Le “fossé” Polanski

Publié le 01 octobre 2009 par Jlhuss

En 1977, certes ça fait un bail, le cinéaste Roman Polanski est arrêté aux Etats-Unis pour avoir eu des “relations sexuelles illégales(insistons sur cette référence à la Loi et à rien d’autre) avec une adolescente de 13 ans. Il plaide “coupable”. Le magistrat de l’époque décide de faire de Polanski un exemple de sa sévérité; il risquait 4 ans d’emprisonnement. Le réalisateur quitte alors le pays et n’y reviendra jamais, pas même pour récupérer l’Oscar qui lui a été attribué pour le film “Le Pianiste ” en 2003.

2009, 32 ans plus tard, Roman Polanski est arrêté en Suisse pour cette même affaire. Le mandat d’arrêt produit plusieurs décennies auparavant est toujours valable.

Lors de son témoignage au tribunal en 1977, l’adolescente raconte qu’en mars 1977, Roman Polanski demande à sa mère s’il peut organiser une séance photos dans la villa de l’acteur Jack Nicholson. Roman Polanski l’abreuve de champagne et de drogues, affirme-t-elle au grand jury. Il prend des photos d’elle nue dans un bain, puis, malgré la résistance qu’elle lui oppose, Roman Polanski réussit à la forcer à avoir une relation sexuelle, toujours selon son témoignage devant la justice. Somme toute une affaire des plus « claires » et banales dans les prétoires. Elle envoie à l’ombre pour un certain temps, le commun des mortels dans nos sociétés dites policées.

Mais voilà, Polanski est une vedette du Show-Biz et ça changerait tout pour certains. Qu’il est des circonstances atténuantes ou des arguments contradictoires à faire valoir, pourquoi pas, mais encore faut-il comparaître pour en juger.

On savait que la justice des riches ou des « reconnus » n’était pas tout à fait la même que pour les autres. Ainsi celle d’Outreau mène des innocents au trou où ils se suicident de ne pas être entendus. Ils y croupissent, même présumés innocents plus de 3 années avant de se voir lavés. Pas question de mise en liberté sous caution … C’est en France pas aux Amériques !

Et pourtant  c’est le gouvernement français – officiellement – qui intervient auprès de la Suisse et des USA pour qu’on libère Polanski et qu’il ne soit pas déféré devant la justice.

Que Roman Polanski soit un grand artiste, célèbré, reconnu pour son œuvre, très bien. Mais qu’une mobilisation s’organise pour éviter qu’il comparaisse devant ses juges, c’est autre chose. Que le ministre des Affaires Étrangères et celui de la Culture de notre République fassent pression sur d’autres États par courriers officiels, pour soustraire un citoyen français (Polanski a la nationalité Franco-Polonaise) à la justice américaine, c’est scandaleux.

La déclaration sur les ondes d’Europe 1 du Minsistre Frédéric Mitterrand doit être conservée; elle est ahurissante

« Si le monde de la culture ne soutenait pas Roman Polanski, ça voudrait dire qu’il n’y a plus de culture dans notre pays. Je suis très ému en en parlant parce que je trouve que c’est une chose épouvantable et totalement injuste. Roman Polanski est un homme de cinéma de réputation internationale et c’est une émotion très profonde parce que Roman Polanski est un homme merveilleux. Et de la voir ainsi jeté en pature pour une histoire qui n’a pas vraiment de sens et de le voir ainsi pris au piège c’est absolument épouvantable. Et de la même manière qu’il y a une Amérique généreuse, il y a aussi une certaine Amérique qui fait peur et c’est cette Amérique-là qui vient de nous présenter son visage. J’apporte mon soutien à Roman Polanski. Le président de la république suit le dossier très attentivement, j’ai eu l’occasion d’en parler avec lui ce matin et je pense qu’il est au même diapason d’émotion que moi et que tous les Français… Je pense que tous les Français doivent être avec Roman Polanski dans cette épreuve  ».

“Je pense qu’il est au même diapason …” On espère que non ! Quel est donc ce Ministre qui se permet d’exprimer publiquement les “sentiments” supposés du Chef de l’Etat ? Fermez les yeux, imaginez de Gaulle; une telle sortie eut été impensable, mais prononcée, l’homme ne serait pas pas resté une minute de plus dans son mobilier de la rue de Valois. C’est peut-être ce que cherche Mitterrand, après tout. On attend avec impatience la réaction du Président.

C’est évident, Polanski doit faire face à ses juges. Il aura peut-être des arguments à développer, telle “l’abus de confiance du ‘plaiser coupable” . Il sera peut être relaxé ? Mais la Loi doit être respectée. La sentence peut aussi être sévère, mais sans la fuite de l’époque, elle serait depuis longtemps purgée. D’ailleurs, si l’affaire ressort aujourd’hui avec autant d’acuité, c’est parce que Polanski a demandé son classement en décembre 2008. Il lui a été refusé, ce qui a provoqué le « rafraîchissement » des poursuites.

Même Daniel Cohn-Bendit, pourtant peu « prude » s’est démarqué du concert : Il a avoué être “mal à l’aise” par rapport à cette “accusation grave” portée à l’encontre du cinéaste. Il s’est également étonné de la vitesse à laquelle le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, s’est exprimé, jugeant que celui-ci aurait du “attendre les dossiers”. Grande finesse politique ce Dany le Rouge; il sent le peuple!

Luc Besson se démarque également , le “grand Bleu” pense à juste titre que “la justice doit être la même pour tout le monde”.

