Djedi

Publié le 11 octobre 2007 par Véronique Bessard

J’entends parler de Djedi de Guerlain depuis des lustres comme : le parfum le plus étrange de tous les temps. Les spécialistes de la critique de parfum tel Luca Turin ne tarissent pas d’éloges et de qualificatifs pour cet ovni ou plutôt cet opni, « objet parfumé non identifié » créé en 1926 (pas sûre de la date) et quasiment introuvable de nos jours.
Evidemment ma curiosité ne peut pas résister indéfiniment à de tels arguments. Je commande donc par Internet quelques "decants" avec parmi eux la fragrance mythique. Quand le paquet arrive, rempli d’échantillons divers, je m’enferme sans plus attendre dans mon bureau et renverse impatiemment le contenu de l’enveloppe sur la table. Je repère très vite le petit tube qui m’intéresse (c’est le moins rempli). J’écarte les autres avec un irrespect qui ferait hurler les amoureux des parfums Caron. J’adore ces derniers, il y a parmi eux des merveilles qui font partie du panthéon de la parfumerie mais là franchement je n’ai pas le temps… J’ouvre d’une main qui ne tremble pas le minuscule récipient, j’ai très peur de la déception qui va certainement me saisir… Et là…là…


Là, fini de rigoler mes amis, je referme précipitamment le flacon. Ainsi donc tout ce que j’ai lu sur Djedi est vrai ! Cette fois je tremble, j’en ai sur les mains et j’ai l’impression d’avoir profané un tombeau. L’esprit parfumé qui monte de mes doigts est gris comme un linceul, sec, cuiré et souillé, comme une chose blessée restée enfermée pendant des siècles, ses orbites vides de momie poussiéreuse se vrillent dans mes yeux effarés. Je veux refermer le tombeau mais c’est trop tard, les sanglots de l’inconsolable résonneront très longtemps encore dans mon cœur. Dieu du ciel, on dit que Jacques Guerlain pensait toujours à une femme quand il créait un parfum, qu’elle est donc celle qui lui a inspiré un tel chagrin ?
Même si j’entre dans un territoire inconnu, je peux y reconnaître comme en négatif, un Guerlain, mais presque totalement nettoyé de sa chair, asséché, tanné au soleil de l’éternité, avec très loin, comme un écho qui s’évanouit et que l’on a de la peine à percevoir, une beauté élusive, le fantôme de quelques fleurs, d’épices et de bois, qui disparaît englouti comme Eurydice vers un lieu terrible dont on ne revient jamais. Et comme Orphée, seul et désespéré, on regrette, malgré les avertissements, d’avoir voulu regarder. Inoubliable, poignant, totalement hors catégorie et à manipuler avec beaucoup de précaution : si les momies sont fragiles nous le sommes bien plus encore.