Retour sur la 64e session de l'ONU et le bras-de-fer Kadhafi-Merz

Publié le 01 octobre 2009 par Francisrichard @francisrichard
Il y a un abysse entre Muammar Kadhafi et Hans-Rudolf Merz [photo ci-contre parue dans 24 Heures ici], entre le bédouin de carnaval, jamais sans sa tente, et le docteur es sciences politiques, entre le barbare et le civilisé, entre le fou..rbe et le naïf. Ils ne jouent pas dans la même cour et ne peuvent pas se comprendre. Que peuvent avoir en commun un dictateur à vie et un président élu démocratiquement pour un an? Rien.

Les discours qu'ils ont prononcés l'un et l'autre devant l'Assemblée générale de l'ONU montrent à quel point ils sont différents, inconciliables. Le premier, Kadhafi, ne respecte pas les règles, le second, Merz, les respecte peut-être trop. Le premier a parlé plus d'une heure et demi, le second a respecté le temps de parole qui lui était imparti, soit bien moins des 15 minutes réglementaires.

L'internaute me pardonnera de m'être contenté du résumé établi par la délégation libyenne (ici), même s'il est plus construit que le discours théâtral effectivement prononcé. Je n'ai pas eu le courage de m'infliger le pensum de la vidéo d'une heure 36 minutes du discours du Guide de la révolution de Libye, prononcé le 23 septembre 2009 et qui a lassé même ses plus chauds admirateurs.

En dehors des effets de scène, comme celui de triturer, déchirer, puis lancer derrière lui la Charte des Nations-Unies, ou de conseiller au président Obama, qu'il appelle mon fils, de devenir comme lui dictateur à vie, ou encore d'évaluer à 77,7 milliards de dollars (?) ce que doivent les anciens colonisateurs aux anciens colonisés, il remet en cause le Machin - comme l'appelait affectueusement le général de Gaulle - en se basant sur le propre préambule de sa propre charte, en contradiction avec la charte elle-même, et en soulignant le jeu trouble poursuivi par le Conseil de Sécurité.

Ses remarques, pas toutes farfelues, montrent à quel point l'ONU est une institution critiquable non seulement parce qu'elle est inefficace et coûteuse, mais parce qu'elle est complètement utopique, qu'elle relève de cette idéologie néfaste qu'est le mondialisme, qu'il ne faut pas confondre avec la mondialisation. Muammar Kadhafi est certes mal placé pour faire des remarques sur la démocratie, mais il n'empêche que ce cynique a raison quand il souligne que, selon le Préambule, les pays sont égaux, qu'ils soient grands ou petits, et que le droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité est la preuve du contraire.

Kadhafi a raison de dire, en riant sous sa djellabah, qu'il y a contradiction entre les interventions, éventuellement militaires, de pays disposant du droit de veto, et l'affirmation de la Charte selon laquelle aucun pays n'a le droit d'intervenir dans les affaires intérieures d'un autre pays. Il a encore raison de souligner qu'augmenter le nombre de sièges au Conseil de Sécurité ne résoud rien, mais il ne peut que feindre de croire que la solution est de ne plus admettre d'autres membres, mais d'accorder l'égalité à ceux qui en font déjà partie.

Tel quel, selon lui, le Conseil de Sécurité devrait être appelé le Conseil de la terreur. Les super-puissances se servent de l'ONU pour servir leurs intérêts et, au lieu d'apporter au monde la sécurité, ne lui apportent que terreur et sanctions. Parole d'expert...Il en tire la conclusion que le monde n'a pas à suivre ses règles et ses décisions. Il aimerait bien que l'Union Africaine dispose d'un siège au Conseil de Sécurité et qu'après avoir siégé 50 ans dans l'hémisphère nord l'Assemblée générale de l'Organisation se tienne dans l'hémisphère sud pendant les 50 prochaines années...

En contre-point, dans son discours prononcé le lendemain (ici), Hans-Rudolf Merz dit tout le bien qu'il pense de l'ONU, même si elle peut mieux faire :

La coopération internationale est devenue vitale. L'ONU est le lieu où une telle coopération est mise en oeuvre. Aujourd'hui, le monde a plus que jamais besoin de l'ONU. L'ONU doit poursuivre sur le chemin de la réforme afin de renforcer sa légitimité.