Jamais en retard, le super-bobo Kouchener en rajoute : “Un homme d’un tel talent reconnu dans le monde entier, reconnu surtout dans le pays qui l’arrête, tout ça n’est pas sympathique” (on sent le diplomate :  Pas sympathique !) N’évoquons que rapidement les artistes, hurleurs il y a peu contre les téléchargeurs sauvages, réclamant une rigueur extrême à leur encontre ainsi qu’une répression sans aucune faiblesse. Aujourd’hui, l’arrestation d’un des leurs pour lequel il pourrait être d’actualité d’appliquer la loi dans toute sa rigueur, devient un scandale. Ils ne se pensent plus dans le même monde que les autres. Vous essayerez de faire comprendre de telles disparités d’appréciation dans le 93 ou ailleurs, à ceux qui attendent en préventive leur jugement pour “maltraitance” dans des caves d’immeubles !

Mais vous êtes vraiment débiles ou quoi ! Réfléchissez un peu et lisez ça, c’est de la faute des américains : [Le système (ndlr :américain) se moque totalement de la réinsertion ou de la rédemption des « délinquants sexuels » et obéit à une logique paranoïaque d’éradications et de bannissement, attisée par les médias locaux, par les juges et les procureurs en quête de réélection, autant que par des législateurs terrorisés par les réactions d’un électorat toujours plus apeuré par « les monstres qui rodent autour de leurs enfants ».]

Édifiant ! Le système judiciaire américain est sans doute parfois surprenant pour nous, même déroutant, on a déjà évoqué ici ce particularisme. Mais alors … Il faut rompre tous les accords d’extradition avec les USA, rayer d’un trait de plume les accords judiciaires signés. Il faut aller au bout de la logique. Pour lire quelque chose de sérieux allez plutôt du côté de la plume de Maître Eolas.

L’éminent juriste de conclure :

“Je trouve honteux d’entendre des artistes qui il y a quelques semaines vouaient aux gémonies les téléchargeurs et approuvaient toute législation répressive et faisant bon cas de droits constitutionnels pour sanctionner le téléchargement illégal de leurs œuvres crier au scandale quand c’est à un des leurs qu’on entend appliquer la loi dans toute sa rigueur. Quand on sait que pas mal de téléchargeurs ont dans les treize ans, on en tire l’impression que les mineurs ne sont bons à leurs yeux qu’à cracher leur argent de poche et leur servir d’objet sexuel. Comme si leur image avait besoin de ça. Et après ça, on traitera les magistrats de corporatistes.”

De blog en commentaire d’article en passant par Twitter et les groupes Facebook, la question voyage. Et les commentaires des sites sont sans pitié. Heureusement la toile empêche certains de tourner en rond-rond

Surtout, ne vous méprenez pas : j’apprécie les films de Roman Polanski et je souhaite de tout coeur que la justice américaine se montre compréhensive et tienne compte des années écoulées, des remords, des déclarations de la victime, des abandons de poursuite de cette dernière, des engagements pris lors du “plaider coupable” etc. Mais il est impossible d’admettre que le milieu politique et des Ministres de l’Etat Français puissent se vautrer dans de telles divagations.

A l’image de Joffrin dans Libération, [Polanski était un gibier de choix pour une Amérique profonde où le puritanisme altère parfois le sens d’une justice équitable. A 76 ans, alors qu’il a toute sa vie subi les conséquences morales et matérielles de cette longue traque judiciaire, Polanski ne mérite pas de rester dans ce cul-de-sac carcéral.]
certains journalistes, le show-biz et les politiques ne voient donc pas le fossé qui se creuse. Un fossé d’incompréhension, une dérive grave, un décalage avec une majorité de l’opinion qui refuse de voir renier le principe fondamental de toute démocratie selon lequel la loi est la même pour tous. C’est sans doute malheureux pour lui, mais l’affaire Roman Polanski est devenue un symbole.

Vous feriez un contresens en imaginant que cette note se laisse prendre au piège d’une morale quelconque. Il n’est absolument pas question de juger l’acte en lui-même; d’autant plus qu’il est contesté et sujet à polémiques . Condamné ici et là, il est dans d’autres organisations sociales tolérées ou même utilisé à des fins touristiques.

Dans un autre domaine, l’horreur de l’inceste chez nous par exemple, peut devenir pratique courante ou tolérée ailleurs. LaBible, par exemple montre l’inceste, normalement interdit, comme un impératif pour sauvegarder une lignée vouée sans cela à l’extinction. Depuis l’Égypte pharaoniqueet encore récemment dans certains pays comme lePéroupour la famille desIncas, il était fréquent, dans la noblesse, de se marier et d’avoir des enfants avec un membre de sa famille.

Pour la sexualité et les enfants, on peut également tout lire ou entendre. AuxPays-Basexiste un parti officiel favorable à la pédophilie, le PNVD , fondé par Ad Van den Berg, et comptant à ce jour trois membres connus : il demande l’abaissement de la majorité sexuelle à 12 ans, et, à terme, son abolition etc. On pourrait multiplier les exemples d’appréciations divergentes sur des pratiques sexuelles multiples et variées. Pourquoi pas ? L’expression est libre ! Ne jugeons pas à notre porte et en fonction de nos tabous. Pas question non plus de porter ici un jugement sur les Lois Américaines, de décerner un Oscar à une Amérique au “beau visage” et de montrer du doigt une autre effrayante et hideuse. C’est l’affaire de chacun.

Mais en revanche aucune atteinte à la Loi en vigueur ne peut être tolérée sous peine de dislocation complète de la société. Si la Loi est mauvaise, il faut là changer et pas là contourner, même pour complaire à une Icône.