Néantisation des rebelles

Publié le 30 septembre 2009 par Tudry

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« Dans la société communiste on s'efforce à une objectivité de plus en plus poussé. C'est même la meilleures définition qu'on puisse donner de cette société ... Dans la société communiste idéale, il n'y a plus, à la limite que des policiers et des machines électroniques... Tout le monde est policier. »

Raymond ABELLIO, La Fosse de Babel

« La violence, c'est-à-dire le pouvoir de l'Etat est également une force économique. »

Marx/Engels, Correspondance

« Les intellectuels travaillant dans la clandestinité étaient particulièrement exaspérés par le climat déraisonnable qu'on respirait dans la résistance. L'hystérie n'était pas loin. Conspirer devenait un fin en soi; mourir et exposer les autres à mourir, presque un sport. »

Milosz, La Pensée captive

Dans notre époque où tout réussit si bien et pour laquelle le recours à la violence est, officiellement, une violence à ses principes même, il n'est guère surprenant, en définitive de voir les opposants à l'état dominant, fort surpris de la réponse apportée à leur « lutte ».

Par exemple, les membres supposés de Tiqqun ou du Comité Invisible, eux qui ont théorisés l'idée de guerre « civile », qui ont déclarés prendre part à cette guerre, semblent manifester, lorsque l'Etat réagit avec la violence qu'ils lui prêtent, le même étonnement et la même indignation morale, que n'importe quel démocrate droit-de-l'hommesque ...

N'est-ce pas la part des insurgés, des révoltés que de subir cette violence ? Pourquoi la dénoncer sur ce mode de la surprise et de l'indignation ? Ou même sur le mode sarcastique ? Parce que les désignés-coupables sont en effet innocents ? Ne savons-nous pas que ceci n'a aucune espèce d'importance ? La violence, comme « état d'exception » est communicationnelle, la réponse à celle-ci le fut également ... Si le « combattant » désire l'anonymat, l'état dominant, ne veut que « nommer », dénommer et dénombrer ses « ennemis ». En répondant par la voie communicationnelle, par les moyens mis à sa disposition, quand bien même il s'agit de dénoncer ceux-ci, l'adversaire tient le rôle peu enviable de la « lumière » qui luisait dans les ténèbres et que les ténèbres ont circonscrites ... La réponse circonscrite justifie à posteriori l'exceptionnalité de la violence mais n'échappe en rien à cette violence exceptionnelle.

Mais, notre exemple n'est qu'un exemple ... il s'agit d'une tendance générale que j'ai ressenti à bien d'autres occasions. ON se targue de lutter, de combattre; et puis lorsqu'une réaction arrive ON se lamente et ON dénonce l'injustice de cette réaction. Mais, si cette réaction correspond bien à la réalité que l'ON dénonce pourquoi donc dénoncer aussi la démonstration de sa véridicité ? Il ne saurait y avoir d'injustice, de « sentiment d'injustice » que pour ceux qui n'ont pas une claire conscience de ce qui est en jeu ... Pour le reste il s'agit de constater qu'en effet, la machine dont le fonctionnement secret à été mis en lumière, s'exécute « proprement ».

Ce qu'ON nomme « le système » (car il veut être nommer) n'a-t-il pas en ce domaine remporté encore l'une de ses victoires néantisantes ? La « domination » veut être dénommée car elle n'a pas de Nom, elle veut être nommée pour assurer sa rationalisation car son essence, son noeud vital est « vide » et non-rationnel. A la rigueur, il conviendrait même d'affirmer que la dominion désir être combattue; elle ne peut pas ne pas vouloir ardemment la nomination, la rationalisation, l'opposition et la division. Elle peut même fourbir les armes et les contres-attaques !

C'est un peu ce dont il est question dans l'excellent document réalisé par le Comité Invisible sous le titre « Ingénierie sociale et mondialisation » : disciplines gestionnaires, marketing, management, robotique, cognitivisme, psychologie sociale et comportementale, programmation neurolinguistique, social leraning, formatage social, espionnage, recherche de toutes informations, évaluation, reconfiguration d'un donné humain, stratégie du choc (amnésie par trauma), études, analyses et définitions des structures générales et constantes, constitution et implantations de structures nouvelles ...

Tout, ou a peu près tout, ce qui figure dans ce document semble largement plausible et même relativement évident.

Le document, diffusé stratégiquement sur la « toile », n'échappe pas à ce nouveau « théâtre des opérations » : (citation).

