait que de nombreux écrits, comme les instructions D’Amen-Em-Opet, ou le « Livre des Morts », recèlent des éléments qui ne sont pas sans préfigurer la figure de la Sagesse qui se laissera découvrir dans les textes sapientiaux plus tardifs.

[3] Le Livre de Baruch, de l’hébreu « Baroukh » qui signifie le « Béni », attribué à Baruch ben Neria, c’est-à-dire l'ami et le secrétaire de Jérémie selon la tradition du Tanakh [Tanakh, est un acronyme : תנ״ך qui désigne la Bible hébraïque contenant la Torah (la Loi ou Pentateuque), les Nevi’im (les Prophètes), les Ketouvim (les Ecrits)]. Ce Livre, qui comporte essentiellement des prophéties qui proviennent de la période de l’exil à Babylone, dont le style et l’éloquence enthousiasmèrent Jean de La Fontaine (1621-1695), est un apocryphe que l’ont dit être du début du VIe siècle avant J.-C., mais qui ne fut sans doute rédigé que vers le IIe siècle, évoque, en quelques passages intéressants, la figure de la Sagesse, et nous montre sa place significative dans la pensée du judaïsme ancien : « … Tu as délaissé la source de la Sagesse. Si tu avais suivi le chemin de Dieu, tu habiterais dans la paix pour toujours. Apprends où est le discernement, où est la force, où est le savoir pour connaître en même temps où sont la longévité et la vie, où sont la lumière des yeux et la paix. Qui a trouvé la résidence de la Sagesse et qui est entré dans ses trésors? […] La Sagesse c'est le livre des commandements de Dieu c'est la Loi qui existe pour toujours; tous ceux qui s'attachent à elle iront à la vie, mais ceux qui l'abandonnent mourront. Retourne-toi, Jacob, et saisis-la; fais route vers la clarté, à la rencontre de sa lumière. » (Baruch 3, 12-15 ; 4, 1-2).

[4] « Sapientia est contemplatio veritatis, pacificans totum hominem, et suscipiens similitudinem. » (Lib. I de Serm. Domini in monte).

[5] Irénée de Lyon, Contre les hérésies, II, 30, 9, Cerf, 1985, p. 254.

[6] Ibid., III, 24, 2, p. 396.

[7] H. Leisegang, La Gnose, Payot, 1971, p. 15.