Comment Obama pourrait s’en sortir

Publié le 19 septembre 2009 par Dangelsteph

Se sortir de quoi ? Des difficultés qu’il rencontre pour lancer sa grande réforme du système de santé américain. Est-ce possible ? Peut-être que oui, mais la partie va être dure.

Comment ? On va se focaliser sur la situation vue du côté du storytelling, et sur la façon dont le storytelling pourrait aider le président américain. Loin d’être une fiction, compte tenu de l’expertise de Barack Obama dans ce domaine.

C’est en tout cas une belle étude de cas, qui illustre bien le double visage du storytelling : des usages vertueux, et d’autres qui le sont beaucoup moins.


Commençons par le début. Barack Obama lance son projet, qui n’était pas un scoop puisqu’annoncé dans son programme de campagne. Grosso modo, il s’agit de donner accès à une couverture d’assurance-maladie aux 46 millions d’Américains qui en sont privés (un autre chiffre : 79 millions d’Américains ont des difficultés à assurer le paiement de leurs factures de soins). Comment : pour faire simple, en rééquilibrant l’architecture de l’assurance-maladie, avec une dose de système public.

Au début, 70 % des Américains soutenaient ce projet, dans les sondages. Aujourd’hui, 54 % le trouve trop audacieux, et 41 %... pas assez !


Vidéo : Barack Obama appelle à un débat plus "civilisé"...


Que s’est-il passé entre temps ?

Du storytelling !


Comme ils avaient déjà su le faire au cours de la campagne électorale (voir mes posts : Obama vs. McCain/Palin (part. 2) , Obama-Axelrod / McCain-Schmidt-Salter : le vrai duel de la campagne US , Obama vs. McCain/Palin ), les partisans des Républicains se sont déchaînés à coups d’histoires rocambolesques. Rocambolesques mais qui vont très loin dans le dérapage : on a même pu entendre que la réforme Obama est hitlérienne (sur le web, des caricatures d’Obama en Adolf Hitler circulent) ! Qu’elle est l’incarnation du mal. Que Barack Obama fait du socialisme, voire du communisme… Que son projet est d’instaurer un système fondé sur l’euthanasie… Tout cela non pas sous la forme de petites phrases toutes faites, mais à chaque fois avec une illustration par des histoires. Tout cela ne serait pas forcément allé aussi loin si ces histoires, émanant au départ de mouvements traditionnellement extrémistes, n’avaient pas bénéficié du silence des élus Républicains pour se répandre plus largement.

L’ex-dauphine de John McCain (et peut-être future candidate aux présidentielles), Sarah Palin, a embrayé en allant jusqu’à raconter l’histoire de ses parents et de son enfant trisomique, qui comparaitraient devant un « tribunal de la mort » où des bureaucrates décideront s’ils méritent des soins ou si leur avenir est de mourir avant les autres.

Bien entendu, le web donne une résonance amplifiée à toutes ces histoires.

La contagion a gagné le camp Démocrate. Et là, ce ne sont pas ces histoires violentes qui touchent. Les histoires extrêmes ont pour effet de rendre acceptables des histoires plus conformistes, mais également opposées à la réforme. « Si on entend ces histoires terribles, c’est donc bien qu’il doit y avoir quelque chose de louche… ». Magie à double tranchant des histoires.


Comment Barack Obama peut-il s’en sortir ?

Avec du storytelling !

Il a d’abord commencé par appeler les Américains à signaler les rumeurs qu’ils rencontraient sur le web au sujet de la réforme. Dans un post récent, je m’interrogeais sur le sens de cette initiative (Pourquoi Obama part à la chasse aux rumeurs ). Cela s’éclaire à présent : c’est un élément d’une stratégie plus large, qui a débuté par la collecte des histoires qui se racontaient.

Quelle est cette stratégie ?

Ce n’est pas une stratégie de démenti : bien-sûr, Barack Obama a démenti, mais il est trop fin stratège pour ne pas savoir qu’un démenti n’a en général aucun effet sur des rumeurs. Le démenti fait juste partie du mode d’emploi dans ce genre de situation, mais pas de la solution (c’est comme débuter en disant bonjour à une fille qu’on espère séduire, ça ne nous rapproche pas de la fin).

  • Barack Obama tente de remobiliser activement le réseau dans les médias sociaux, qui avait contribué à son élection : ces médias conversationnels sont propices à la diffusion d’histoires.

  • Il s’est rapproché des milieux religieux, en leur demandant de raconter la vérité, au besoin en faisant du porte à porte (encore une technique narrative) : cela revient à marcher sur les plates-bandes des Républicains, traditionnellement plus axés religion.

  • Il porte l’attention sur une autre histoire, pour gagner du temps et se repositionner en président : ses vacances chics (mais dans un lieu où l’Obamania bat toujours son plein), le débat relancé sur le Moyen-Orient avec une visite prochaine annoncée - l’idée est de tenir la barre jusqu’à la présentation noir sur blanc du projet, c’est pour dans quelques semaines.

Mais on reste sur notre faim, déçu parce qu’on a été habitué à tellement plus innovant, plus ambitieux de la part de Barack Obama et de son staff.

Pourquoi Obama ne va-t-il pas jusqu’à tourner en dérision ces histoires pourtant faciles à ridiculiser ?

C’est que, derrière tout cela, il a un gros problème. Sa réforme touche à un fondement de l’Amérique : la démocratie. En démocratie, c’est la majorité qui a raison, et là, c’est à une minorité d’Américains que cette réforme est destinée. Idéologiquement, ça coince donc. Et tant qu’il n’aura pas trouvé d’histoire convaincante sur ce point précis, quel est son intérêt d’ouvrir de lui-même la boîte de Pandore ?

Pour l’instant, il ne peut pas vraiment faire plus.


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