Toutefois il aurait pu analyser également l'essence ubiquitaire de l'informatique et mettre le doigt la dessus que l'internet est une invitation constante à faire usage de sa liberté. Liberté que les gouvernements démocratiques nous engagent à « utiliser », qu'ils favorisent en travaillant à une amélioration à l'accessibilité aux réseaux hauts-débits et wifi ... pour plus de liberté et d'égalité et d'éducation (cela va sans dire), mais dont ils savent et veulent réprimer les aspects les plus « sauvages » ou disons, pour parler leur langage, qu'ils souhaitent lui offrir un encadrement législatif pacifiant ... (Disons aussi que l'ON offre un espace franc de liberté qui sert, de lui-même, à démontrer le bien fondé du contrôle lorsque l'expression de la liberté montre un visage peu conforme à la bienséance du moment ...)

Le web de nos gouvernants invite donc chaque citoyen , dès le plus jeune âge, à se connecter, à s'exprimer en « toute liberté » ... Double fonction :

abêtir et amener à l'oubli ceux qui n'ont déjà qu'un faible potentiel de « révolte » (qui n'ont pas grand chose à exprimer en terme de liberté)

amener les « autres », par le double langage et de quelques bords qu'ils soient à se dénoncer eux-mêmes en usant de leur « liberté »

C'est l'une des grandes forces de « ce monde » que de laisser suffisamment de liberté, de l'offrir ... Vous êtes libres, objectivement, idéalement de ne plus rien avoir avec lui, de déconsommer, de décroisser, de désirer, voire de réaliser une forme ou une autre d'autarcie communautaire et ce, dans le silence ou bien en contestant. Cette liberté qui, en définitive, ne dépend guère que de vos moyens, devient l'argument choc, la massue idéologique ... et elle se retourne d'un coup, d'un seul, contre vous, contre elle-même ...

Plus besoin de délateurs zélés, nous sommes dans l'ère de l'auto-délation, de l'egoscope auto-dénonciateur. L'une des tâches du résistant fut de ne pas être dénoncé, dans l'actuel ajourd'emain résister c'est se dénoncer. Avec pour corolaire la fausse idée très habillement répandue : « si vous êtes surveillés c'est que vous êtes dangereux » ... Les limites de la résistance étant fixées par « l'ennemi », ses règles aussi, il devient évident que la surveillance, ou la simple idée de la surveillance (génératrice d'auto-suffisance) et l'idée suscité de la dangerosité peuvent s'avérer des moyens bien plus efficace que le contrôle musclé.

Ceci conduit presque à ce que j'appellerais le Tyler Durden's complex ... la dominion générant elle-même ses adorateurs et ses dénonciateurs, générant une immense société purement schizophrènique !

Ne faut-il pas l'être, même un tout petit peu, pour dénoncer la soit-disant volonté de la dominion de faire du monde un monde-un qui ne serait qu'un gigantesque disneyland ( image parfaite si caricaturalement parfaite d'un Nouvel Ordre mondial qu'elle en devient ineffective) ... ? C'est, en tout cas, perpétuer la dramatique erreur (fort utile) d'identifier la dominion ou sa volonté, son hegemon, avec une « nation » particulière. C'est aussi ne pas voir, malgré une bonne volonté évidente, que par-delà les différents masques idéologiques c'est la même « quête luciférienne du bonheur sur terre » qu'ont en vue, précisément, toutes les idéologies et toutes les métaphysiques qui, le cas échéant, fondent les présupposés des premières ... (fussent-elles, prétendument, « traditionnelles » ou « modernes » ou « post-modernes »).

Est-ce assez pour éclairer la « néantisation » ? Je ne sais mais pour ne pas trop m'étendre je voudrais terminer avec quelques mots sur LE mot : « social ».

Paix sociale, guerre sociale, luttes sociales ... le social minimise le poids des mots et creuse encore cet écart de néant. Que mesure-t-il donc ? Le social, le mot-alibi qui sert d'une « catégorie » à l'autre, qu'on se tend, qu'on se passe, qu'on s'agite sous le nez avec véhémence ou cordialité, du plus grand jusqu'au plus petit ... Une vraie « boite noire » !

L'hypnose sacrée qui vaut pour toutes sortes de mots du côté dextre, est absolument la même avec celui-ci côté sénestre ! Et j'oubliais, la « justice sociale » ... Mais quel lien avec la justice, ce que ON, le grand ON touglobal appelle « justice sociale » n'est que le camouflage d'une pensée bourgeoise du monde. Une répartition différente des richesses ... ? cela n'a rien à voir avec la justice, cela s'appelle de la corruption ! La démonie de l'économie engendre la démonie du social. Cette aveugle passion du « social » n'est pas un anti-économisme, ses titres de « noblesse » le disent assez : anti-capitalisme, anti-libéralisme; pas plus, d'ailleurs que le contraire de l'économisme, mais une « économisme contraire » ! Les uns face aux autres s'agitent sous le nez des économismes à rebours ...