un siphon – fonds

Publié le 07 septembre 2009 par Collectifnrv

Hop ! Et d’un. Hop ! et de deux. Et hop ! et de trois ! Ouf… réussi à éviter les trois ! Non, il ne s’agit pas de radars, ni d’agents de la force publique. Non, c’est beaucoup plus vicelard ! Ils sont généralement « jeunes », « normaux », pratiquement tous « blancs », avec un tee-shirt, un jeans, et un sac à dos. Ils sont la plupart du temps trois ou quatre ; avec un superviseur, en retrait. Vous ne voyez toujours pas ? Ah oui, j’oubliais : le tee-shirt à couleur uni, et surtout… avec un logo ! Couleur rouge pour Aides, bleu clair pour Médecins du Monde, jaune pour Action contre la faim, orange pour la World Wide Fund (for Nature), blanc et rouge pour la Croix-Rouge, et j’en passe !

Ils sont partout ! Toujours les mêmes lieux à forte affluence (étrangement, comme les contrôleurs dans le métro…) : Bastille, Les Halles, les Champs-Elysées, Ternes, Saint-Michel… Entre parenthèses, encore désolé pour les provinciaux :-) Une fois qu’ils vous agrippent, ils ne vous lâchent plus ! Car, leur speech (argumentaire) est bien rôdé. Tout d’abord : « Est-ce que vous avez quelques minutes à me consacrer ? » Evidemment, on a appris à envoyer balader : « Euh, non, désolé, j’ai des choses à faire… » Ou, on se résigne ; ou encore, là – mais, c’est presque pareil – comme on est seul, on peut aussi prendre le temps de les écouter, : « Bon. Oui, mais pas une de plus… » Ensuite, le classique : « Etes-vous sensible à ceci ou à cela »… Forcément, oui. Imaginez que vous répondez que non ; même si vous l’êtes sincèrement ! Donc, oui…

Pfff… ils connaissent déjà votre réaction, qui sera toujours quelque chose comme : « Bon, disons que ‘moralement’, je suis avec vous… mais, en fait, non ! Même pas ‘moralement’. Disons, ‘oui’, euh, pour le principe ; pour la forme… » Même celle des plus grognons : « Je sais ce que vous voulez ; alors que pour moi, ces mêmes choses – que soi-disant vous voulez –, ça se passe tellement ailleurs, etc… » Et, on dirait qu’ils ne font même plus semblant de s’en foutre de votre réaction. L’essentiel, pour eux, c’est de placer leurs « actions » : présentation de leur association, leurs buts, leurs « actions », leur « visibilité médiatique ». Ils ne sont jamais à court d’exemples pour étayer leur efficacité. A grand renfort de chiffres, s’il le faut. La prise d’otage est émotionnelle : vous êtes obligé d’être ‘sensible’ à leur mouvement. Sinon, qu’est-ce que vous êtes ? surtout si vous êtes accompagné ? Oui, avec un couple, c’est encore mieux : le gars ne peut pas passer pour un salaud, si une fille l’accompagne.

Reste le plus important : « Alors est-ce que vous voulez soutenir notre action ? » C’est forcément oui ou non. On peut toujours louvoyer : « Oui, moralement… » Mais, eux, ils ne vous lâcheront pas : « Oui, mais… financièrement ? » Ils ont même une option de déductions fiscales ! Des fois, pour vous accrocher, ils vous interpellent par un : « Vous voulez réduire vos impôts ? » Ainsi, quoique vous fassiez, il y en a toujours un qui vous chope. C’est normal puisqu’ils ont « stratégisé » leurs actions (positionnements, de type sportif ou militaire). Et alors, on commence à en avoir sa claque de tout ça, et si on ne se retenait pas, on lâcherait :

