11 ans de malheur procédural ! Indemnisation pour durée excessive d’une procédure devant la juridiction administrative (CEDH, 24 septembre 2009, Sartory c/ France)

Publié le 24 septembre 2009 par Combatsdh

Un policier a introduit en 1995 un recours en annulation de l'arrêté de " mutation dans l'intérêt du service " pris à son encontre par le ministre français de l'Intérieur. Or, la procédure, achevée par un arrêt infirmatif rendu par la Cour administrative d'appel saisie et qui annula ledit arrêté, dura six ans et sept mois. En conséquence, une nouvelle action, toujours devant le juge administratif mais cette fois en réparation de la durée excessive de la précédente procédure, fut initiée. De façon quelque peu ironique, la procédure d'indemnisation - pour laquelle le Conseil d'Etat était seul compétent - dura elle-même plus de quatre ans et cinq mois (CE, 16 mai 2007 N° 290362)

CPDH : Soit un total de 11 ans de procès.

Sans oublier les 2 ans et 14 jours devant la Cour. Soit 13 ans de procédure.

Dans le prolongement de l'arrêt Magiéra de 2002, le décret no2005-911 du 28 juillet 2005 a attribué au Conseil d'Etat la compétence en premier et dernier ressort pour les actions en responsabilité dirigées contre l'Etat pour durée excessive de la procédure devant la juridiction administrative (Article R. 311-1, 7° du code de justice administrative).

La Cour européenne des droits de l'homme, saisie d'une allégation de violation de l'article 6 (droit au procès équitable), doit avant toute chose régler la question de la recevabilité de la requête. En effet, se posait la question de savoir si la reconnaissance par le juge interne - en l'occurrence le Conseil d'Etat - de la violation de l'article 6 pour durée excessive de la procédure principale excluait que le requérant puisse toujours se prétendre victime de cette violation. Afin d'y répondre, la Cour doit vérifier " a posteriori s'il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d'une violation d'un droit protégé par la Convention et si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant " (§ 19).

Si le premier point est aisément reconnu par la Cour (§ 20), il en différemment pour le second. Le " redressement " implique " que l'action indemnitaire demeure elle-même un recours efficace, adéquat et accessible permettant de sanctionner la durée excessive d'une procédure judiciaire " (§ 21), ceci étant déterminé à l'aune " de la durée de la procédure d'indemnisation, du montant de l'indemnisation éventuellement accordée ainsi que, le cas échéant, du retard dans le paiement de ladite indemnité " (§ 22).

Or, en l'espèce, les juges européens estiment que " les juridictions internes ont manqué de célérité pour statuer sur le recours indemnitaire qui, par sa nature, exige une décision rapide [...], et que le Conseil d'Etat aurait dû octroyer une somme plus élevée au requérant pour combler le retard supplémentaire, afin de ne pas le pénaliser une seconde fois" (§ 26).

La requête est donc jugée recevable, faute de redressement adéquat. Il n'est ensuite guère difficile pour la Cour de conclure à la violation au fond de l'article 6 pour durée excessive de la procédure principale, le Conseil d'Etat ayant lui-même reconnu cette violation (§ 37).

CPDH: Néanmoins, constatant que le requérant n'a pas donné suite aux invitations de la Cour de présenter sa demande de satisfaction équitable avant le 15 septembre 2008, et ce malgré les lettres de relance des 3 octobre et 7 novembre 2008, elle conclut qu'il n'y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

Le requérant repart donc bredouille à l'issue de cette nouvelle procédure de 2 ans devant la Cour. Il aura au moins eu la satisfaction d'obtenir la reconnaissance de la violation de l'article 6§1 par le Conseil d'Etat du fait de la lenteur de la juridiction administrative et par la Cour de Strasbourg du fait de celle du Conseil d'Etat.

Extrait rapport CE 2008, p.25 Actualités droits-libertés du 24 septembre 2009 par Nicolas HERVIEU
  • v. aussi dans la série des grandes boulettes du Conseil d'Etat: "Autoflagellation au Palais royal", CPDH, 10 octobre 2008 sur l'arrêt du Conseil d'Etat du 18 juin 2008 Gestas
  • v. F. Rolin, "Le coût du retard à juger devant les juridictions administratives. L' arrêt qui valait un milliard d'euros", AJDA 2004 p. 2145.