Il salue le rôle de l'ONU :

L'ONU a une légitimité unique pour jouer un rôle actif dans la prévention des conflits, la médiation, la protection des civils, le maintien et la consolidation de la paix. Mon pays salue l'engagement accru de l'ONU dans ces domaines et préconise surtout le renforcement des capacités de prévention et de

médiation du système onusien.


Il se montre plus critique envers le G20 qui doit développer ses échanges avec l'ONU :

Le G-20 manque de légitimité et ne dispose pas de procédures transparentes pour décider des sanctions. Les membres du G-20 eux-mêmes ne sont pas soumis au même type d'examen. La Suisse préconise une égalité de traitement et une meilleure consultation entre les non-membres du G-20.

Il se fait défenseur de l'économie libérale :

La crise actuelle a parfois été utilisée par certains pour remettre en cause l'économie de marché et la globalisation. Je ne conteste pas le besoin de réforme, les échecs et les abus ayant été trop grands pour être ignorés. Nous devons toutefois nous rappeler que c'est également grâce à l'ordre économique libéral et à l'ouverture des marchés qu'une bonne partie de la population mondiale est sortie de la pauvreté.

Mais dans le même temps il souhaite que les voix du FMI, de la Banque Mondiale, du PNUD [Programme des Nations-Unies pour le développement], de l'ONU, soit autant de Machins, se fassent entendre par le G-20; il promet que la Suisse maintiendra son aide au développement; il propose la création d'une taxe CO2 à l'échelle mondiale fondée sur le principe du pollueur-payeur.

Il croit, sans rire dans son costume-cravatte, que le Conseil des droits de l'homme est efficace :

Le Conseil des droits de l'homme est le forum principal pour discuter des droits de l'homme à l'ONU. Tant les procédures spéciales que l'Examen périodique universel ont prouvé leur efficacité en tant qu'instruments dans la promotion et la protection des droits de l'homme. Toutefois, nombreux sont les défis qu'il reste à relever. La Suisse continuera à travailler avec détermination pour un Conseil des droits de l'homme efficace et présentera sa candidature pour un second mandat en 2010. La protection des droits de l'homme, tout comme la promotion de la démocratie et le renforcement des règles de droit, constitueront également les priorités de la présidence de la Suisse au Conseil de l'Europe de novembre 2009 à mai 2010. 

Bref, tandis que Kadhafi, non sans arrière-pensées, rue dans les brancards, Merz se fait consensuel. A l'iconoclaste, au maître-chanteur, succède le conformiste, le crédule. Le discours poli succède au discours taillé.

Ce sont ces deux personnages dissemblables qui se rencontrent pendant 40 minutes le soir du 24 septembre 2009. La rencontre a lieu à la mission libyenne à l'ONU à New York. Kadhafi prend déjà l'avantage puisqu'il est chez lui. Que se disent-ils pendant tout ce temps? Mystère.

Toujours est-il que Merz ressort la mine réjouie, cocu et content, comme on va le voir. Jean-Cosme Delaloye rapporte dans 24 Heures du 25 septembre 2009 (ici) :

Le Président dit avoir obtenu de Muammar Kadhafi, un homme "poli", qu'il se penche personnellement sur le cas des deux Suisses.

Pas plus tard que le lendemain de la rencontre, le 25 septembre 2009, on apprend (ici) comment Muammar Kadhafi s'est penché sur le cas des deux Suisses :

Sous prétexte d'un contrôle médical, les deux Suisses ont été convoqués il y a une semaine par les autorités libyennes. Mercredi, par le biais d'une note diplomatique, Tripoli a informé les autorités suisses de la détention des deux hommes d'affaires dans un lieu «sûr».

Depuis on a appris que Muammar Kadhafi exige de nouvelles excuses de la Suisse (ici), cette fois pour la publication dans la presse genevoise de photos d'identification de son fils Hannibal, prises lors de son arrestation. Nouvelle rumeur? Le Matin du 1er octobre 2009 publie d'abord un démenti de la porte-parole d'Hans-Rudolf Merz, puis rend inaccessible cet article : http://www.lematin.ch/actu/kadhafi-demande-nouvelles-excuses-suisse-faux-dement-berne-172692. Autocensure ?

Dans cette partie de bras de fer, acier contre fer blanc, Muammar Kadhafi a toujours un coup d'avance...sur Hans-Rudolf Merz, qui ne peut même pas imaginer, droit dans ses souliers, que l'autre soit aussi tordu dans ses babouches...

Francis Richard