Marie-Jeanne Urech, Des Accessoires pour le paradis

Par Alain Bagnoud

Marie-Jeanne Urech pourrait être la fille illégitime de René Magritte et de Franz Kafka. Je sais, vous allez me dire qu'étant donné les circonstances et les genres, ces deux-là pouvaient difficilement se reproduire. Mais tout est envisageable dans l'univers de Marie-Jeanne Urech.
Si on pense en la lisant à René Magritte (dont un tableau orne d'ailleurs la couverture de Des a
ccessoires pour le paradis), c'est pour le mystère, le décalage et le surréel. Et si j'évoque Kafka, c'est à cause d'un univers labyrinthique, dans lequel les personnages tournent en rond, incapables de trouver une issue, rencontrant toujours de nouveaux obstacles sur leur chemin. Bien sûr, leur écriture diffère. Kafka visait la neutralité administrative du style. La prose d'Urech, autant maîtrisée que son imagination est débridée, est nourrie de comparaisons et de métaphores inusitées et travaille sur le rythme: phrases courtes, analepses, relances, syntaxe parfois hachée par la ponctuation...

De quoi s'agit-il ? Le docteur Aarberg, personnage principal, dirige une clinique dans laquelle des patients sont hospitalisés et passent leur temps à rêver, entourés de roses. Chaque soir il joue au golf et chaque soir il perd sa balle qui se volatilise au dix-huitième trou. Sinon, sa vie est normale, serait normale si ses deux enfants de 5 et 7 ans n'avaient disparu. Le docteur pense qu'ils ont fugué parce qu'ils étaient trop gâtés.
Or, un jour, Aarberg reçoit une enveloppe pleine d'argent pour une consultation à domicile. Lui qui ne se déplace jamais se sent tenu d'y aller. Mais pas le moindre malade à l'adresse indiquée, et la seule chose qu'il sait de lui, son patronyme, Boncompagnon, est extrêmement répandu dans la ville. Du coup, il se met à le traquer, puis/et à rechercher ses deux enfants et la quête, kafkaïenne, magrittienne, bizarre, commence avec ses bifurcations et ses explorations.


Ce compte-rendu de l'amorce du roman, je m'en rends compte, est trop sage. Il faut y ajouter une fontaine dont on ne doit pas boire l'eau sous peine de prendre la place de la statue qui la crache, des trous un peu partout dans les planchers, des mendiants amputés, le bizarre comportement génétique des yeux bruns, et toutes sortes d'autres singularités dues à la fantaisie de l'écrivaine.


Bien sûr, les amateurs de naturalisme et de roman psychologique ne trouveront pas leurs petits dans ce texte. Marie-Jeanne Urech s'amuse à déconstruire la réalité pour la recréer à sa manière. Elle semble ne pas aimer les modes de représentation romanesques traditionnels et leur préférer la mise en écriture d'images mentales et personnelles.
Il faut accepter, pour goûter le roman, d'entrer dans cet univers qui génère ses propres règles, et qui se développe comme une construction autonome, aux règles internes logiques, mais différentes de celles du réalisme. Des Accessoires pour le paradis appartient plutôt en un sens au genre du merveilleux. Et je cite la définition de Wikipédia: « dans un récit merveilleux, les données du monde surnaturel sont acceptées comme allant de soi par le lecteur, on observe de sa part une confiance, une crédulité, l'auteur ayant bien ménagé l'arrivée du merveilleux ».

Marie-Jeanne Urech, Des Accessoires pour le paradis, L'Aire