Concours de circonstances aggravantes

Par Docrica

Elle a deux enfants en bas גge, א eux deux, ils dיpassent pas les 10 ans.

Je suis ses enfants depuis qu'ils sont nיs, et depuis quelques mois, il y avait de l'eau dans le gaz au niveau du couple. Alcool, incomprיhension, dיchיance, perte d'emploi du cotי de monsieur. Travail, enfants et maison du cotי de madame.

A plusieurs reprises, elle יtait venu effondrיe, anיantie par une situation sur laquelle elle n'avait plus aucun impact. Suivi psychiatrique pour monsieur, puis suivi psychiatrique pour madame.

Les enfants ne s'en sortaient pas trop mal.

Elle m'appelle en fin de matinיe:

Elle: « Je viens de voir mon psychiatre, ca va pas. Il faut que je vous vois vite. Votre secrיtariat m'a dit qu'il n'y avait pas de rendez-vous avant la semaine prochaine. Vous pouvez faire quelque chose ? »

Moi: « Vous pensez que je peux plus que le psychiatre ? »

Elle: « J'ai envie de vous parler. J'ai quitter la maison, avec les enfants depuis 2 jours »

… Aie. Situation bien souvent trטs difficile, de tout cotי, lui, elle, et enfants compris.

Non je pourrais pas grand chose mais si elle pense que ca peut ךtre utile...

Moi: « je vous rajoute ce soir, venez א 19h »

..

Elle m'explique la situation, le problטme d'alcool s'est aggravי, il ne fait plus rien. Mךme quand ses copains viennent, c'est autour d'une bouteille d'alcool. Le psychiatre qui le suit ne le voit pas assez souvent d'aprטs elle, une fois par mois: « C'est insuffisant ! ».

Certes, certes. Je pense surtout que l'alcool est une telle saloperie, que la psychiatrie elle mךme est insuffisante.. Il n'y a qu'a voir les « rיsultats » statistiques pour en ךtre convaincu...

J'יcoute toute sa souffrance de la situation, יvoque aussi le caractטre parfois difficile א tout point de vue (enfants, violence, menaces) d'une rupture dans les problטmes d'alcools.

Je lui prends son numיro de portable « .. comme חa vous ne serez pas filtrer, appelez si vous ךtes en souci, j'espטre que ca ne vous arrivera pas.. mais si ca arrive , qu'on puisse rיagir de suite ».

Je suis de garde le soir-mךme.

Une garde relativement calme. Couchי vers 1h30.

3h du matin, le portable sonne, un numיro inconnu. Ce n'est pas le samu.

Tיlיphone: « Allo Rica ? C'est le gendarme XXX. Tu as vu Mme Y ce soir. Il y a un grave problטme. Elle m'a dit qu'on pouvait t'appeler si problטme. »

Mךme א 3h du matin, les idיes vont vite: elle s'est suicidי ? Elle a pris des mיdocs ? Ils se sont pris la tךte et ca a fini en violence conjugale ? Il s'en est pris aux enfants ?

Moi: « Oui , oui. Ca chauffe chez eux. Qu'est ce qu'il se passe ? »

Gendarme: « Son mari vient de se tuer en voiture. »

Ouch.

Pitin de pitin. Les consיquences lא aussi s'enchainent א la vitesse grand V. Un jeune qui vient de se tuer, deux orphelins, une probable culpabilitי de l'יpouse, la famille de l'un et de l'autre, la dיchirure qui ne va pas manquer de les laminer...

Je rejoins les gendarmes, un des membres de la mairie dont la tache יtait d'annoncer la triste nouvelle, א l'endroit oש se trouve madame.

Je trouve ma patiente assise sur un fauteuil, effondrיe, repliיe sur elle meme, on dirait une "boule" de nerfs paralysיs, transpirant la douleur et la souffrance. Sa famille est autour, ses enfants dorment. Ils ne sont pas au courant.

Je n'ai rien א lui dire.

Que dire dans de telles circonstances ?

Je lui prends la main et lגche presque instinctivement un « vous n'y ךtes pour rien ». Je regrette mes mots aussitפt. J'ai projetי sa supposיe culpabilitי avant mךme qu'elle ne m'en parle.

J'יcoute sa souffrance sans pouvoir rien faire. Au bout de 10 minutes, je me dis qu'il faudrait que je lui lache sa main. Je me sens tellement inutile, tellement impuissant.

Des questions pratiques sont posיs. Ou est son corps ? Est-il abimי ? Faut-il le montrer א ses enfants ? Est-ce que c'est un suicide ? Etait-il bourrי ? Qu'est ce qui va se passer demain ? Que faut il dire aux enfants ? Que ca dire la belle famille ? Savent-ils que depuis 2 jours, pour la premiטre fois depuis des annיes, elle avait pris l'air ? Oui, il savaient pour le problטme d'alcool.

Pleins de questions sans rיponse יvidente.

Non, je ne pense pas qu'il soit utile de lui donner des anxiolytiques comme demande sa famille. Ca ne fera rien, ou alors il faudra atteindre des doses qui vont la « casser » et l'endormir.

Il y a maintenant un travail personnel א accomplir... rude tגche qui l'attend.

Je lui redis que je suis א sa disposition, si je peux l'aider quelque part... א vrai dire je ne sais pas vraiment comment.