- Vous me demandez, pour moi : « C’est quoi le problème ? » Il y a, si vous voulez bien me le concéder, une pyramide sociale. Au lieu de vous occuper de la base de cette pyramide, vous feriez bien mieux de vous occuper du haut. Là, c’est toujours pareil : on gratte les petits ! Comment dire ? Voilà, je ne suis pas riche, même si ça ne se voit pas, enfin, peut-être que si, par ailleurs… mais bon. Je pourrais vous filer, mettons, allez ! deux cents, non, trois cents euros, aujourd’hui ! Vous menez vos actions – ce que je ne vous reproche pas – pourquoi pas ? Mais bon, le lendemain, rebelote, le manège reprend ; et moi, ça me gave ! Et pourtant, vous n’êtes pas les pires… C’est vraiment pas contre vous. En tout cas, pas au prime abord. Vous me dites que vous êtes « hors système ». Non, désolé, pour moi, vous êtes dedans, car vous voulez intervenir à l’intérieur. Et surtout, vous adoptez les mêmes moyens, les mêmes méthodes – que le système capitaliste ! A la limite, il faut rajouter que c’est même pire ! Parce que vous ne faites que remplir une sorte de tonneau des Danaïdes ! Au contraire, au lieu d’aller à l’encontre de tout ce qui est scandaleux, ça légitime le système : « Il y a des ‘imperfections’, nous intervenons pour ‘corriger’ les failles ». Bref, ça ne corrige rien du tout ; ça le renforce, parce que celui qui vous donne de l’argent, il s’achète une bonne conscience, et il ne s’occupe pas de savoir ce qu’est – je ne dis même pas ‘résoudre’ – le problème d’origine, de se poser des questions, disons, géopolitiques, puisqu’il se contente de se dire qu’il fait une bonne action. Ou, qu’il a réussi à se débarrasser de vous ! Ensuite, vous ajoutez : « Mais, l’argent, c’est la base de tout ! » Mais non ! Mais non ! parce que ça fait cinquante ans que je l’entends celle-là, ou sa variante, « l’argent, c’est le nerf de la guerre » ! Et il faut vous bousculer un peu pour que vous avouiez : « Euh, non, euh, pas la base de tout… La base de tout, c’est l’humain… » Et enfin, il y a l’incontournable : « Sinon, vous vous faites quoi ? Qu’est-ce que vous proposez concrètement ? » Eh bien, vous voyez, vous trois, vous quatre, au lieu de taper les quelques quidams par-ci par-là, et si vous vous regroupiez avec les autres associations dites humanitaires pour mener vos « actions », comment dire ? non pas en faisant « pression » sur le gouvernement… mais en menant des actions un peu plus « musclées » pour dézinguer le sommet de la pyramide ? Et, soyez assuré qu’il n’y en a pas qu’une, de pyramide ! Mais, voyez ça, tout de suite, ça vous bloque. Sinon, si ça vous fait trop peur, il reste encore les bibliothèques, à lire des livres ! Et, c’est un luxe que tout le monde devrait s’accorder… Oui, enfin, je dis ça, et je vois passer les gens. Bon, les gens, là, ces passants, évidemment, je dis ça, je me rends bien compte que faire sauter le haut de la pyramide, comment dire ? par la connaissance, eux, ils s’en tapent ; ça ne les intéresse pas…

Au moment de prendre congé, alors que je lui avais à peine esquissé la moitié de ce laïus, cette âme charitable de me renvoyer : « Merci, je vais vous laisser vivre d’amour et d’eau fraîche ; moi, je vais continuer à prospecter ! » Et, dans le même temps, sans manquer de vous achever, le consensuel publicitaire prouve une fois encore que le cynisme et les bons sentiments se tiennent par la main en nous gratifiant de leur dernier tour de passe-passe : le « partenariat » (la collaboration) du secteur privé avec ces associations ; et c’est écrit en toutes lettres : Alaclairefontaine et Mayo « soutiennent l’Unicef dans son combat pour la scolarisation des enfants. » L’humanitaire devenant un argument de vente ; en pleine crise… que dis-je ?! en pleine rentrée !!!


par Albin Didon