Lire au pays-bas, a l'ombre des tulipes

Par Abarguillet


Quittons le plat pays de Jacques Brel pour entrer dans le plat pays des tulipes et des fromages oranges en franchissant une mince frontière qui coupe en deux la littérature néerlandophone laissant Hugo Clauss d’un côté et Simon Vestdijk et ses compatriotes de l’autre. La littérature néerlandaise compte de beaux fleurons et mérite bien une étape de notre tour du monde littéraire que nous effectuerons en compagnie d’un jeune romancier qui connaît actuellement une carrière en pleine expansion, Anton Grunberg, que ses livres propulsent sur la scène littéraire internationale. Et, nous n’oublierons surtout pas de rendre une petite visite à celle qui est considérée comme la « Grande Dame » des lettres néerlandaises, Hella Haasse, née dans le colonies du Sud Est asiatique quand les Indes Néerlandaises étaient encore une dépendance des Pays Bas. Ensuite, nous rendrons hommage à celui qui aurait pu être le Prix Nobel néerlandais, Simon Vestdijk, qui mérite mieux que sa notoriété actuelle. Et, nous terminerons notre séjour dans ce plat pays , avec Marcel Möring qui est un digne représentant de la littérature contemporaine locale que nous évoquerons peut-être lors d‘un prochain séjour littéraire car le catalogue est riche et plein de jeunes auteurs talentueux.

L’oiseau est malade

Arnon Grunberg (1971 - ….)

L’Oiseau est malade, l’Oiseau va mourir ! L’Oiseau c’est la femme de Beck mais ils ne sont pas mariés. Ce « n’était pas seulement sa femme, c’était aussi sa sœur, sa mère, sa tante, sa grand-mère, sa meilleure amie, son enfant. » Mais, avant de mourir, l’Oiseau veut épouser un demandeur d’asile pour faire une dernière bonne action ? Peut-être, mais peut-être pas seulement car Beck: « tu ne m’as pas touchée depuis quatre ans. » Et, Beck raconte l’histoire parallèle de ces deux êtres si différents mais inséparables qui mènent chacun une vie libre et indépendante, elle chercheur et lui écrivain raté qui « est là pour voir vivre l’Oiseau c’est sa raison d’être ». Beck se souvient aussi qu’ils étaient en Israël, à Eilat, quand elle observait les animaux dans le désert pendant qu’il hantait le bordel du coin. Et l’histoire de cet exil va revenir comme l’annonce de la déchéance de leur couple, mué en trio, qui emprunte le chemin du calvaire de l’Oiseau.

Dans ce long récit touffu, dense, improbable et tortueux, Grunberg évoque toute la vacuité de l’humanité où tout n’est qu’illusion. « Quand, …, on a démasqué non seulement toutes les illusions de la politique, mais aussi celles de l’amour, de la famille et de Dieu, de l’art et de la méditation, et qu’on a dû les condamner, …, on a démoli toutes les certitudes de l’humanité… ». Et même si en contrepoint au désespoir nihiliste de Beck, L’Oiseau déploie une charité christique qui confine à la pitié, partageant même des instants d’amour avec des rejetés de la société ou des amochés des accidents aveugles qui ensanglantent les rues d’Israël.

Je ne savais plus comment Arnon Grunberg étais arrivé dans ma liste d’auteurs à lire, je ne savais plus rien de lui quand j’ai commencé la lecture de ce bouquin et après avoir lu une centaine de pages, j’ai eu l’impression de reconnaître ce type d’écriture ressassant, rabâchant, revenant sans cesse sur les mêmes constats, les mêmes arguments, de peur que le lecteur n’ait pas bien compris toute la portée de la démonstration. Et, j’ai retrouvé la filiation de cet écrivain dans la littérature israélienne et plus particulièrement à travers David Grossman et Le livre de la grammaire intérieure et, à un degré moindre, peut-être, à travers Yeoshua Kenaz dans  Retour des amours perdues. Et, j’avais bien remarqué Grunberg dans un article consacré à la littérature juive par le magazine  : Lire.

Dans ce roman génial, d’une virtuosité et d’une intelligence rares, je n’ai pas trouvé tout ça, tout ce que la quatrième de couverture promet. Certes, c’est l’œuvre d’au auteur très cultivé, doué pour la littérature mais qui, à mon avis, en fait trop, les fameux « chargeurs réunis » de cet ancien chroniqueur de la télévision suisse. Il veut mettre trop de choses dans un seul livre et ses personnages deviennent tout fait impossibles mais il parvient tout de même à les rendre attachant malgré le nihilisme ambiant qui colle jusqu’au bout des doigts poisseux comme une barquette que le Thaïlandais leur vend pour leur dîner à Göttingen que Barbara a si bien chanté :

Nous, nous avons nos matins blêmes

Et l’âme grise de Verlaine,

Eux, c’est la mélancolie même

A Göttingen, à Göttingen.

Les seigneurs du thé de Hella Haasse  ( 1918 - ... )

Celle qui est considérée comme la « Grande Dame » » des lettres néerlandaises est née à Java quand cette île appartenait encore à ce qui s’appelait, à cette époque, les Indes néerlandaises, et c’est donc tout naturellement qu’elle a écrit ce vaste roman qui raconte la vie d’un colon qui acquiert un terrain en pleine montagne pour y cultiver le thé. Cette vie, c’est un peu celle des colons de cette époque qui ont travaillé comme des bêtes, contraignant leur famille à la privation et aux efforts à répétition, et qui, à force d’abnégation et de sacrifices, sont devenus de véritables seigneurs en fondant leur richesse sur le thé, le café et le quinquina . C’est une page de l’histoire des ces îles su Sud Est asiatique que ces colons ont écrite et qu’Hella Haasse nous raconte dans une prose lumineuse où un souffle épique transporte les lecteurs dans ces contrées luxuriantes et inondées de soleil.

Le jardin de cuivre de Simon Vestdijk  ( 1898 - 1971 )

Simon Vestdijk a été considéré, de 1956 à sa mort en 1971, comme l’un des prétendants possibles au Prix Nobel de littérature. « Le Jardin de cuivre » et son roman préféré, c’est une description critique de la vie dans une petite ville hollandaise où il affiche une psychologie que certains qualifient de proustienne mais ma lecture est bien trop ancienne pour que je puisse formuler un quelconque avis sur cet aspect de cette œuvre.

Le grand désir de Marcel Möring  ( 1957 - ... )

Comme de nombreux héros des livres de Möring, les trois principaux protagonistes de ce roman cherchent, après la mort accidentelle de leurs parents, leur place dans l’existence . Ils avancent dans la vie comme des funambules, cherchant leur équilibre entre ce qu’ils découvrent et les souvenirs qu’ils voudraient oublier mais qui rejaillissent à chaque détour de leurs aventures respectives. Un livre dur, cru, un livre initiatique aussi où ces adolescents, en passe de devenir adultes, ébauchent à travers les arias de la vie le chemin qui les conduira vers leur avenir, vers leur propre histoire.

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