L’adolescence ou le besoin de libérer les chevaux…

Publié le 02 octobre 2009 par Boustoune

Mia a quinze ans. Elle vit avec sa mère et sa sœur dans un quartier défavorisé, au cœur d’une petite ville de l’Essex. Le coin qui ne manque pas de grands espaces, entre grandes prairies verdoyantes et zones industrielles désaffectées, mais l’adolescente a la désagréable impression d’y étouffer, d’y tourner en rond comme un poisson dans son bocal (Fish tank signifie aquarium, dans la langue de Shakespeare).
Le problème, c’est qu’elle déborde d’énergie, mais ne sait pas comment la canaliser pour en faire quelque chose de constructif, de positif. Alors, elle transforme cette vitalité en colère contre tout ce qui l’entoure. Contre sa mère, déjà, qui cumule les amants de passage et les beuveries et s’avère incapable de s’occuper correctement de la « cellule » familiale, terme particulièrement adapté pour désigner un univers clos étouffant, un lieu punitif…
Contre sa demi-sœur, gamine effrontée maîtrisant d’ores et déjà l’art de la répartie cinglante et passant ses journées devant la télé… Contre son école, où elle est complètement larguée… Contre son quartier pourri, tours de béton crasseuses entourées de mornes pâturages…
Contre sa désormais ex-meilleure amie, qui la lâche pour aller traîner avec ces pétasses qui la regardent de haut…
Contre ses perspectives d’avenir, bouchées…
 
La mise en scène d’Andrea Arnold souligne intelligemment le bouillonnement interne de l’héroïne en jouant sur les éléments du décor (la rivière tumultueuse, le champ d’éoliennes,…) et les métaphores scénaristiques. Notamment avec cette séquence où Mia entreprend de libérer une vieille jument en piteux état, attachée à une chaîne dans une sorte de terrain vague appartenant à un groupe de gitans pas commodes. La jeune fille se reconnaît un peu dans cette jument majestueuse que l’on retient captive et que l’on semble maltraiter. Alors elle ressent l’impérieuse nécessité de briser les liens qui enclavent l’animal. Afin de se défaire de ses propres chaînes, de libérer symboliquement les chevaux (ou les CV) qu’elle a sous son propre capot, pour trouver une certaine forme d’apaisement…
De fait, Mia ne trouve la sérénité que quelques minutes chaque jour, quand elle s’isole dans une sorte de squat, un vieux studio abandonné, pour s’adonner à sa passion : la danse hip-hop. Là, seule face au miroir, elle peut se dépenser, se vider la tête de tous ses problèmes et les remplacer par des rêves d’un avenir meilleur…
Mais elle va aussi trouver un autre moyen de laisser exulter son corps, via la découverte du plaisir sexuel. L’arrivée d’un nouvel homme dans la vie de sa mère va en effet éveiller des sentiments que Mia n’avait encore jamais ressentis jusque là.
L’homme s’appelle Connor et il ne ressemble pas à ces poivrots que sa mère ramène à la maison pour une nuit. Il se montre bienveillant, amical, et a l’air d’avoir envie de s’installer dans cette maison de fous. La jeune fille se montre tout d’abord hostile vis-à-vis de l’inconnu, mais est peu à peu troublée par cette figure rassurante, à la fois père de substitution idéal, grâce aux bons conseils et aux sermons salutaires qu’il lui prodigue, et objet de fantasme en tant qu’homme viril et sûr de son charme… Leur relation devient de plus en plus complice et ambiguë au fil du film, jusqu’à ce qu’arrive l’irréparable. Ce passage à l’acte ne sera pas sans conséquences. Il va catalyser la transformation de Mia de l’état d’adolescente rebelle à celui de femme déterminée.
 
Ce n’est pas un hasard si cette entrée dans l’âge adulte coïncide avec la mort de la vieille jument, qui venait d’avoir seize ans. Soit l’âge exact de Mia, histoire de symboliser la fin de l’innocence et de l’enfance. Pour rester dans la métaphore animalière, on peut comparer la jeune fille à une chenille sortant de sa chrysalide (ici, son vieux jogging difforme, dans lequel elle se coupait du monde extérieur) pour se transformer en papillon et voler de ses propres ailes.
Au passage, la jeune femme aura eu l’occasion d’acquérir un peu de sagesse et surtout de se rapprocher de sa mère, finalement pas si différente d’elle, prenant conscience de la difficulté d’élever des enfants dans des conditions aussi complexes. La scène de leur réconciliation est superbe, marquée par une subtile inversion des rôles, Mia consolant sa mère en la prenant dans ses bras et en la faisant danser un slow sur une chanson qu’elle adore. Mais cela n’empêchera pas Mia de quitter le giron familial pour aller construire sa propre vie ailleurs, avec de nouveaux points d’appui et des projets d’avenir…
Si le film perd un peu en intensité dans sa dernière partie, une fois que Mia est devenue femme, accusant quelques baisses de rythme, Andrea Arnold réussit néanmoins à maintenir une tension constante tout au long du récit. A plusieurs reprises, l’œuvre pourrait basculer dans le drame le plus noir, le plus sordide : un marteau caché dans un sac, une altercation avec trois hommes dans un terrain isolé, une soirée trop arrosée avec son « beau-père », une virée au bord de l’eau avec une gamine remuante... Dans ces moments-là, la cinéaste retrouve le ton angoissant qui portait son premier long-métrage, Red road. Le reste de l’œuvre est en revanche dans la lignée de ses courts-métrages, dont le multi-primé Wasp, qui véhiculait déjà les thèmes de prédilection de la cinéaste : les relations mère-fille, la vie difficile des classes moyennes en Grande-Bretagne et les questionnements existentiels de personnages féminins forts.
Le film s’inscrit également sans avoir à en rougir dans la grande tradition du cinéma social britannique, celui des Mike Leigh et Ken Loach. La cinéaste « emprunte » d’ailleurs à ce dernier l’actrice Kierston Wareing, l’héroïne de It’s a free world…, qui incarne ici avec talent cette mère dépassée par les événements…
 
Pour lui donner la réplique, Andrea Arnold a judicieusement choisi Michael Fassbender. L’acteur possède le charisme et l’ambiguïté qu’il fallait insuffler au personnage de Connor, un peu trop beau pour être honnête.
Et puis il y a Katie Jarvis, la révélation du film. La jeune actrice est tout simplement magnifique, réussissant à communiquer au spectateur toute la violence contenue de son personnage, les torrents d’émotions contraires qui la parcourent, par sa simple présence, très physique, très charnelle. Rebaptisée « la petite princesse du Palais des Festivals » lors du 62ème festival de Cannes, elle aurait bien mérité d’y remporter le prix d’interprétation féminine…
Mais elle aura probablement d’autres occasions de briller, car gageons que Fish tank n’est pour elle que le début d’une belle carrière cinématographique…
Pour la réalisatrice aussi, Andrea Arnold confirmant qu’elle est l’une des meilleures cinéastes britanniques en activité, et qu’il convient donc de suivre son travail avec un œil attentif…
Note :