Deauville, ces gens etonnants qui ont bati sa legende

Par Abarguillet

Depuis que le duc de Morny, en l'année 1860, fit naître Deauville des sables et de l'eau, sa renommée n'a jamais cessé d'excéder les frontières de la France et de l'Europe. Mais comment, et grâce à qui, ce qui n'était encore qu'un bourg de hobereaux parvint-il à acquérir pareille notoriété ? Pour le savoir, commençons par remonter le temps...
Le duc devait confier à l'architecte Desle-François Breney les plans de la future ville. Dès juillet 1863 ouvraient un casino, puis un centre d'hydrothérapie et, en août 1864, avaient lieu les premières courses sur l'hippodrome de la Touques. En cette même année, quarante villas étaient déjà occupées et un hôtel de deux cents chambres recevait ses premiers clients. Deauville était lancé et, malgré la disparition de son créateur, des villas continuaient de s'élever de terre, un bassin de 300 mètres de long accueillait des bateaux de fort tonnage et contribuait au développement économique de la région, tandis qu'entrait en scène un personnage étonnant, qui se préparait à écrire l'une des pages les plus éclatantes de la légende de Deauville, Eugène Cornuché. C'est lui que le maire de l'époque venait de choisir pour concevoir et diriger un établissement de jeux, ce qu'il fît, ajoutant de surcroit sur les terrains avoisinants qu'il avait eu la bonne idée d'acheter, un hôtel au charme irrésistible : le Normandy.
Dès l'ouverture, le succès dépassait les prévisions. Il est vrai que Cornuché, petit homme replet, à la moustache conquérante, ne manquait ni d'audace, ni d'habileté. Après avoir été garçon de courses, livreur, aide sommelier, ce fils d'un modeste restaurateur parisien avait fait ses premières armes en ouvrant le restaurant " Maxim's "qui lui avait valu, de la part du Tout-Paris, le surnom flatteur de Napoléon des restaurateurs. Fort de ces réussites, Cornuché souhaitait aller plus loin dans ses investissements et fit bâtir l'hôtel Royal, en moins d'un an, pour satisfaire les exigences d'une clientèle internationale. Ce fut la belle Otero qui présida à l'inauguration, car à ville fatale...femme fatale. En trois ans Deauville venait de se doter de deux palaces, d'une casino flamboyant, d'un hippodrome, alors que le tocsin s'apprêtait à sonner et que bientôt les blessés remplaceraient sur ces lieux de fête les princes et les mondaines et les tables d'opération les tables de jeux.



En 1920, la ville n'en a pas moins retrouvé une existence normale et des personnalités comme le roi Alphonse XIII d'Espagne, Churchill, le prince de Galles choisissent Deauville pour sacrifier à la mode des vacances et on ne compte plus les maharadjah et les célébrités qui prennent le train bleu pour venir passer quelques jours dans la station balnéaire. Mais nouveau coup du sort lorsque Eugène Cornuché, seulement âgé de 59 ans, tire sa révérence à une société dont il a été l'animateur incontesté. Qui peut remplacer un tel homme ? Un nom va toutefois s'imposer...celui de François André. Ce nouveau venu parait sortir de l'imagination d'un Stendhal ou d'un Maupassant avec son parapluie et son canotier, sa stature majestueuse, son regard aigü qui sait tout voir et sa discrétion qui sait tout taire. En partenariat avec Cornuché depuis plusieurs années pour les casinos d'Ostende et de Cannes, il s'avère être le successeur désigné pour poursuivre l'oeuvre et faire de Deauville l'une des pièces maîtresse d'un royaume qu'il ne cessera plus d'agrandir. Ce seront Le Touquet, Aix-les-Bains, La Baule, Biarritz, Cannes. Aux casinos, il ajoute les hôtels prestigieux, les golfs, les restaurants. A Deauville, il fera construire un troisième palace, l'hôtel du Golf, deviendra l'ami et le confident des rois, le familier des princes, des artistes, des hommes politiques. On ne résiste pas à ce paysan de l'Ardèche qui est l'élégance et la courtoisie même. N'ayant pas d'enfant, lorsque les ans commencent à peser, il envisage sa succession et jette son dévolu sur son neveu Lucien qui lui ressemble et qu'il va former sans complaisance aucune, afin que le dauphin soit en mesure de devenir un prince éclairé le moment venu.
LUCIEN BARRIERE, ce nom brillera bientôt sur les façades des établissements du Groupe qu'il va gérer d'une main ferme et avisée en cette année 1962, où une autre personnalité d'envergure, Michel d'Ornano, accède au fauteil de maire. Deauville se voit gratifié de deux hommes dynamiques et ambitieux qui entendent bien accroître le patrimoine et entretenir la légende.

Lucien n'a certes pas l'assurance tranquille de l'Oncle qui en imposait tant aux ducs et aux banquiers, mais c'est un terrien lucide, doué de bon sens, ce qui lui évitera les emballements inconsidérés et lui inspirera une prudente stratégie. Ses premières décisions concernent la rénovation de l'héritage, afin de mettre au goût du jour les fleurons de sa couronne que sont le Normandy, le Royal et le Golf. Il participe également à la construction de la piscine olympique, du Centre International de Deauville, subventionne des courses hippiques et accueille avec les d'Ornano le festival du film américain, auquel il contribuera en offrant aux stars hollywoodiennes des suites somptueuses qui porteront leurs noms, enfin en vivant ce grand bouleversement que sera, pour les casinos, l'irruption des machines à sous.
Curieusement ces hommes quitteront la scène, qu'ils surent occuper avec talent, à un an d'écart, laissant leurs places à deux femmes, belles, élégantes et énergiques, qui n'hésiteront pas à relever le défi et à maintenir l'héritage au même niveau d'excellence, rédigeant dans le bonheur et les larmes une nouvelle page de l'histoire de Deauville. Nul doute qu'Anne d'Ornano et Diane Barrière vont jouer un rôle d'autant plus emblématique qu'elles symbolisent l'avènement des femmes à des postes de décision. Néanmoins pour l'une d'elle la tragédie va très vite interrompre un parcours exemplaire. Victime d'un accident d'avion, Diane Desseigne-Barrière s'en sort par miracle mais restera tétraplégique, subira des dizaines d'opérations et soixante-dix anesthésies. Face à une telle épreuve, cette jeune femme va faire preuve d'un courage admirable. Elle subira son calvaire sans broncher, reprendra même ses activités à la tête du Groupe et, juste avant de s'éteindre dans son sommeil en mai 2001, fera l'acquisition du Fouquet's, permettant ainsi au Groupe Barrière de disposer d'un palace parisien. Comme tout va généralement de pair à Deauville, Anne d'Ornano, après plusieurs mandats brillants, se retirera elle aussi, chargeant son successeur, Philippe Augier, formé dans le sérail, de perpétuer une politique d'expansion et d'innovation. Ainsi le veut la légende de Deauville qui n'entend pas cesser de séduite et de captiver.

Pour tout savoir sur Deauville : http://www.deauville.org/fr/