Épidémie de suicide pour France Télécom?

Publié le 23 septembre 2009 par Raymond Viger

En 18 mois, ce sont 23 employés de France Télécom qui se sont suicidés. Y a-t-il une épidémie? France Télécom traite-t-il adéquatement ses employés? Que doit-on envisager pour enrayer la situation?

Dans la nuit du 13 au 14 juillet 2009, Michel, architecte pour France Télécom se suicide et laisse une lettre sur ses motivations:

Je suis devenu une épave, il vaut mieux en finir. Je me suicide à cause de mon travail à France Télécom. C’est la seule cause… l’urgence permanente, la surcharge de travail, l’absence de formation, management par la terreur

Réaction de Denis Capdevielle pour France Télécom, juillet 2009:

Un “espace écoute” composé d’un médecin, d’une assistante sociale et de deux psychologues a été mis en place et une enquête interne auprès des membres du service concerné a été décidée. Le but est de trouver les faits concrets qui l’ont poussé à bout et de les prévenir pour que cela ne se reproduise plus.

Du côté de la direction, Mireille Le Van poursuit, juillet 2009:

Nos programmes de formation ont été musclés. Des espaces écoute sont disponibles depuis deux ans  Maintenant, on laisse l’unité “réseau” y travailler pour déceler les risques psycho-sociaux.

Suite au 23e suicide chez France Télécom le PDG Didier Lombard affirme le 15 septembre 2009 que, face aux suicides:

La première urgence c’est d’arriver à contrôler et à arrêter le phénomène de contagion et casser le mouvement de spirale infernale… mise en place d’une ligne avec un numéro vert qui débouche sur des psychologues extérieurs à l’entreprise…

Et après quoi? Au 24e suicide on va encore nous dire qu’on a un “espace écoute”, des psychologues extérieurs… On aurait pu intervertir les réponses de juillet et de septembre et on en serait encore au même résultat.

Postvention

Et si on parlait d’un principe de base quand on pense être face à un cas d’épidémie? La postvention. Sans donner un cours complet, je vais tenter de vulgariser. Dans un milieu comme l’école ou le travail, le suicide d’un proche peut avoir un effet d’entraînement sur les proches. Les émotions que l’on subit, l’état de choc, de consternation… doivent être évacuées. Des intervenants rencontrent les différentes équipes de travail pour aider les collègues à ventiler leurs émotions. Plusieurs personnes pensent qu’ils sont plus forts, que les événements ne les affecteront pas. Les rencontres de groupe peuvent aider ces personnes à s’ouvrir pour ventiler une partie de leurs émotions. Il faut être pro-actif et aller au devant des gens qui ont subi le stress d’un proche. Une ligne téléphonique au cas où quelqu’un vivrait quelque chose n’est pas suffisant. La postvention est un processus actif pour aider les gens à faire leur deuil.

Pour certains, les rencontres avec les groupes de travail seront suffisant pour leur permettre de développer leur réseau d’aide. Pour d’autres, ils auront besoin de rencontres individuelles.

Est-ce que je considère que d’avoir une ligne téléphonique pour rejoindre un psychologue en dehors de l’entreprise est suffisant? Vraiment pas.

Pour avoir travaillé avec le système français et québécois, je considère qu’au Québec notre intervention auprès de personnes suicidaires est en très grande avance sur celui du système français.

Une épidémie de suicide?

Il faut regarder globalement la problématique. France Télécom, c’est 190 000 employés dans le monde, 106 000 en France. 23 suicides sur 18 mois, c’est une moyenne de 15 par année. 15 suicides pour 190 000 employés, cela donne un taux de suicide 7,9 suicides par 100 000 de population pour l’ensemble des employés de France Télécom. 14,1 suicides par 100 000 de population pour les seuls employés de la France (en supposant que les 23 suicides sont tous des employés français!).

Pour la France, le taux de suicide, selon les différentes littératures et selon les années, varient entre 15 et 30 suicides par 100 000 de population. Dans tous les cas, des taux supérieurs à ceux de France Télécom! Au Québec, en 2001, le taux était de 19,1 suicide par 100 000 de population.

Les taux de suicide chez France Télécom sont donc moindre que ceux de la France et du Québec. Pouvons-nous donner l’absolution à France Télécom? Pas encore. Il faut aussi considérer que pour une population globale, il y a des personnes toxicomanes, qui ont des troubles de santé mentale, des gens qui passent par des extrêmes de pauvreté, des pertes d’emploi… Pourtant des employés qui font carrière chez France Télécom devraient être heureux d’avoir un emploi et une stabilité financière. Et bien non. C’est là que leur responsabilité d’employeur, de bon père de famille est questionné. Leur travail n’est pas le milieu sécurisant et stable qu’un employé a le droit d’avoir. Parce que les dettes et les restructurations de France Télécom ne devraient pas se régler sur le dos des employés.

Dans mes nombreuses interventions auprès de personnes suicidaires françaises, on me mentionnent qu’il faut payer pour avoir accès à certaines lignes d’appel pour le suicide. Pouvez-vous imaginer qu’au Québec on fasse payer les gens qui utilisent les lignes d’écoute? D’autres ont mentionné qu’après une tentative de suicide, ils se retrouvent dans des hôpitaux psychiatriques et qu’aucun suivi n’est fait, aucun service ne leur est offert. Ils sont remis “en liberté” jusqu’à la prochaine tentative de suicide. Sur ce point, on est peut-être un peu mieux au Québec, mais cela nous arrive trop souvent.