Sanglots longs pendant les violons

Publié le 04 octobre 2009 par Doespirito @Doespirito
C'est parfois trop d'honneur : on écrase une larme alors que le sujet ne le mérite pas, quand les raisons objectives de pleurer vous laissent quasi-indifférent. Salut aux sensibles. J'en suis, de la façon la plus idiote qui soit... Je suis capable de passer aux travers des événements les plus émouvants, l'œil sec et sans un seul sanglot dans la voix. Ce n'est pas mon genre de pleurnicher au cinéma. Ma mâchoire inférieure n'est pas prise de tremblements. Je dois tenir un peu de mon père pour ça. Un bloc de granit quand il était confronté aux événements les plus épouvantables. Je l'ai vu une fois pâlir mais ne pas broncher, quand il a cru, pendant quelques minutes, qu'un de ses fils était mort. En fait, c'était un cousin qui avait le même prénom. Et pourtant, il versait des chaudes larmes près du poste de radio, quand il entendait une musique du Portugal.
Moi, je suis du genre robinet automatique. Vous savez, ce qu'on trouve dans certains toilettes : vous avancez les mains (ou parfois vous vous reculez, je me comprends, les hommes aussi) et l'eau se met à couler. Avec les larmes, c'est pareil. Il suffit que je vois trois scènes de films, toujours les mêmes, et j'ouvre les vannes des grandes eaux, pendant qu'on envoie les violons. J'ai un peu honte d'en parler dans la note du jour. Mais c'est la loi du blog. Et puis comme ça, vous saurez le genre de projection qu'il faut m'épargner, si vous ne voulez pas passer votre temps à éponger le sol avec une serpillière. Ni voir votre boîte de Kleenex s'effeuiller complètement, comme une strip-teaseuse du Pink Paradise.
Le premier toutes catégories, c'est le film de Chaplin "Les lumières de la ville". Pas besoin d'oignon. Il suffit que je revoie (pour la 100e fois, au moins) la dernière scène. Bon, je vous la raconte, mais c'est sans garantie que je la finisse... La jeune femme aveugle a recouvré la vue grâce aux bons soins de Charlot, qui s'est saigné aux quatre veines pour lui payer une opération. Il sort de prison et traîne dans les rues. Il aperçoit sa protégée, qui est guérie, et qui travaille chez une fleuriste (alors qu'avant, elle vendait des roses à la sauvette). Elle ne le reconnaît pas, et pour cause, quand il passe en haillons devant la boutique où elle s'active. En effet, quand elle était aveugle, il se faisait passer pour un homme plein aux as. Mais elle reconnaît sa main quand elle lui glisse une pièce dedans, croyant donner l'aumône à un vagabond. Ça me touche tellement que j'ai eu un mal fou à importer la vidéo trouvée sur youtube. C'est d'ailleurs assez paradoxal, car le film est une sorte d'adieu au cinéma muet. Les personnages ne parlent pas : on voit des cartons avec les dialogues. La jeune femme reconnaît son bienfaiteur par le toucher ! Avant de lui dire (par un nouveau carton de dialogue...) : «C'est vous ?». Et là, moi... Je vous laisse deux secondes, je vais me dégourdir les jambes...
L'autre scène qui me touche énormément, c'est la dernière scène de Pépé le Moko, de Julien Duvivier. Par parenthèse, ce film a inspiré le mythique Casablanca, je le rappelle. Pépé est un gangster qui se cache dans la casbah d'Alger pour échapper à la police qui le traque. Il mène grande vie et demeure insaisissable, dans les dédales des rues de la ville. L'inspecteur Slimane le suit de près, le fréquente, même, mais sait qu'il ne peut rien faire tant que Pépé sera dans la casbah. Il lui tend un piège. Gaby, une jeune parisienne pimpante (jouée par Mireille Balin) fait tourner la tête à Pépé. Il y a une scène amusante où les deux tourtereaux récitent à tour de rôle les stations de métro, avant de tomber ensemble sur la même. Elle représente tout ce qu'il n'a pas : la liberté, la sophistication. Il en tombe raide dingue et perd toute prudence. Elle lui donne rendez-vous au bateau qui rentre à Marseille. Il s'y rend, mais perd du temps en route. Le bateau part juste quand il arrive. Et Slimane lui tombe sur le paletot et lui passe les menottes. Gaby, après avoir attendu vainement son amant, seule à l'arrière du bateau quittant le port d'Alger, embrasse la Casbah d'un dernier regard qui ne parvient pas à croiser celui, désespéré, de Pépé. Pépé hurle, mais ses cris sont couverts par la sirène du bateau. Il décide de partir aussi, à sa manière. Malgré ses menottes, il ouvre discrètement son couteau et se l'enfonce dans le ventre. Son visage glisse le long des barreaux du quai... A ce moment-là, moi... Accordez-moi deux secondes, j'ai l'impression que ma voiture gêne, dehors...
Sinon, la dernière scène qui m'émeut comme une vache, ce sont les dernières minutes de la femme du boulanger, nouvelle de Giono adaptée par Pagnol, avec Raimu en vedette. C'est drôle d'ailleurs, Raimu ressemble comme deux gouttes d'eau à Charlot, avec sa moustache et son chapeau melon. C'est crétin, mélo et tout, comme film mais rien à faire. La femme du boulanger revient au bercail après s'être donné du bon temps pendant quelques jours avec un berger de passage. Il ne lui dit rien, ne lui reproche rien. Il a mis le couvert, et il a fait un pain en forme de cœur («Il a une forme comique, hé ? »). Elle s'étonne qu'il ne s'emporte pas contre elle. Il lui répond qu'il ne sait pas de quoi elle parle. Et puis voilà la chatte qui rentre boire son lait dans la gamelle de Pompon. Elle aussi avait disparu depuis quelques jours avec un chat de passage. Il l'engueule, la traite d'ordure, de salope, lui dit qu'elle est bien contente de revenir piquer dans la gamelle de son mâle attitré, «le pôvre Pompon...». Pompon n'est pas rancunier, il te la donne de bon cœur, sa gamelle. Et là, moi... Attendez, je crois qu'on a sonné...