Ecrire avec les oreilles

Par Georgesf

Une irremplaçable visiteuse, Schlabaya, a posté un commentaire intéressant en bas du billet concernant la soirée vin-littérature que les animateurs du site Actualitte.com. ont consacrée à mon roman « Le film va faire un malheur ». Je cite :

« Vous faites l'apologie de l'éthylisme, allons bon !
C'est vrai que les romans devraient être proposés avec un vin d'accompagnement, ou bien un spiritueux quelconque. Certains auteurs indiquent en fin d'ouvrage, pour l'édification du lecteur, quelles musiques ils ont écoutées en écrivant, mais aucun ne précise ce qu'il a bien pu siroter pour se donner du coeur à l'ouvrage. Du coup, le lecteur fort démuni ne sait que choisir du Kubi ou de la Valstar... »

C'est une excellente idée.

Reprenons ça dans l’ordre.

La playlist pour lire, je n’y ai jamais pensé. J’en reparle un peu plus loin, dans ce billet.

Parlons d’abord de la playlist pour écrire. Je soupçonne nombre d'auteurs d'inventer une playlist la plus chic possible, savant mélange d'inconnus et de repères indispensables des discothèques. S'ils ont vraiment écouté tout ça en écrivant, leur écriture est évidemment plus chic, n'est-ce pas ?

La mienne ne bouleversera personne, elle paraîtra peut-être même inquiétante. Mais elle a le mérite de la sincérité.

Quand j’écris, j’ai souvent besoin de mettre un peu de musique. Non pas pour me distraire, mais pour me concentrer : elle m’empêche de prêter attention aux bruits extérieurs. Je recherche donc des musiques m’aidant à créer ce vide : choeurs orthodoxes (c’est mon tube à moi), chants grégoriens, requiem de divers musiciens classiques (avec un faible pour le Requiem allemand de Brahms), musique arabe traditionnelle. Mais aussi : tangos instrumentaux classiques (pas chantés, car j'écoute en essayant de traduire, ça me perturbe), récitals de guitare, d’accordéon, ou de cornemuse, disques de Bix Beiderbecke, Coleman Hawkins, Billie Holiday. Il y en a d'autres, mais peu : quand j'écris, j'aime écouter des musiques que je connais par coeur. Ca ne me distrait pas, et ça me rassure.

Décevant, non ? Attendez, la suite sera encore plus décevante.

- boissons : café frais du matin, assez allongé, quand j'écris à l’aurore (vers 5h, tout est plus facile, sauf le lever). Dans la journée, beaucoup d'eau du robinet, jamais de boissons alcoolisées pour écrire. Le soir, après 21h, un armagnac ou un calvados, (pas forcément des grandes marques ou des vieilles bouteilles : la marque du supermarché voisin me suffit), très lentement lampés, m'aident parfois à me décoincer quand je bute sur un passage foireux. Il s’agit plus d’un rituel magique que d’un mécanisme de cause à effet. Je n’écris rien de bon en état ébrieux : je me crois parfois génial, je me couche exalté. Et le lendemain, c’est la douche froide : j’efface tout.

Reste cette idée de proposer au lecteur d’écouter les mêmes musiques que celles qui ont accompagné mon écriture, comme s’il devait se créer une sorte de communauté. Si on va jusqu’au bout de l’idée, il devrait aussi porter les mêmes vêtements (Filez chercher des mocassins Geox noirs, un pantalon noir Sigrand, un tee-shirt noir In-Extenso, un polo bleu marine sans marque, une montre Tissot, et des lunettes Krys avant de continuer à lire ce billet)

Revenons à cette communauté musicale. Le principe me gêne par son manque de symétrie : le lecteur lit ce que j’écris (un receveur & un donneur). Quand j’écoute, c’est moi qui suis receveur. Le lecteur devrait donc, logiquement, être donneur. En clair, il devrait JOUER ou tout au moins chanter les airs que j’ai écoutés. Je n’ai déjà pas beaucoup de lecteurs : si maintenant ils doivent chanter comme la grande Billie Holiday, combien m’en restera-t-il ?

Billet écrit en écoutant « Le Blues de Billie Holiday » (2 volumes). En ce moment précis, j’écoute la fin de « One for my baby (and one more for the road) ». Je n’invente rien. La coïncidence est amusante, non ?