Quatre saisons sous haute tension

Publié le 10 octobre 2007 par Philippe Delaide

Concert hier soir 9 octobre à la Salle Pleyel. Au programme Vivaldi et Bartók, interprétés par l'English Chamber Orchestra. La première partie est consacrée au Concerto grosso en sol mineur RV155 de Vivaldi et au Divertimento de Bartók. L'ensemble est mené par son premier violon Stéphanie Gonley.

La deuxième partie est entièrement consacrée aux Quatre saisons de Vivaldi, menées cette fois par la violoniste américaine d'origine coréenne, Sarah Chang.

Ce concert a permis d'apprécier la justesse de ton, la finesse et l'homogénéité de l'English Chamber Orchestra. Cette formation d'exception restitue les oeuvres avec une très grande finesse et un son d'une élégance rare. Avec l'acoustique hyper-précise de Pleyel, c'est un véritable régal. Le concerto grosso de Vivaldi en sol mineur est révélé avec toute sa grandeur et les violons, relayés par un groupe d'altos très justes, font vibrer avec grâce ce concerto. Bon tempo, phrasés parfaitement maîtrisés. Un vrai plaisir.

C'est le même travail qu'il nous est permis d'entendre sur une oeuvre pourtant assez déstructurée comme le Divertimento de Bartók. Elle n'a pas l'audace des pièces plus tardives du maître hongrois et révèle finalement un certain clacissisme. Seulement, comme Ravel l'avait initié avec sa valse noble et sentimentale, il y a une part certaine d'ironie grinçante, une forme de second degré dans cette oeuvre que l'English Chamber Orchestra a bien restitué sans forcer le trait, ce qui est typiquement le genre d'erreur dans laquelle on peut tomber avec Bartók. L'ensemble maîtrise parfaitement les contrecoups, sinuosités, accélérations, ruptures brusques en tous genre et parsemées dans ce morceau singulier. Ce divertimento constitue en tout cas une pièce idéale d'étude pour un ensemble orchestral car toute la palette des techniques d'interprétation des instruments à cordes y figure. Un peu comme les oeuvres viennoises, se Divertimento tente de s'enivrer de gaieté pour rechuter régulièrement dans des interrogations morbides. Singulier.

Après l'entracte surgit alors le fauve Sarah Chang, prête à dévorer d'une seule bouchée les Quatre saisons de Vivaldi. L'énergie déployée par cette soliste est sidérante. Elle appuie si fermement sur l'archet que le son en est quasiment rauque. Le tempo n'est pas précipité pour autant. C'est plutôt le "forte" du jeu qui est sidérant.  Il faudrait instaurer le contrôle anti-dopage à la fin de certains concerts ! Je ne sais pas comment elle a fait pour ne pas détruire son violon. Un tic amusant : sur certaines attaques, elle tape fortement du pied gauche pour amorcer l'inflexion. Tout cela donne un son brut, inquiétant avec un engagement total. Impressionnant mais fatiguant sur la durée. Sur les largos, elle se révèle toutefois d'une finesse incroyable. Cette interprète est inclassable même si je ne suis pas totalement conquis. Elle est en tout cas d'autant plus médiatisée que ses effets sur scène plaisent naturellement au public.

C'était surprenant d'écouter (et de voir...) la grâce de l'English Chamber Orchestra côtoyer la puissance autoritaire de la violoniste américaine.

Ce n'est visiblement pas le type de "quatre saisons" que j'emporterais sur l'île déserte.

Pour vous faire une idée, lien direct vers un chaconne de Vitali interprétée par cette violoniste, tirée du blog "Le monde de bra !" (insertion d'une vidéo YouTube).